Hommage au philosophe marxiste Jacques Texier

dimanche 23 janvier 2011.
 

1) Jacques Texier nous a quitté....

Nous venons d’apprendre avec une infinie tristesse le décès de Jacques Texier, le 13 janvier 2011. Chercheur au CNRS, rattaché au laboratoire de philosophie politique (en 2002), ce militant communiste, membre de l’association Espace Marx, était notamment un spécialiste de la pensée d’Antonio Gramsci.

Avec Jacques Bidet, il avait été l’un des initiateurs de la revue Actuel Marx et du « Congrès Marx International ». En 1998, il avait publié un ouvrage très important, dont nous n’avons pas fini de tirer les leçons : Révolution et démocratie chez Marx et Engels (P.U.F). C’est dans ce contexte que nous nous sommes rencontrés, au point de croisement de trajets politiques distincts : dans le cadre d’un groupe de travail qui, constitué à la suite à un séminaire de Critique communiste tenu en avril 2000, qui avait pris pour nom « Émancipation sociale et démocratie ».

Les discussions et les échanges auxquels participaient également Daniel Bensaïd, Eustache Kouvalekis et Jean-Marie Vincent se sont traduits par la tenue d’un colloque, suivi d’un dossier de ContreTemps (n° 3, février 2002), puis, en 2003, par la publication d’un Cahiers de Critique communiste (Syllepse) intitulé « Marx et l’appropriation sociale » que nous avons rédigé ensemble.

Nous voulons nous souvenir de la fidélité critique de Jacques à ses choix politiques fondamentaux, de la rigueur intellectuelle de ses contributions, des bonheurs d’une rencontre amicale et chaleureuse.

Antoine Artous et Henri Maler

Source : http://www.europe-solidaire.org/spi...

2) Jacques Texier, noble compagnon de route intellectuelle et politique

Philosophe marxiste internationalement reconnu, il est décédé jeudi. À l’origine, avec Jacques Bidet, de la revue Actuel Marx, il joua aussi un rôle important dans les années 1970-1980, notamment dans l’animation du Centre d’études et de recherches marxistes.

Tous ceux qui ont connu Jacques Texier, décédé à Paris ce 13 janvier, se souviendront de lui comme d’un être rare, un philosophe engagé en politique, un être de fraternité respirant le bonheur de vivre.

Il est né à Grenoble en 1932. Ses parents, qui étaient communistes ont été de grands résistants (FTP-MOI). Son père, Fernand Texier, ouvrier, puis artisan électricien, devait être, après la Libération, maire de Saint-Martin-d’Hères, la grande banlieue ouvrière. Une jeunesse naturellement militante, donc.

Il étudie la philosophie. Il enseigne dans un lycée, puis à l’université de Grenoble. Sa formation première doit beaucoup au marxisme français des années 1950-1960, enraciné dans la tradition des Lumières, de la philosophie politique allemande, de Kant à Lukacs, et du mouvement démocratique ouvrier. Mais il se tourne très tôt vers le marxisme italien, vers Gramsci, auquel il consacre un livre paru chez Seghers en 1966, soit le premier livre en français sur ce grand philosophe politique qui, dans la débâcle du stalinisme, ouvrait une nouvelle voie, fondée sur l’idée que l’émancipation politique passe par une émancipation culturelle. Il ne cessera depuis lors d’être un passeur entre un marxisme français, plus immédiatement préoccupé de philosophie et d’économie, et un marxisme italien, tourné vers la pensée de la pratique politique, et surtout plus précocement distant à l’égard des socialismes de l’Est. Il sera élu au CNRS en 1968.

Il devient à cette époque membre de la direction du Centre d’études et de recherches marxistes (Cerm), dirigé par Nicolas Pasquarelli, animé aussi par Georges Labica et Lucien Sève. Cette vieille institution du Parti communiste vit alors une brillante période d’ouverture et de confrontation intellectuelle interdisciplinaire où se croisent historiens, anthropologues (Godelier), linguistes (Pécheux), initiateurs d’une psychiatrie ouverte (Lainé, Bonnafé), économistes (qui relisaient le Capital en vue d’un programme commun de la gauche), et bien sûr philosophes – Althusser, Balibar, Poulantzas et même, un jour, Lacan. Jacques y joue un rôle actif, dont attestent diverses publications sur la philosophie marxiste. C’était l’époque de la Nouvelle Critique, qu’animait entre autre son ami Jean Rony. Il vécu fort mal la dissolution du Cerm.

Esprit indocile, il se battait contre un marxisme mécaniste pour une approche plus historiciste, plus ouverte, éloignée des programmations hasardeuses. En même temps, avec toute la distance qu’il prenait (il devait quitter le Parti communiste en 1978), il restait attaché à ceux qu’il considérait comme politiquement les siens.

Du côté du CNRS, il s’insère dans un laboratoire constitué à l’initiative de Georges Labica, au milieu des années 1970, au carrefour de la philosophie et des sciences humaines  : un premier lieu d’affirmation collective de chercheurs marxistes sur le terrain académique. Il y tenait une place éminente. C’est là que nous nous sommes rencontrés. C’est à lui que j’ai proposé, en 1986, de créer une revue autour de Marx. Et c’est lui qui a proposé ce nom  : Actuel Marx. Nous avons, pendant plus de dix ans, dirigé cette revue ensemble. Et jusqu’à l’extrême de ses forces, il a, avec Gérard Duménil, Emmanuel Renault et moi-même, piloté la collection Actuel Marx Confrontations. Toujours si élégant au pire de sa longue maladie.

Jacques s’est lancé complètement dans cette aventure. L’idée première était de faire se rencontrer les diverses sortes de marxismes qui s’affrontaient souvent de façon stérile  : marxisme italien à la Gramsci, marxisme français à la Althusser, marxisme de Francfort et de Budapest, marxisme analytique anglo-saxon, marxisme trotskiste, etc. Ce fut, en France, le commencement d’un brassage aujourd’hui consommé. Il s’agissait surtout de faire travailler la tradition marxiste avec les autres grandes formes de pensée et de sciences sociales contemporaines, qui ne nous étaient pas moins chères. Tout cela venait après la terrible et générale défaite de la fin des années 1970, sur laquelle s’achevait une grande décennie de luttes sociales et intellectuelles, inaugurées par 1968. Nous déclarions que tout n’était pas fini, et qu’il fallait reprendre l’initiative à partir de questions fondamentales à poser en termes nouveaux. Jacques a joué un rôle essentiel dans la vie de la revue et il y a publié de nombreux articles.

Il avait toujours porté un regard sans complaisance sur les dérives de la Révolution russe, qu’il refusait de voir imputer à la tradition venue de Marx et Engels. Son principal ouvrage, à côté de ses nombreuses contributions autour de Gramsci (notamment du concept de « société civile »), a pour titre Révolution et démocratie chez Marx et Engels (PUF 1998). C’est un grand travail qui a reçu un accueil international à travers diverses traductions. Il clôt un certain nombre de faux débats, notamment autour de la « dictature du prolétariat ». Il en ressort que les pères fondateurs du marxisme, dont la pensée politique s’élabore lentement au détour de multiples circonstances politiques dans lesquelles ils interviennent, attribuent au total la plus grande importance aux institutions de la démocratie.

Nous sommes nombreux à perdre avec lui un ami très cher, un noble compagnon de route intellectuelle et politique.

Jacques Bidet

Professeur émérite à l’université de Paris-X Nanterre, cofondateur d’Actuel Marx.

Source :

http://humanite.fr/17_01_2011-jacqu...


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