Lors de leur 34e Congrès, en décembre 2008, les communistes se sont prononcés pour le maintien du PCF et « indissociablement » pour « sa profonde transformation ». Celle-ci est à l’ordre du jour du congrès d’étape du mois prochain. Débat entre trois responsables départementaux.
Quel lien faites-vous entre l’analyse du 34e Congrès d’« une nouvelle époque et un autre monde » et la nécessité de transformer le PCF ?
Patrice Bessac. Premièrement, la crise nous a fait entrer dans une période idéologique et politique radicalement nouvelle, qui rend urgent de penser l’après-capitalisme. Cela exige du PCF de renforcer sa capacité à produire des idées et à les confronter avec d’autres. Deuxièmement, des phénomènes intervenus dans les dernières décennies, comme la massification de l’enseignement, l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication, doivent changer notre point de vue sur le militantisme, sur le rôle des directions. Nous devons construire un parti qui mette à disposition les outils permettant aux militants de concevoir l’action. Troisièmement, les militants s’interrogent sur la démocratie dans le Parti et la souveraineté des adhérents pour prendre et faire appliquer les décisions après les débats qui ont marqué la dernière période électorale. Ces sujets devront être l’un des objectifs prioritaires de la réforme des statuts que nous projetons d’achever au congrès de 2011.
Marie-Pierre Vieu. La transformation du PCF ne se limite pas aux seuls enjeux organisationnels, mais elle est inséparable des questions de projet et de stratégie politique et de la définition que nous donnons du communisme. J’ai porté au dernier congrès l’option d’une métamorphose du PCF, c’est-à-dire du dépassement d’une certaine culture militante et d’une certaine forme organisationnelle pour favoriser l’affirmation du mouvement populaire que nous appelons. Ce point de vue n’a pas été retenu. Est-ce que les transformations vont trop lentement ? Certains le pensent et ont décidé de quitter le PCF, estimant de surcroît qu’ils ne trouvaient plus leur place en son sein. Cette décision collective m’a affectée d’autant plus que, lors du dernier congrès, j’ai conduit la liste alternative qui a permis l’élection de ces camarades au Conseil national. Pour ma part, si je peux partager beaucoup de leur analyse, je m’inscris dans la perspective du congrès d’un Parti communiste transformé. Pour deux raisons : le communisme transformé ne peut se faire sans les communistes, et je pense qu’il n’est pas aujourd’hui un lieu plus adapté que le PCF pour porter et faire vivre ces idées et ce combat.
Éric Corbeaux. Si on parle d’« une nouvelle époque » et d’« un autre monde », il faut partir de la crise, et de la dimension mondiale de l’exploitation et de l’attaque portée par le capitalisme contre les peuples. Dans ces conditions, affirmer le choix de continuer le PCF, c’est affirmer que notre peuple et la gauche ont besoin d’un Parti communiste pour incarner réellement la volonté de transformer la société. Il n’y a pas, d’un côté, les défis posés par la société et, de l’autre, les enjeux de la transformation du PCF, comme s’ils étaient dissociés. Pour rassembler et porter des fronts, il faut un Parti communiste dans ces rassemblements.
Comment s’adresser et ouvrir le PCF aux gens issus d’« autres cultures politiques » pour qu’ils participent à sa transformation et contribuent à le renforcer ?
Éric Corbeaux. Pour mener à bien cet objectif, il nous faut un Parti et une organisation communiste ouverts sur la société. En termes de transformations et de renforcement du PCF, on doit être beaucoup plus offensif sur le message : « Rejoignez le PCF, adhérez-y, il est l’initiateur du Front de gauche, il est le parti qui veut construire un rassemblement encore plus large pour battre durablement la droite. » Affirmer le PCF comme la force qui a cette ambition permet de valoriser notre stratégie et l’expérimentation des fronts auxquels on travaille.
Patrice Bessac. Octavio Paz disait que toute culture naît du mélange, de la rencontre et des chocs. La diversité n’est une richesse que si elle amène chacun à se remettre en question et à construire un espace commun. Si elle n’est que l’addition des points de vue, c’est une organisation en tendances. Ce qui m’a frappé dans le travail de la commission sur la transformation du PCF, c’est que des gens très différents ont joué le jeu de créer un espace de dialogue, de respect, où chacun acceptait de laisser de côté son point de vue préalable pour s’écouter. J’ai envie que ce processus nous change.
