Clash-back sur les randonnées médiatiques de Jean-Luc Mélenchon en terrain miné (tribune)

mardi 16 juillet 2019.
 

Tirs de barrage contre l’homme qui veut changer le monde.

Les réactions de toutes natures provoquées par les quelques interventions ponctuées de clashs de Jean-Luc Mélenchon sur la scène médiatique ne doivent pas être analysées isolément mais doivent être placés dans un contexte médiatique global, dans un rapport de forces politiques global et dans le contexte historique particulier de 2007 à 2012.

Les fondements économiques et idéologiques du capitalisme sont fragilisés.

Après 30 années de néolibéralisme ponctuées de crises financières internationales (la dernière déclenchée en 2008 étant particulièrement grave), néolibéralisme co-porté et colporté conjointement par le PS et l’UMP dans notre pays, la crédibilité de ces partis dominants s’est considérablement affaiblie. Cette perte de crédibilité s’est accompagnée d’une augmentation permanente de l’abstention et d’une montée en puissance du Front National.

Le traité de Maastricht et le traité constitutionnel européen défendus par le PS et l’UMP n’ont pas permis la construction d’une Europe sociale, l’éradication du chômage et de la précarité : bien au contraire. Pendant cette même période, la souveraineté nationale et l’autorité de l’État ont été battus en brèche.

Toujours pendant cette même période, les inégalités se sont accrues et les profits des grandes fortunes ont connu une croissance considérable.

La mise en place des « réformes » par le pouvoir politique actuel n’a fait que globalement aggraver la situation.

C’est alors qu’un événement politique d’une très grande importance intervient dans le champ politique de la gauche en 2008 : la scission du parti socialiste avec la création du parti de gauche.

Ce parti n’est pas un parti communiste mais est tout simplement dans la lignée d’un socialisme jaurèsien.

Il n’accepte pas le ralliement quasi total du PS au néolibéralisme compte tenu des dégâts sociaux et environnementaux causés par celui-ci..

Mais les grands médias et les deux partis dominants minimisent, autant que faire se peut , l’importance historique de cette scission.

L’émergence inquiétante du parti de gauche pour les partis dominants.

En effet, par sa ligne politique, en rupture avec le néolibéralisme et en même temps sa relative modération, le PG apparaît comme un concurrent de premier ordre pour le PS et donc susceptible de l’affaiblir considérablement en captant une partie des voix des abstentionnistes et des voix se portant sur le PS.

En même temps, le PG par ses positions politiques, constitue un danger considérable pour les quelque 15 000 familles qui contrôlent l’essentiel de l’industrie, du secteur tertiaire, de la finance et des médias de notre pays. Pour ces gens gagnant plus de 30 000 € par mois, et pour certains beaucoup plus encore, ce parti est considéré comme extrémiste car remettant en cause ses privilèges en termes de finance et de pouvoir.

Par commodité de langage, nous appellerons ce groupe de 15 000 familles, groupe dominant dans la mesure où il contrôle directement ou indirectement la totalité de la vie économique et politique française. Ce groupe qui a une forte conscience de ses intérêts de classe comporte deux pôles : un pôle de la propriété constitué de gros actionnaires, de propriétaires de groupes financiers et industriels et notamment de presse, etc. et un pôle de la compétence - organisation permettant de gérer techniquement les affaires : il est constitué principalement d’anciens élèves des grandes écoles, des membres du directoire de grosses sociétés ou entreprises , en particulier de présidents de groupes médiatiques, etc.

Une stratégie politique commune à l’UMP et au PS est la suivante :

Pas question de présenter le PG pour ce qu’il est : un nouveau parti socialiste capable de remettre en cause les privilèges exorbitants de ce groupe dominant.

Le PG deviendrait alors trop attractif.

Le contrôle des médias par le groupe dominant

Comme le disait un excellent article écrit en 2007 : « qui détient les médias détient le pouvoir » http://leschroniques.net/cro_presse_pouvoir.htm

Or les propriétaires de ces médias font précisément partie de ce groupe dominant, même si ce ne sont pas forcément les plus fortunés parmi les grandes fortunes.

