Il y a trente ans, le 10 mai 1981 Mitterrand était élu : espoir et déception (texte Lutte Ouvrière)

dimanche 15 mai 2011.
 

On célèbre officiellement les trente ans de l’élection de Mitterrand à la présidence de la République. Les dirigeants socialistes et leur entourage fêtent avec gourmandise cet anniversaire, qui marquait le retour de la gauche au gouvernement après vingt-trois ans de domination de la droite. Mais aujourd’hui, alors que depuis bientôt dix ans la droite au gouvernement conduit une politique au service du patronat et des plus riches de façon arrogante, voire provocatrice, alors que les coups pleuvent sur les classes laborieuses, il faut avoir en mémoire ce passé repeint en rose, ne serait-ce que pour être averti de ce qui risque d’arriver si le Parti Socialiste revenait à l’Élysée.

Mitterrand s’est retrouvé élu le soir du 10 mai 1981, au terme d’un processus initié dix ans plus tôt, après qu’il eut pris la direction d’un Parti Socialiste en pleine déconfiture. En 1974, Mitterrand avait été choisi comme candidat unique de la gauche par le PS et le PCF. Le PCF répétait alors sur tous les tons à ses militants, aux travailleurs et aux électeurs que la seule condition du changement était de faire élire une majorité de gauche, qui ne fut pas élue cette fois-là mais sept ans après, en 1981.

Beaucoup pensaient qu’avec des « amis » de gauche au gouvernement les choses allaient changer. Peut-être pas la vie, comme le laissaient entendre certains dirigeants du PS ou du PC, mais du moins allait-on voir venir de notables améliorations. Et ce sentiment était encore renforcé par la présence de quatre ministres communistes dans le gouvernement Mauroy.

L’espoir allait vite se muer en déception.

Le bilan des principales mesures

Quand on veut évoquer le bilan positif de la gauche au pouvoir, on pense à l’abolition de la peine de mort. Ce fut incontestablement un progrès de société, mais un progrès qui ne coûta strictement rien à la bourgeoisie. En revanche, le changement promis et attendu par le monde du travail fut moins glorieux.

Il y a eu bien sûr la retraite à 60 ans adoptée en 1981. À l’époque elle existait déjà dans bien des entreprises, le patronat ne voulant pas garder des travailleurs usés et payés trop cher. Alors, si sa généralisation a représenté un progrès incontestable, elle ne fut en rien une révolution.

Des ordonnances de janvier 1982 promulguées par le gouvernement Mauroy accordèrent la cinquième semaine de congés payés et les 39 heures. Mais s’agissait-il d’un cadeau aux travailleurs ou d’une énième façon d’aider les patrons derrière un habillage avenant ? Pour la première fois depuis 1936, ces ordonnances remettaient en cause le principe du temps de travail calculé sur la base des heures travaillées par semaine. Elles instituaient une flexibilité qui allait, plus tard, se développer. Mitterrand et Mauroy avaient conditionné l’octroi de la cinquième semaine à des accords où les patrons avaient le droit de reprendre tous les avantages en congés et en temps de pause qu’ils avaient accordés jusqu’ici. Enfin, le passage de 40 heures à 39 heures était prévu sans indemnisation obligatoire.

Face aux appétits patronaux qui s’étaient immédiatement manifestés, il y eut des grèves dans certains secteurs. Cette réaction, pour limitée qu’elle fut, amena Mitterrand à annoncer qu’après réflexion la réduction du temps de travail serait indemnisée pour tous à 100 %.

Mais avant même ces ordonnances, le gouvernement Mauroy avait mis en place le forfait hospitalier promis à un grand avenir, tout comme la CSG qu’instituera Rocard après 1988.

L’aggravation brutale des conditions d’existence du monde du travail

Pour le reste, les travailleurs allaient devoir compter les dégâts. Les nationalisations ? Elles furent une formidable aubaine pour la bourgeoisie, qui se fit payer au prix fort les actions qu’elle possédait dans des entreprises parfois mises à mal par la crise. Non seulement l’État lui offrait ces milliards qu’elle allait pouvoir placer ailleurs, en particulier dans des fonds de placement financiers, mais en plus il prenait à sa charge les restructurations, leur coût comme les conséquences sociales et les centaines de milliers de licenciements qui allaient les accompagner.

Dans la sidérurgie, le sale travail avait été entamé en 1972, puis s’était accéléré sous Giscard. Mitterrand et Mauroy se contentèrent d’honorer les dettes, en versant un supplément de plus de dix milliards aux barons de l’acier et en reprenant en 1984 la vague de fermetures et de licenciements interrompue un temps après les révoltes ouvrières de 1978-1979.

Dans d’autres secteurs les travailleurs, à qui les militants syndicaux et politiques avaient promis la solution à leurs problèmes grâce aux nationalisations, n’allaient avoir que quelques mois de répit... avant d’être assommés par l’annonce de licenciements massifs et de fermetures d’usines. Ce fut le cas par exemple pour deux grandes entreprises, Péchiney-Ugine-Kuhlmann et Saint-Gobain.

Bien loin de régresser, comme l’avait promis Mitterrand lors de sa campagne, le chômage explosa. Il passa de 6 % de la population active en 1981 à plus de 10 % en 1986, atteignant 2,6 millions de chômeurs, selon les normes du Bureau international du travail. Ce désastre, le gouvernement de gauche y avait toute sa part.

Quant au pouvoir d’achat, il suivit le même chemin. Le smic avait certes été augmenté de 10 % d’un coup en juin 1981 mais au total, pour cette seule année, les prix augmentèrent de 13,8 % et de plus de 20 % en 1982-1983. Le gouvernement eut beau décréter dès 1982 le blocage des prix et des salaires, le blocage ne fut effectif que pour les salaires, et le pouvoir d’achat commença à dégringoler. Les seuls qui voyaient leur situation embellir étaient les actionnaires, dont le ministre socialiste de l’Économie Bérégovoy se fit le champion. Un banquier de l’époque, interviewé à la télévision ces derniers jours, déclarait, goguenard : « Pour nous ce furent des temps heureux. »

La démoralisation politique et sociale en héritage

Tous ces coups furent durement ressentis par les travailleurs et les milieux populaires. Les désillusions politiques étaient profondes et entraînaient une hémorragie brutale dans les rangs des organisations syndicales. Les chiffres des adhérents de la CGT, donnés par la confédération, illustrent cet effondrement : de deux millions d’adhérents avant 1981, elle est passée à un peu plus de 600 000 dix ans plus tard. Cette saignée n’a jamais été comblée depuis, ni dans les entreprises, ni dans les quartiers populaires. L’espoir du changement, la condamnation de la société capitaliste en tant que système, la confiance dans les forces du monde du travail, tout cela a en partie disparu. C’est là le legs que nous ont laissé ces hommes qui se disaient les « amis des travailleurs », en menant au pouvoir la politique voulue par les maîtres de la société, les grands capitalistes et financiers.

Le mouvement ouvrier retrouvera ses forces, mais à condition que les travailleurs gardent les yeux ouverts et n’oublient pas ; à condition qu’ils n’abandonnent pas leur sort à de faux amis, qui se disent de gauche pour mieux les tromper, mais qui ne sont en réalité que les pantins mis sur le devant de la scène pour cacher ceux qui tirent les ficelles.

Paul SOREL


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