Air du temps : Eric Zemmour et sa formule raciste sur les Noirs et les Arabes (par Denis Sieffert, Politis)

dimanche 12 juillet 2015.
 

En ces temps d’obsession identitaire, notre pays a des débats quasi névrotiques. J’avoue avoir hésité avant d’évoquer, moi aussi, cette affaire Zemmour qui défraye la chronique depuis trois semaines. Que faire ? Prendre le risque d’en rajouter, et de prolonger, quoi que l’on dise, une polémique nauséabonde ? Ou traiter par le mépris une empoignade médiatique aussi parisienne que picrocholine ? C’est en fait le contexte qui m’a décidé à en parler. Car l’essentiel n’est pas qu’un chroniqueur profère une ânerie à la télévision sur les Noirs et les Arabes, mais le moment où cela est possible, où il n’existe plus ni inhibition ni retenue. Ce moment où il est à peu près évident que le propos litigieux va rencontrer sa clientèle et prospérer. C’est ce côté climat « années 1930 » que révèle la coupable « brève de comptoir ». Évacuons d’abord une fausse querelle : il est bien possible qu’Éric Zemmour ne soit pas raciste, même si la formule qui fait débat l’est, selon moi, sans l’ombre d’un doute. Son compère dans l’émission de Ruquier, Éric Nolleau, en qui on peut avoir cette confiance-là, s’en porte garant. Observons tout de même qu’en occupant en permanence l’emploi du « poujadiste » de service, de l’anti-antiraciste, de l’anti-bien-pensance et anti-bons sentiments, Zemmour joue avec le feu. Cet emploi de beauf haut de gamme, très à la mode aujourd’hui, n’est pas sans risque. Mais voyons à présent ce qui a été dit.

Le 6 mars, dans une émission de Thierry Ardisson, Éric Zemmour affirme : « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… » Et le journaliste du Figaro ponctue son propos d’un péremptoire « c’est un fait ». Le début de la phrase n’a guère été repris. Et, pourtant, les mots ne sont pas non plus anodins. Ils justifient les contrôles au faciès, et légitiment les préjugés de beaucoup de policiers. Ainsi, il serait tout à fait normal que les contrôles se fassent à partir d’une apparence. L’inégalité de nos concitoyens devant la « police républicaine » devrait être admise, et banalisée avec une sorte de désinvolture. La statistique – une statistique « au doigt mouillé » – justifierait que chaque individu ne soit pas considéré dans sa singularité de citoyen, mais d’abord comme appartenant à un groupe défini par ses apparences. C’est hélas conforter la pratique bien réelle d’une police qui dispose toujours – et ce depuis 1950 – d’une nomenclature destinée à répertorier les critères d’origine. D’où le trop fameux « de type nord-africain ». C’est une pratique qu’il faut évidemment combattre et non justifier, comme le fait Zemmour. La suite de la phrase a été longuement commentée. La question est d’abord de savoir sur quoi repose l’affirmation selon laquelle « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes ».

Le directeur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales l’a dit clairement : « Nous n’avons presque pas d’informations fiables sur la composition raciale, ethnique, migratoire de la population pénale. » Donc, le « c’est un fait » d’Éric Zemmour ne repose sur rien de sérieux. D’autant moins que même des observations empiriques du genre de celles qui fondent les opinions de notre chroniqueur, mais aussi de l’avocat général Philippe Bilger, qui a volé à son secours, ne donneront pas les mêmes « informations » dans la banlieue parisienne, à Guéret, à Clermont ou même à Béthune, comme l’a judicieusement noté Mathieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. Mais, venons-en à la seule question qui vaille dans cette affaire. À quoi sert cette petite phrase ? Quelle suite appelle-t-elle ? Quelle sorte de conclusion va-t-elle suggérer à notre inconscient collectif ? Zemmour aurait dit : « Les trafiquants sont surtout des pauvres, et les pauvres aujourd’hui sont surtout des Noirs et des Arabes », il nous aurait au moins invités à réfléchir selon des critères sociaux.

En 1845, Engels décrivait ainsi le quartier Saint-Giles de Londres : « C’est là qu’habitent les plus pauvres des pauvres, les travailleurs les plus mal payés, avec les voleurs, les escrocs et les victimes de la prostitution, tous pêle-mêle. La plupart sont des Irlandais, ou des descendants d’Irlandais. » Le Zemmour de l’époque en aurait déduit que « la plupart des trafiquants ont une peau très pâle et des cheveux roux ». Entre la formule du chroniqueur à la mode et l’observation – en l’occurrence banale – de l’auteur de la Situation de la classe laborieuse en Angleterre, quelle régression intellectuelle et morale ! Mais c’est ainsi. En ces temps de « sarkozysme » et de « bessonisme », on est fier d’occulter toute considération sociale. Les instruments élémentaires de la pensée sociologique ont été remisés au magasin des accessoires. On croit parler vrai et on prend pour du courage ce qui n’est que de la vulgarité.


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