Une évolution à rebours du service républicain de l’Éducation nationale

mercredi 13 janvier 2010.
 

Pourquoi la politique éducative de la majorité sarkozyste est une contre-réforme  ?

La communication sarkozyste s’emploie à faire passer les différentes réformes gouvernementales comme des avancées indispensables à toute entreprise de modernisation et d’adaptation de notre pays. En dépit de ces manipulations de circonstance, les acteurs du mouvement social et les salariés ne se font pas abuser par ces discours dilatoires. Ils savent pertinemment qu’il s’agit de « contre-réformes » régressives, voire franchement réactionnaires au sens premier et plein du terme. Le secteur de l’enseignement illustre parfaitement ce qui traduit à la fois une imposture consternante et une dérive préoccupante. La connaissance du passé peut permettre de percevoir avec clarté le présent immédiat afin d’alerter nos concitoyens de cette réalité malheureusement sans équivoque. Quelques rappels historiques comparatifs sur les conditions d’organisation du corps des instituteurs en fournissent à cet égard un exemple édifiant. Cette organisation s’effectua principalement en s’émancipant, progressivement et non sans mal, de la tutelle de l’Église. Une étape véritablement déterminante est à retenir dans ce processus. À partir de 1854, le recteur d’académie nomma seul les instituteurs, les dégageant de la sorte du contrôle de l’Église et du « certificat de bonnes mœurs » que cette dernière délivrait.

On ne peut s’empêcher de rapprocher cette mesure du discours du Latran du président de la République dans lequel il théorisait la supériorité intrinsèque du prêtre sur l’instituteur dans la transmission des valeurs, au motif qu’il manquera toujours au second « la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». C’était aussi dégager les instituteurs de l’ingérence des notables locaux par une mise à distance salutaire des intérêts privés et des agissements clientélistes dans le fonctionnement de l’école. Force est de constater que l’on se dirige aujourd’hui dans la direction inverse avec les projets d’autonomie qui voient le jour au travers de la mise en place des Epep (Établissements publics d’enseignement primaire) s’orientant vers un mode managérial ou avec la présidence des conseils d’administration des lycées confiée à des personnalités extérieures dites « qualifiées » (par exemple élus locaux ou chefs d’entreprise). Le prestige qui s’attacha aux instituteurs découla pour partie de la solide formation spécifique qui leur fut peu à peu accordée. Si les prémices datèrent de la loi Guizot de 1833 créant les Écoles normales, l’accélération décisive se produisit sous la 
IIIe République, sous laquelle l’acte d’enseigner devint un métier qui devait faire l’objet d’un apprentissage. La récente loi de recrutement et de formation des enseignants, connue sous le terme de « mastérisation », contrevient gravement à cette garantie élémentaire et à ce principe de bon sens en réduisant à la portion congrue le temps de formation, sous couvert d’économies budgétaires. La IIIe République octroya également aux instituteurs un statut qui participa grandement à façonner leur image de « hussards noirs » de la République.

En 1889, le corps des instituteurs intégra la fonction publique, portant à son terme le processus de sécularisation de l’institution scolaire. Cette fonctionnarisation représentait la condition sine qua non pour un exercice empreint de sérénité de leur métier. Depuis quelques années, nous assistons au contraire à une gigantesque entreprise de destitution de l’enseignant qui passe notamment par une volonté sourde de casser les statuts (les décrets de mai 1950 sont régulièrement dans le collimateur, que ce soit avec celui de Robien de 2006, le rapport Pochard de 2008 ou les versions successives de la réforme du lycée). Le recours de plus en plus systématique à des précaires (les fameux vacataires recrutés pour un contrat de droit privé de 200 heures, sous-payés pour être ensuite congédiés sans autre préavis) s’inscrit dans cette logique dévastatrice d’abaissement. Il est vrai que les libéraux ont fait du démantèlement de la « forteresse enseignante », une priorité. La quasi-totalité des dernières dispositions ou intentions gouvernementales se situe résolument à rebours de l’évolution séculaire qui avait permis la structuration du service public de l’éducation nationale, institution de la République par excellence. Elles dessinent en creux un projet de société sans contestation possible rétrograde. Certes, nous ne sommes pas encore revenus au temps de Vichy qui décida de supprimer les Écoles normales considérées comme des foyers de sédition. Mais il convient d’affirmer avec autant de force qu’il existe davantage que de simples relents réactionnaires dans la politique éducative de l’actuelle majorité. Les remises en cause du droit de grève et la criminalisation de la contestation ne risquent-elles pas de donner des idées aux nostalgiques du serment d’allégeance que Vichy imposa aux enseignants  ? Sans verser dans la dramatisation et l’anachronisme de mauvais aloi, contentons-nous de dire qu’il y a tout de même matière à s’alarmer.

(*) Francis Daspe est également Secrétaire général de l’Agaureps-Prométhée (Association pour la Gauche républicaine 
et sociale – Prométhée).


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