Les militants d’aujourd’hui face aux leçons de la victoire de 1981

vendredi 14 mai 2021.
 

Certains n’étaient même pas nés, d’autres seulement des enfants. Que leur reste-t-il de la première alternance de la Ve République ? Adrien Quatennens, Fatima Ouassak, Claire Lejeune ou encore François Boulo racontent comment ils composent avec l’esprit du 10 mai 1981, pour s’en défaire ou le dépasser.

Certains n’étaient même pas nés, et d’autres seulement des enfants lorsque Mitterrand a conquis le pouvoir en 1981. Ils et elles sont devenus des militants politiques, associatifs, syndicalistes, et ont grandi le plus souvent avec le souvenir, ou le fantasme, de cette arrivée triomphale de la gauche au pouvoir, après deux décennies d’un règne sans partage de la droite.

Quarante ans après, l’exaltation de 1981 paraît presque incongrue. La crise climatique a bousculé l’agenda social, la dénonciation du fonctionnement des institutions et de notre appareil démocratique est devenue un passage obligé, ringardisant le mitterrandisme et son président monarque. Les acteurs et actrices du mouvement social issus de l’immigration ont depuis des années jeté par-dessus bord le paternalisme socialiste à leur égard (et parfois toute la gauche avec), déterminés à avancer de manière autonome au combat.

Présents sur divers fronts de l’engagement politique et social, les militants que nous avons interrogés témoignent de ces nouveaux enjeux et de ces prises de conscience. Si la référence à 1981 ne leur parle pas de la même manière, la plupart la relient au fameux « tournant de la rigueur » de 1983 (voir notre article). La possibilité d’un renversement des priorités, d’un tête-à-queue vis-à-vis du mandat théoriquement confié par les électeurs, est comprise comme une leçon cruciale de cet épisode, d’autant plus amer que les espoirs suscités avaient été grands.

Si tous ne pensent pas forcément que la gauche se soit définitivement délégitimée, pour beaucoup, c’est à la refonte institutionnelle du pays que doit inciter ce souvenir – que celle-ci passe par la mise à bas de la surpuissance présidentielle, ou par le réexamen des contraintes que fait peser l’intégration européenne existante. La mémoire de 1981 a beau s’être refroidie, les questions qu’elle soulève restent brûlantes pour les partisans d’un autre ordre social.

Adrien Quatennens, 30 ans, député La France insoumise

Pas besoin d’être un fin connaisseur de la gauche française pour le savoir : s’il est un responsable politique qui revendique l’héritage mitterrandien, c’est bien Jean-Luc Mélenchon. Cette figure tutélaire, Adrien Quatennens, qui n’était pas né en 1981, en a surtout entendu parler par son mentor : « Mes parents n’étaient ni militants, ni très politisés, alors de Mitterrand, je garde surtout ce que m’a raconté Jean-Luc. »

Et d’abord, le « souffle débordant » de ce mois de mai 1981 : « Nous analysons 1981 comme la victoire différée de 1968, qui n’était pas qu’un mouvement étudiant, mais surtout, 10 millions d’ouvriers en grève », observe le député du Nord, qui souligne la familiarité entre le slogan d’alors, « changer la vie », et la « révolution citoyenne » prônée aujourd’hui par La France insoumise.

« Les 39 heures, la 5e semaine de congés payés, les nationalisations, la retraite à 60 ans ou l’abolition de la peine de mort, c’est du lourd ! », dit le trentenaire. Une rupture qui n’est pas sans rappeler celle que veut aujourd’hui incarner Jean-Luc Mélenchon face à « la gauche d’accompagnement » de l’économie de marché, « celle de Jadot et du PS ».

S’ensuivra néanmoins le tournant de 1983. La gauche au pouvoir ou l’éternelle désillusion ? Adrien Quatennens fait sienne l’analyse Jean-Luc Mélenchon, « le seul à avoir fait un bilan raisonné du mitterrandisme sans tomber dans la facilité » : « On ne peut pas résumer 1983 à un retournement de veste, poursuit le Lillois. Cela s’explique plutôt par le choc entre la percée du néolibéralisme britannique et américain avec Thatcher et Reagan et le début de mandat de Mitterrand, qui a dû affronter des dévaluations monétaires terribles ! »

Reste que la question est d’une brûlante actualité pour un mouvement qui affiche de grandes ambitions pour 2022. Quelles garanties donner aux électeurs que l’histoire ne se répètera pas ? Adrien Quatennens pose sur la table le référendum révocatoire des élus - y compris du président de la République - à mi-mandat. « Mais puisque notre programme va déranger les intérêts particuliers, il faudra aussi que la société civile nous accompagne », ajoute celui qui imagine des « manifestations de soutien à la politique du gouvernement ».