On peut trouver le nom des principaux propriétaires de groupes de presse et de radio-télévision et aussi l’édition à : [http://tempsreel.nouvelobs.com/article/20070124.OBS8585/qui-possede-quoi.html->http://tempsreel.nouvelobs.com/arti... ]

Par exemple, le magazine l’Express change plusieurs fois d’actionnaires, passant de Vivendi Universal Publishing (ex-Havas) au groupe Dassault, puis en 2006 au groupe belge Roularta, premier groupe de médias en Belgique, dont les propriétaires sont Rik De Nolf et Leo Claeys (fortune 2008 :199 millions d’euros, ce qui n’est pas l’une des premières grosses fortunes belges. http://fr.wikipedia.org/wiki/L’Express] et http://frerealbert.be/pouvoirs/qui-possde-les-mdias-en-belgique Arnaud Lagardère possède, en ne considérant que le secteur audiovisuel : Europe 1, Europe 2, RFM et 17 radios à l’étranger. 11 chaînes thématiques de télévisions, notamment MCM, Europe 2 TV, Canal J, Gulli, Mezzo. Lagardère Active possède aussi 34% de CanalSat.

Lagardère est la 113ème fortune de France avec un patrimoine professionnel de 343 millions d’euros. (Challenge, juillet 2010 les 500 plus grosses fortunes de France ou : http://www.challenges.fr/classement... )

Tirs de barrage médiatiques contre Mélenchon : l’homme qu’il faut stopper.

Dans un tel contexte politique et médiatique, on peut mieux identifier les axes stratégiques des grands médias, axes définis à haut niveau, dans différents groupes de réflexion.

Permettre la réélection de l’un des partis dominants qui ne remet pas en cause fondamentalement les privilèges du groupe dominant et neutralisation du Front de gauche et de ses alliés pour empêcher cette remise en cause : telle est la marche à suivre. C’est aussi simple que cela, du moins dans le principe.

Comment neutraliser le front de gauche et notamment le parti de gauche ?

D’abord, utiliser la chape de plomb du silence. Pour l’instant cette technique a réussi à l’encontre de Pierre Laurent et de Jacques Généreux. Le caractère posé et argumenté de leurs interventions a incité, semble-t-il, au silence - radio. Mais cette technique n’a pas marché avec Jean-Luc Mélenchon qui, grâce à son livre - pamphlet « qu’ils s’en aillent tous ! » et à son invitation chez Michel Drucker, a pu percer le mur du silence.

À partir de ce moment, la stratégie utilisée par les grands médias a été différente.

On a invité Jean-Luc Mélenchon pour le neutraliser autrement. Voici les techniques accusatoires qui ont été utilisées et qui seront utilisés jusqu’en 2012.

Les médias accréditent l’idée que Jean-Luc Mélenchon est :

1 - violent, coléreux, impulsif en le faisant réagir à des provocations verbales diverses de journalistes ...

2 - populiste, alors que ce mot comporte de nombreuses interprétations.

3 - simpliste, caricatural.

4 - pas démocrate, dictateur en puissance. Délégitimation.

5 – excessif ou extrémiste.

6 - ridicule, pas sérieux, gesticulateur.

7 - sans aucun programme ou sans programme crédible.

8 - pas loyal, fourbe, qui trahit ses amis.

9 -. sectaire, intolérant

10 - archaïque, irréaliste.

Vous compléterez alors la phrase : « vous ne voterez pas pour Mélenchon en 2012 car il est... » par l’une des 10 accusations précédentes et vous obtiendrez les 10 commandements gravés dans la table des lois médiatiques selon lesquels il ne faudra surtout pas voter pour Jean-Luc Mélenchon en 2012 s’il avait encore l’audace de se présenter.

On a compris qu’il s’agit ici pour les médias de construire une image négative du représentant potentiel du front de gauche.

Jean-Luc Mélenchon ne nie pas la nécessité pour lui de faire preuve de détermination, de ne pas se laisser impressionner par des adversaires politiques ou par des journalistes qui se veulent agressifs, compte tenu de l’ampleur de la remise en cause de l’ordre établi par le contenu du programme politique qu’il porte.

Le lecteur qui prendra la peine de visionner sur Internet les interviews où se produisent des clash constatera que dans tous les cas, Jean-Luc Mélenchon ne fait que répondre, avec vivacité il est vrai, à des provocations variées. Il serait un peu long ici d’en faire l’inventaire mais il serait possible d’en faire un article intitulé : Jean-Luc encaisse et se rebiffe.

La tactique la plus fréquente utilisée par les médias sera d’éviter d’interroger Jean-Luc Mélenchon sur son programme, sur les positions précises qu’il a écrites et sur les positions du programme partagé du front de gauche. Il n’est pas question que les grands médias fassent une quelconque publicité pour ce projet de société nouvelle et pour ce programme qui va à l’encontre des intérêts du groupe dominant qui contrôle la quasi-totalité des médias.

Il se produira quelques exceptions à cette règle probablement pour des médias dont le taux d’audience ne dépasse pas 5 %.

