Trente-cinq ans après, on pensait l’affaire réglée. Le droit à l’avortement avait suscité des dizaines de manifestations entre 1971 et 1982 et des débats houleux dans lesquels une partie de la droite s’était d’ailleurs distinguée par ses penchants réactionnaires. Au final, les mobilisations féministes avaient payé : d’abord une loi, puis sa confirmation en 1979, et enfin le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Le droit à disposer de son corps, avancée majeure pour l’émancipation des femmes, était enfin acquis. Cela peut donc sembler un peu anachronique de s’interroger sur le droit à l’avortement en janvier 2010. D’ailleurs, c’est une réflexion que l’on entend régulièrement lors des rassemblements féministes. « Le combat pour le droit à l’avortement ? Mais c’est du passé ! » Eh bien, non : le combat pour le droit à l’avortement se conjugue encore au présent.
Premier signal d’alerte : il y a un an, le Mouvement français pour le planning familial s’était vu retirer ses crédits du jour au lendemain par le gouvernement. Les 140 000 signatures d’une pétition lancée par l’association avaient permis de préserver ses subventions. Dans le courant de l’année 2009, les inquiétudes se font entendre du côté des centres d’IVG. Avec l’application de la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST), de Roselyne Bachelot, plusieurs d’entre eux ont fermé leurs portes l’an dernier et beaucoup d’autres sont menacés, notamment en région parisienne. Tenon, Poissy, Saint-Antoine, Brousset, Avicenne, l’Hôtel-Dieu de Lyon : des structures qui pratiquaient des milliers d’IVG chaque année sont en train de disparaître en silence.
Comme tant d’autres acquis sociaux, le droit à l’avortement est une victime collatérale de l’obsession du gouvernement de faire des économies à tout prix. Réductions budgétaires qui vont financer une politique qui creuse les inégalités et accroît la précarité. Ces reculs importants mettent en lumière un autre problème qui perdure dans notre société. Le tabou autour du droit à l’avortement n’est en réalité pas encore complètement tombé. Une majorité de Français sont certes aujourd’hui favorables au droit des femmes à disposer de leur corps. Mais le sujet reste peu abordé, met mal à l’aise, gêne. Car, au final, nous avons du mal à nous débarrasser de plusieurs millénaires d’histoire au cours desquelles le corps des femmes n’avait qu’une fonction, celle d’enfanter. N’oublions pas que, pendant très longtemps, la vie de la femme passait après la préservation de l’embryon. Il en reste aujourd’hui des traces et en l’absence d’une politique volontariste en matière de défense des droits des femmes, ces derniers sont amenés à reculer. Inexorablement.
Nous le voyons d’ailleurs aujourd’hui : alors qu’il est inscrit dans la loi que chaque structure hospitalière de gynécologie obstétrique devrait avoir un service qui pratique des avortements, n o m b r e u s e s sont celles qui ne respectent pas cette obligation. Les délais pour pratiquer les IVG varient par ailleurs d’un centre à l’autre. Alors que l’IVG peut être pratiquée jusqu’à quatorze semaines d’aménorrhée, on voit des hôpitaux n’accepter les femmes que jusqu’à neuf semaines, dix semaines ou douze semaines. Conséquence, plus de cinq mille femmes partent chaque année à l’étranger pour avorter.
Le mouvement féministe continue donc à porter ce combat d’actualité. Il a besoin de relais politiques pour qu’à la fois la loi soit respectée, les reculs sociaux freinés, et que soit affirmé, haut et fort, le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. La manifestation féministe du 8 mars sera un rendez-vous important, car trente-cinq ans après, l’affaire est en réalité loin d’être réglée.
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