Les joies et les affres de la Mitterrandie, toujours utiles pour écrire le XXIe siècle ? « Même si la filiation entre Jean-Luc et François Mitterrand est incontestable, tout a changé, nuance le coordinateur de La France insoumise. On ne peut pas calquer grand-chose : l’abstention est devenue massive, l’urgence écologique nous oblige à agir plus vite et la gauche doit faire avec le mandat Hollande… Mitterrand, c’est une partie de notre histoire. »

Claire Lejeune, 26 ans, écologiste

Candidate pour Europe Écologie-Les Verts aux régionales en Île-de-France, Claire Lejeune est cofondatrice du mouvement Résilience commune, un collectif de jeunes militants politiques et associatifs. « Je ne me suis jamais autant intéressée à François Mitterrand qu’à l’occasion de cet anniversaire », s’amuse-t-elle.

Il faut dire que la date du 10 mai n’était pas inscrite au panthéon familial : « Mon père m’en a parlé, mais comme du dernier moment où il avait ressenti réellement un espoir, avant une série de déceptions. » Dans les milieux écolos dans lesquels elle évolue, le repère n’est pas non plus structurant. Il faut dire que l’alternance de 1981 a précédé de trois ans la création des Verts et que son orientation productiviste n’a rien pour exciter l’imagination de ses membres, même si d’autres réformes de société ont pu être appréciées.

Du côté des militants pour le climat non encartés, explique-t-elle, la désinvolture mémorielle à l’égard du 10 mai est encore plus prononcée : « Ce n’est pas du tout leur logiciel politique, le mot et l’histoire de la gauche sont des choses très éloignées. » « Mais c’est peut-être un problème, considère-t-elle. Notre génération manque de culture historique, ce qui comporte un risque de reproduire plus facilement des erreurs. » Car dans son esprit, le 10 mai est « indissociable » du retournement de 1983, d’un « écart entre le discours et les actes », et d’une gauche « qui s’est contentée d’une ligne d’accommodement » au prétexte d’un projet européen embrassé avec naïveté.

La militante en tire la conclusion que « la sortie du présidentialisme doit être au cœur de nos préoccupations. Nous avons besoin de garde-fous institutionnels aux dirigeants. Mitterrand a beau avoir été incisif à l’égard de la Ve République, il en a préservé le cadre, et la classe politique qui est arrivée au pouvoir n’allait bientôt plus être en lien avec sa base sociale. Or, s’il n’y a pas la persistance d’une activité démocratique, il apparaît impossible de prendre des décisions difficiles », lesquelles ne manqueront pas en cas de politique écologiste ambitieuse.

Celle-ci nécessitera également un autre rapport à l’intégration européenne. « Nous avons besoin d’un tissu économique autonome, de relocalisations… mais tout cela n’est possible sur de grandes échelles que si l’on s’émancipe des traités européens, estime Claire Lejeune. Il y a des formes de désobéissance à assumer. Après tout, la période montre que les règles peuvent devenir très flexibles quand les faits l’imposent. Avec une coalition de pays ayant cette même volonté, il y a donc moyen de faire pression et d’obtenir gain de cause. »

Partisane d’une candidature commune à gauche, elle retient aussi que « le programme commun des années 1970 a été élaboré et discuté sur plusieurs années », ce qui contraste avec l’improvisation actuelle. « Il y a aujourd’hui beaucoup d’appels et d’injonctions, qui gomment parfois la nécessité d’être d’accord sur le fond. Je pense qu’il est possible de s’accorder sur “l’arc humaniste”, mais il faut selon moi que le centre de gravité soit du côté d’un programme radical, prenant racine dans le logiciel écolo, et doté d’une incarnation solide sur le fait que ça ne va pas être une promenade de santé. »