On le contraindra à répondre à des questions d’ordre comportemental, d’alliances sur un fond de personnalisation constant de la vie politique et sur un fond imaginaire de guerres intestines avec ses partenaires. (PCF,NPA, G.U., Etc.) ou ses futurs alliés électoraux (PS)

Mais de toutes façons, le temps de parole, l’espace médiatique réservé au front de gauche sera 1000 fois moins important que celui réservé à l’UMP et au PS.

Pour être plus précis, il ne s’agit pas simplement du temps de parole et de l’espace texte utilisé dans les journaux et magazines, mais aussi du taux d’audience du média audiovisuel utilisé et du tirage du support imprimé utilisé. Il est bien évident que parler une demi-heure sur un média qui a un taux d’audience de 5 % n’est pas la même chose que parler une demi-heure sur un média qui a un taux d’audience de 20 %. Cela dépend de la nature de la chaîne mais aussi de l’heure d’écoute. Ainsi, la stratégie consistera à jouer non seulement sur le temps de parole mais aussi sur les taux d’audience.

En cas de sondages trop favorables pour Mélenchon, les médias, pour faire front, inviteront plus souvent un ou une représentant du Front National.

Il est donc évident qu’il ne sera pas question d’inviter Mélenchon à une heure de grande écoute sauf si l’on utilise l’un ou plusieurs des 10 commandements précédents ou s’il est invité avec 10 autres personnes au moins, limitant ainsi son temps de parole au minimum. Pas question de laisser exposer pendant une heure son programme et ses critiques.

Mais il existe une stratégie encore plus subtile : inviter souvent Mélenchon mais l’empêcher de développer ses idées : autres intervenants invités, interruptions fréquentes pour des raisons diverses (bulletin d’information, correspondant au bout du fil, etc.), questions posées sans grand intérêt ou de diversion, provocations diverses, etc.

Le public a alors impression que Mélenchon n’est pas brimé, est très présent sur les antennes, voire même et trop souvent invité, alors que le temps réel utilisé pour exposer, expliquer tranquillement le programme de gouvernement proposé par le front de gauche aura été extrêmement réduit.

Les libéraux sont certes attachés à une certaine liberté d’expression, à une certaine liberté de critique envers leurs amis politiques, ils n’interdisent pas les antilibéraux de publier des livres et articles, mais ils mettent tout en oeuvre au niveau médiatique pour neutraliser les personnages politiques susceptibles de mettre profondément en cause les intérêts économiques du groupe dominant, jusqu’à fausser le jeu normal de la démocratie, l’équilibre des temps de parole et des espaces rédactionnels, l’équilibre des financements des partis, n’étant pas respecté sur le long terme.

Je suis toujours étonné que cet énorme inégalité de traitement ne soit pas plus dénoncée par les représentants du front de gauche et les syndicats, mais il faudra bien un jour que cette disproportion soit quantifiée par une approche statistique assez fine tenant compte des paramètres précédemment mentionnés.

On pourra constater les effets de cette stratégie de neutralisation en 10 points, en lisant certaines réactions de lecteurs et autres blogueurs : ah ! Mélenchon considère que Cuba n’est pas une dictature ! Ah ! Mélenchon affirme que la Chine n’est pas un pays fasciste et est même une démocratie !

Dangereux ce Mélenchon ! Le lecteur n’aura pas réalisé que les journalistes n’ont posé aucune question à Mélenchon concernant la VIe république que le front de gauche propose pour la France et qu’ il s’agit en fait ici d’une diversion et d’une manipulation laissant sous-entendre la sympathie supposée de Mélenchon pour les dictatures. On constate ici une simple application de la stratégie 4 ! Et on verra fleurir sur les forums des centaines de réactions pour une simple diversion - manipulation !

On pourrait ainsi multiplier les exemples et constater combien seront nombreux les gens qui tomberont dans ce genre de pièges pas toujours évidents à détecter. Pauvres gens qui n’utilisent que les grands médias pour se faire une opinion ! Sans se douter un seul instant que ce qu’ils croient être leur opinion n’est rien d’autre que celle programmée par le groupe dominant via ses médias ! Dire cela ne veut pas dire que ces gens sont des imbéciles mais tout simplement qu’ils ne sont pas suffisamment vigilants, d’autant que les esprits brillants peuvent se faire aussi manipuler.

Invitons alors ces personnes à se rendre sur le site du parti de gauche et à consulter les propositions pour le programme partagé à : http://programme.lepartidegauche.fr/index.php?option=com_content&view=section&id=1&Itemid=13 et à lire les ouvrages récents écrits par Jean-Luc Mélenchon et Jacques Généreux. Qu’ils s’en aillent tous, le socialisme néomoderne, la grande régression...