Marie-Pierre Vieu. Nous ne sommes pas quittes d’un travail intellectuel, la bataille pour l’hégémonie reste d’actualité. Les communistes doivent la mener avec ambition. Est aussi posée la question du rassemblement majoritaire pour imposer l’alternative. C’est le sens de la démarche du Front de gauche dans lequel nous nous retrouvons avec d’autres dans un rapport d’égalité : ni parti ni organisation structurée, il ne représente pas moins un rassemblement et une force en construction, avec des gens qui frappent à la porte pour en être, tout simplement. La question de sa structuration se pose à partir de cette réalité, et non pas à partir de la volonté de tel ou tel leader.
Faut-il craindre une dilution du PCF dans le Front de gauche ?
Éric Corbeaux. On a besoin de s’expliquer sur cette question, car un certain nombre de camarades peuvent être conduits à penser qu’un effacement du PCF serait profitable au Front de gauche. Or je pense que c’est tout l’inverse : plus on sera de communistes dans le rassemblement, et plus nous en serons des acteurs et des producteurs d’idées. Nous n’arriverons pas à rendre ce Front de gauche incontournable sans avoir un PCF plus fort, plus influent, et donc les deux doivent s’articuler.
Patrice Bessac. Si nous étions en tout point d’accord avec le Parti de gauche, il faudrait faire un parti en commun. Or le fait que nous ayons fait à la fois le choix du PCF et du Front de gauche marque bien que ce n’est pas le cas. Le PCF est devant plusieurs défis : celui de faire muter le Front de gauche en front social et intellectuel, rassemblant des dizaines de milliers de militants populaires ; ensuite, un défi politique : notre choix n’est pas celui de la constitution d’une petite gauche fière de son isolement, mais d’une ambition majoritaire pour emmener toute la gauche sur une option de changement.
Que veut dire, pour vous, faire indissociablement « le choix du PCF et celui de sa transformation » ?
Patrice Bessac. Ce choix est profondément ancré dans celui du communisme. La longue histoire culturelle, politique, sociale, intellectuelle, issue des XIXe et XXe siècles, a des choses à dire au présent. L’option communiste peut être fructueuse, mais si nous ne voulons pas être un petit cercle coupé de la société, il faut prendre la mesure du défi de changement que nous avons devant nous. Nous sortons d’années de critiques de ce que nous ne voulons plus être, il est temps de se projeter dans la proposition positive, pour forger des pratiques nouvelles. Par exemple, nous avons, au nom du dépassement du centralisme, acté l’idée que la clé de l’avenir est dans la participation des militants et des citoyens aux élaborations politiques. Sur ce sujet il faut passer aux actes. À l’appui de cela, l’idée d’expérimentation a beaucoup d’importance pour essayer la mise en œuvre concrète de nos décisions.
Éric Corbeaux. La question qui vient derrière celle des transformations, c’est : pourquoi un Parti communiste ? La réponse est dans la volonté de libérer l’être humain, la planète et l’économie des dominations du capitalisme, et en premier lieu de celle de l’exploitation du travail. Cela pose la question du rapport du PCF aux salariés et à la classe ouvrière. On a beaucoup reculé sur la priorité à donner aux questions sociales et aux préoccupations du monde du travail. Je suis dans une région où Marine Le Pen capte malheureusement le vote de trop d’ouvriers. Comment porte-t-on davantage la colère et la résistance des salariés face au capitalisme, et l’exigence d’un projet d’alternative politique dans le salariat ?
Quel bilan tirez-vous de la mutation des années 1990-2000 ?
Marie-Pierre Vieu. La mutation, comme les autres tentatives de transformations du PCF, a échoué. Il nous faut nous interroger sur les causes de cet échec, sur la nature des résistances que nous avons rencontrées face à notre volonté de changement et sur la capacité même de notre Parti à se « réformer ». Sauf à le faire et à évoluer, nous échouerons. Et puis il y a la question du pluralisme de droit à l’intérieur du PCF. Ce n’est pas une question simple mais déterminante. Les communistes sont divers, mais ils n’en sont pas moins tous communistes. Je trouve insupportable que certains quittent aujourd’hui le Parti pour la seule raison qu’ils n’y trouvent plus leur place, comme je trouve insupportable qu’il y ait des communistes qui en traitent d’autres de liquidateurs.
Patrice Bessac. J’avais dix-huit ans au moment de la mutation du 29e Congrès, en 1996, c’était un moment de très grande créativité. Mais c’était aussi un moment contradictoire, à la fois d’avancées réelles sur le plan des idées, de la conception du Parti, et un moment de dérive politique avec l’incapacité à gérer notre participation au gouvernement, qui a conduit à ce qu’on se perde en chemin. Les communistes ont pensé majoritairement, à l’issue de ce processus, que l’objectif premier de créer un communisme du XXIe siècle avait été effacé au profit d’un alignement sur les positions du PS. Réaffirmer le besoin de communisme n’efface pas le besoin de changement, mais l’inverse est vrai aussi. Je ne suis pas pour le culte du changement à tout prix. Mais si, plutôt que de se chamailler, on se met à travailler ensemble sur le fond, on peut dégager les conditions d’une créativité et d’une unité plus grandes des communistes.