François Boulo, 35 ans, avocat et « gilet jaune »

Après la Ligne jaune, premier ouvrage pensé pour « restaurer l’image » du mouvement, comme il l’expliquait en 2019 à Mediapart, François Boulo, figure des gilets jaunes, poursuit son travail de « réveil politique », à travers un nouvel ouvrage intitulé Reprendre le pouvoir (Les Liens qui libèrent). L’avocat rouennais y déroule sa pensée, fortement inspirée du sociologue Emmanuel Todd, et exhorte à la rupture avec les dogmes du néolibéralisme, affirmant la « nécessité du souverainisme » pour rompre avec les traités européens.

Né en 1986, dans une famille de droite gaulliste où François Mitterrand fait clairement partie de « l’autre camp », François Boulo suit d’abord la trajectoire familiale, jusqu’à voter pour Nicolas Sarkozy en 2007. Dans une « impasse intellectuelle », le jeune homme prend la tangente, par des lectures sur la dette publique, jusqu’à l’effet de dévoilement de la crise des gilets jaunes, pour se muer en fervent dénonciateur de l’explosion des inégalités, du réchauffement climatique ou des atteintes aux libertés publiques.

François Mitterrand n’est pas pour autant rentré dans son panthéon personnel. « À gauche, Jaurès, oui. Mitterrand, non. Je ne doute pas de la signification historique de sa victoire en 81, mais si l’on se réfère à “la gauche” en parlant des socialistes, incluant François Hollande, cela n’a plus aucun sens pour moi. Car ils se sont totalement soumis à la logique néolibérale, dès 1983, comme tous les partis au pouvoir en alternance depuis. »

François Boulo, qui ne voit aujourd’hui « personne à sauver à droite », sans se définir pour autant comme un « homme de gauche », n’est pas plus friand de la mémoire d’une union partisane de la gauche pour une rupture politique, telle qu’a pu apparaître la victoire de Mitterrand en 1981. « Je ne comprends pas ce débat sur l’union à tout prix. Si on a un point de désaccord sur une question accessoire, l’augmentation du Smic ou une nouvelle prime, on peut s’unir ! Mais si le point est de savoir si l’on sort ou pas de l’Union européenne, c’est irréconciliable. Donc je juge très sévèrement tous ceux qui nous disent pouvoir faire l’union en faisant l’économie de cet arbitrage : ce sont des rêves pour enfants. »

François Boulo a un autre motif d’agacement au sujet de la période socialiste incarnée par Mitterrand, coupable à ses yeux d’avoir fait stratégiquement monter le Front national et discrédité par la même occasion le camp du protectionnisme. « Après avoir sciemment fait monter le FN pour affaiblir la droite, on a systématiquement refusé d’ouvrir le débat avec lui et on s’est contenté de le repousser en dehors de l’arc républicain. Résultat : comme la société en a ras le bol, les gens votent pour le parti anti-système ! Or Marine Le Pen, si elle est élue demain, ne dérangera pas les classes dominantes, elle ne va rien faire contre la fraude fiscale massive, c’est le leurre absolu. »

Le militant se dit cependant plus « clément » vis-à-vis d’un Mitterrand que d’un François Hollande, dont le mandat a le désavantage de ne pas avoir encore été poli par l’histoire. « Dans les années 1980, Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Grande-Bretagne opèrent un virage terrible pour le monde anglo-saxon. Ce n’était objectivement pas la meilleure période pour résister. François Hollande avait comme interlocuteur Barack Obama, qui fait de la relance après 2008, et même de ça il n’a pas su profiter. »

Fatima Ouassak, 45 ans, fondatrice du Front de mères

Militante antidiscriminations, Fatima Ouassak vit à Bagnolet et soutient une approche intersectionnelle des luttes contre les dominations, qu’elle a eu l’occasion de défendre à plusieurs reprises sur Mediapart (revoir nos émission ici et là).