Prenons un peu de distance : est-il normal dans un pays démocratique qu’un homme politique - qui est élu du peuple - se déplace sur un terrain médiatique toujours hostile, semé de provocations en tous genres et miné par une multitude de pièges dont on a ici fait un inventaire sans doute incomplet ?

Le Pop–Ulysme de Plantu.

En se reportant aux interventions passées, on peut s’amuser à voir quelles sont les techniques accusatoires utilisées par les agents médiatiques.

Un exemple d’application parmi d’autres : la caricature de Plantu dans l’Express : 2 - 3 - 5 - 6 – 9 sont utilisés dans le dessin. La réponse verbale de Plantu à la réaction de Mélenchon ajoute en plus les accusations 4 - 8. Bref, un record dans le genre.

Voir : http://www.liberation.fr/medias/01012314900-plantu-repond-a-melenchon

On ne peut pas pour autant en déduire que Plantu soit un serviteur zélé du groupe dominant, un défenseur sans faille de l’ordre établi ou que, une fois Mélenchon élu, il craindrait d’être privé de caviar.

Ceci s’explique en partie par le fait que le travail de caricaturiste repose sur des comportements superficiels et extérieurs, repose sur une personnalisation extrême de la vie politique et non sur une analyse en profondeur de la pensée politique.

Un dessinateur est aussi amené à consulter une multitude de réactions de presse dont il peut faire la synthèse sans pour autant en faire une analyse critique et être conscient des éventuelles manipulations de l’information.

Avant cette caricature dans l’Express, toutes les accusations qu’elle suggère figuraient déjà depuis plusieurs mois dans la presse de droite et les grands médias. Ici l’absence de pensée politique est poussée à son maximum puisque l’on place sur le même plan des philosophies politiques totalement antagoniques : celle du FN et celle du PG.

En outre, l’assimilation de « qu’ils s’en aillent tous » à « tous pourris » fait totalement abstraction du contenu du livre et ne retient qu’une simple homophonie entre les deux expressions : c’est vraiment court de pensée ! On voit d’ailleurs mal comment Mélenchon pourrait faire alliance avec le PS au deuxième tour en considérant que tous les socialistes sont des pourris ! Jean-Luc Mélenchon et Pierre-Laurent ont protesté contre cette caricature, non pas comme le prétend Marianne, contre la pensée Plantu, mais contre l’absence de pensée, à moins de considérer que l’antonyme de « pensée pointue » soit « pensé Plantu ! ».

Mais peut-être n’ai-je rien compris : il s’agissait simplement ici de la caricature d’un être imaginaire. Et comment s’appelle cet art populaire de la caricature de l’imaginaire médiatiqu ? : le Pop–Ulysme ! Art néo - techno - média – révolutionnaire intégré !

Peut-on exercer librement sa profession de journaliste lorsque l’on est « virable » à tout moment ?

D’autre part, pour élargir la question, remarquons que très peu de dessinateurs, de cinéastes se sont attaqués au problème de la représentation critique de la grande bourgeoisie et de ses articulations avec le pouvoir politique. Cela s’explique par le fait que celle-ci est très discrète, notamment dans sa vie réelle, qu’elle constitue un univers relativement clos et qu’elle finance la production et la distribution des films, la production des oeuvres écrites et ce, par des moyens directs ou indirects (producteurs, annonceurs, publicité, etc.).

Difficile pour un journaliste, pour un artiste, de remettre en cause le système et le groupe dominant qui a pouvoir sur lui, qui le place dans une contrainte systémique où, à tout moment, il peut perdre son emploi, ses avantages financiers, ou le financement de sa création.

Ce n’est pas par des coups de téléphone et injonctions que cette contrainte s’exerce mais par l’effet de système , sans oublier que celui-ci reste de nature productiviste, et éventuellement par le formatage idéologique existant dans certains centres de formation de journalistes. Le coût relativement élevé des études et la nécessité d’avoir un carnet d’adresses très étoffé pour réussir dans ce genre de profession est aussi un moyen puissant de sélection sociale rapprochant ainsi du groupe dominant un certain nombre de journalistes. Mais je ne m’attarderai pas plus sur ce genre de question bien traitée dans l’article mentionné précédemment rédigé en 2007.

Heureusement, tous les journalistes ne sont pas des serviteurs zélés et cyniques de ce groupe dominant, mais dans ce cas de relative indépendance, ils doivent faire face, le plus souvent, à une vie professionnelle plus compliquée et parfois plus risquée.

Jean-Luc Mélenchon a déjà parlé de ce problème et il serait bon que le front de gauche prenne contact avec les syndicats de journalistes pour mettre au point, avec eux, une plate-forme assurant une meilleure indépendance et stabilité d’emploi pour cette profession précaire.

Hervé Debonrivage, janvier 2011


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message