Marie-Pierre Vieu. Ce moment a marqué une vraie embellie communiste politiquement et intellectuellement, mais côtoyant une participation gouvernementale difficile à conduire, reléguant trop souvent la question organisationnelle au second plan, il a paradoxalement créé de la peur dans les rangs communistes, y compris vis-à-vis de transformations ultérieures. Transformer le PCF, pas pour se perdre mais pour rayonner davantage. Je suis sensible à ce que dit Éric sur le salariat et sa place centrale dans l’affrontement de classes, mais ne lâchons pas tous les efforts que nous avons faits concernant l’analyse des dominations et des discriminations dans le processus capitaliste. Notons que c’est quand nous étions les plus forts dans le salariat que nous étions forts chez les intellectuels, et vice versa. Il y a un ensemble de liens à retisser avec l’ensemble de la société. Le PCF n’est pas catégoriel, il vise à l’émancipation. Nous avons vocation à nous adresser très largement à la société.
Comment appréciez-vous l’appel lancé aux « communistes unitaires » tentés par le départ à rester au PCF pour participer à sa transformation ?
Éric Corbeaux. Je suis pour que l’on porte jusqu’au bout cet appel pour que ces camarades restent au PCF car ces divisions me paraissent insupportables. Mais il faut être deux pour se rassembler. Il y a plein de communistes qui s’interrogent, qui ont vécu des stratégies électorales qu’ils n’ont pas forcément partagées, mais qui font le choix de rester. Il n’y a donc pas les bons d’un côté et les mauvais d’un autre. Il y a peut-être une coresponsabilité dans cette situation. Nous avons tout intérêt à sortir par le haut de ce débat, en posant la question de fond : pourquoi est-on communiste, en quoi sommes-nous différents des autres partis ? Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans un parti avant tout pour faire vivre des combats communs.
Marie-Pierre Vieu. Pour avoir expérimenté pendant quelques mois la « dissidence » au sein de la direction du PCF, je peux témoigner qu’il faut bien s’accrocher pour ne pas être ghettoïsée et que nous restons collectivement marqués d’une culture d’appareil qui va à l’encontre de la dynamique militante. Je partage le sens de l’appel de Pierre Laurent, il est urgent de produire et de faire vivre de l’en-commun. Patrice Bessac. Nous sommes une vieille famille. Des dizaines de milliers de personnes sont, d’une manière ou d’une autre, sur la trajectoire du communisme. De notre ouverture dans le travail dépendra notre capacité à réunifier une famille qui continuera d’avoir une histoire commune. Le temps qui est devant nous doit être un temps de dialogue avec ces militants qui ont comme référence commune l’idéal communiste.
Entretien réalisé par Sébastien Crépel
PATRICE BESSAC
Trente-deux ans, il est secrétaire de la fédération de Paris du PCF depuis 2006. Porte-parole national du PCF, conseiller régional d’Île-de-France depuis 2004, il est responsable de la commission chargée de faire des propositions concrètes de transformations du PCF au 35e congrès du PCF, congrès d’étape convoqué du 18 au 20 juin prochain.
ÉRIC CORBEAUX
Cinquante ans, membre de l’exécutif national du PCF en charge des entreprises, conseiller régional, il est, depuis 2002, secrétaire de la fédération du Nord, l’une des plus importantes de France (7 500 adhérents). Lors du 34e Congrès, ses membres avaient manifesté une attitude critique envers la base commune présentée par le Conseil national, en ne lui accordant que 36,85 % des suffrages exprimés, plaçant en tête un texte alternatif intitulé « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps » (40,89 % des voix), cosigné par des militants en désaccord avec la base commune.
MARIE-PIERRE VIEU
Quarante-deux ans, présidente du groupe Front de gauche au conseil régional de Midi- Pyrénées, elle est secrétaire de la fédération des Hautes-Pyrénées depuis 2003, et membre de l’exécutif national du PCF depuis 2000. Au 34e Congrès du PCF, elle a défendu l’option d’une « métamorphose » du PCF devant déboucher à terme sur une nouvelle organisation, et a conduit une des trois listes alternatives à celle de la direction sortante lors de l’élection du Conseil national, récoltant 16,38 % des voix des délégués.
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