Fatima Ouassak © DR Fatima Ouassak © DR « Je viens d’un milieu ouvrier CGT, raconte-t-elle, et je me souviens que mon père et ses amis n’étaient pas fans de François Mitterrand. Ils l’associaient tout de même à la régularisation des sans-papiers, nombreux dans ma famille, tandis que nous-mêmes étions résidents. De ce point de vue, il offrait quelque chose de mieux que ce qu’il y avait avant, et pour le coup, ça pouvait changer concrètement la vie de certaines personnes. »

Mais c’est plutôt comme étudiante, puis en se construisant comme militante, que deux aspects négatifs de l’alternance de 1981 lui apparaissent assez vite. Premièrement une trahison d’un point de vue économique et social (« je me souviens d’un cours là-dessus à Sciences-Po Lille, des ouvrages de Serge Halimi et Frédéric Lordon, mais aussi de l’émission de radio “Là-bas si j’y suis” qui revenaient sur cet épisode »), deuxièmement une trahison vis-à-vis des immigrés, avec la promesse non tenue du droit de vote, et une entreprise de dépolitisation des luttes autonomes des ouvriers immigrés.

« La récupération mièvre de l’antiracisme a été un problème. Le “touche pas à mon pote”, je n’y ai jamais cru, ça ne nous concernait pas. Il y avait quelque chose de l’ordre d’une confiscation paternaliste du combat pour l’égalité, qui s’est d’ailleurs reproduite l’été dernier au moment des marches lancées par le comité Adama, lorsque SOS Racisme, qui a pourtant évolué en mieux ces dernières années, a tenu à organiser un rassemblement qui fut un fiasco place de la République. » Ce 9 juin 2020, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, avait participé à l’événement mais s’était ensuite tenu à l’écart de la marche du 13 juin, effectivement bien plus mobilisatrice.

« Aujourd’hui, analyse Fatima Ouassak, je n’emploierais pas le mot de “trahison” , qui a une connotation morale, mais celui de “réaction”. En quoi cela nous sert-il d’avoir une telle gauche, qui endort et entrave nos luttes ? Cette gestion politique des mouvements sociaux nous a fait du mal », cingle-t-elle. Dans son viseur, les organisations nationales ne sont pas les seules, ni les pires.

« J’évolue dans des milieux qui n’ont jamais été naïfs envers le PS ou le PC, car ils connaissent leur gestion locale, que ce soit à Lille ou en région parisienne, en Seine-Saint-Denis en particulier. Ces élus nous sont souvent apparus comme des impostures, nous ont dégoûtés de la gauche. Et ceci de façon pernicieuse, contrairement à l’extrême droite, qui est un ennemi identifié, car ces forces en appellent à l’humanisme, à l’égalité et la justice sociale dans l’espace médiatique, tout en faisant des coups de Trafalgar dans la réalité, en procédant à de la délation vis-à-vis de militants, comme j’en ai fait l’expérience. »

Karl Ghazi, 53 ans, syndicaliste à la CGT

À 7 ans, Karl Ghazi, militant syndical CGT du commerce parisien, avait déjà vécu la défaite de la gauche française de 1974, à distance certes, mais « avec une grande intensité », depuis son foyer libanais de gauche, internationaliste, très politisé.

À 13 ans, après plusieurs heures passées dans une tranchée pour éviter la pluie de bombes qui s’abat sur Beyrouth, puis dans le camion militaire soviétique qui le ramène à la maison, le tout jeune homme ne pense encore qu’à cela : à ce premier tour de l’élection présidentielle française et à son champion, Georges Marchais.

Karl Ghazi suivra avec la même ferveur le deuxième tour de l’élection de 1981, sautant sur ses deux pieds lorsque le visage de Mitterrand apparaît dans le brouillard de sa télévision. « Cela a été une surprise au Liban, y compris dans le monde de gauche qui était le mien, où nombreux étaient ceux qui espéraient la victoire de Giscard, perçu comme étant plus pro-arabe que Mitterrand, explique Karl Ghazi. Il y avait aussi une forte méfiance, dans les milieux que nous fréquentions, vis-à-vis du socialisme, presque vu comme une insulte. En guerre, on devient vite campiste… Mais moi, le programme de Mitterrand, les 110 propositions, tout cela me paraissait très séduisant. »

Quatre ans plus tard, Karl Ghazi a 16 ans, sa vie en France commence. « Du Liban, je n’avais pas vu le tournant de la rigueur se mettre en place. Mais à la lecture des journaux, que je dévorais en bon Levantin, matin, midi et soir à Paris, je commence à vraiment m’imprégner plus finement de la politique française. »

C’est quand il se met à militer syndicalement au début des années 1990 que l’homme comprend à quel point les promesses initiales ont fait long feu. « Pour ma génération, si François Mitterrand garde une dimension historique, c’est parce qu’il s’agit de la première grande désillusion d’après 68. Cette période a fortement marqué les esprits. Jospin puis Hollande ne sont apparus ensuite que comme une confirmation que cela ne servait à rien de voter pour une certaine gauche. »

Pour le militant, connu pour avoir bataillé des années durant contre le travail dominical dans le commerce parisien, « la manière d’exercer le pouvoir de Mitterrand, le tournant libéral qu’il opère en 83, la politique menée ensuite et ses stratégies face au FN » pèsent encore lourdement dans les débats. « Est-ce que cela sert de voter ? De faire barrage ? La gauche doit-elle témoigner ou agir et prendre le pouvoir ? Toutes ces questions nous hantent encore aujourd’hui » (voir à ce sujet le point de vue de Karl Ghazi en 2017). Celles portant sur la conduite à mener après la victoire également, surtout quand on a comme Karl Ghazi un pied dans le mouvement social, un autre dans le monde politique.

Il rappelle que François Mitterrand est élu dans le contexte d’un chômage de masse, une situation de restructuration profonde de l’industrie, « intrinsèquement défavorable au monde du travail, ce qui se traduit par un fort reflux du mouvement syndical ». Rien de différent aujourd’hui. « Cela a pesé à cette époque très lourd et fait la démonstration que sans rapport de force puissant pour accompagner une crise économique, il n’y a pas moyen de contraindre le personnel politique, insiste le syndicaliste. Et surtout, ces rapports de force s’imposent à tous, quelle que soit la couleur du gagnant. »

Avec cependant une différence de taille, si l’on revisite la manière très monarchique qu’avait Mitterrand d’incarner le pouvoir. « Les institutions de la Ve République sont mortifères et même contre-productives pour défendre ce pour quoi on se bat : des mesures sociales, la démocratie réelle, le pluralisme. Cela n’apparaissait pas de façon si claire au début des années 1980. Aujourd’hui, c’est une donnée politique incontournable. »

Roxane Lundy, 25 ans, engagée à Génération.s

Ancienne dirigeante du Mouvement des jeunes socialistes, Roxane Lundy a suivi Benoît Hamon lorsqu’il a fondé le parti Génération·s. Candidate de l’union de la gauche dans l’Oise, aux régionales et à la législative partielle de la première circonscription du département, elle confie « l’envie d’avoir notre propre “10 mai” ». « On se dit que nos aînés ont eu de la chance de connaître cela, poursuit-elle. Juste avant notre conversation, j’en discutais ce midi avec une ancienne conseillère départementale, qui me racontait cette nuit passée sans dormir, qui a marqué son adolescence. Cette date évoque donc de la nostalgie, mais aussi l’envie qu’une nouvelle génération, actuellement émergente, gouverne un jour. »

Selon elle, la victoire électorale de 1981 doit être mise en regard du bouillonnement de la société après 1968 et de la capacité d’un dirigeant de rencontrer son époque. Or, ce bouillonnement existerait aussi aujourd’hui, quoique sous d’autres formes. « Avec les mobilisations des gilets jaunes, des marches climat, de #MeToo, contre la réforme des retraites, contre les violences policières, se dessine une modernité politique qui devrait trouver son débouché électoral. »

Si elle se prend à rêver d’un « Mitterrand contemporain qui serait résolument écologiste », elle n’ignore pas les promesses inabouties qui empêchent de célébrer 1981 de manière acritique. Après le tournant de la rigueur, « on a biberonné des générations entières avec l’idée que le politique ne pouvait plus rien faire », regrette-t-elle en citant le mandat Hollande comme dernier exemple en date. L’école lui apparaît comme le deuxième gros échec de la période : « On n’a jamais réussi à en faire un vrai creuset. Aujourd’hui, c’est comme un hôpital qui ne soignerait que les enfants en bonne santé. »

C’est pour éviter les renoncements que la question institutionnelle lui semble incontournable aujourd’hui. « On a un problème avec cette Ve République. Tant qu’on n’aura pas cette refondation constitutionnelle, ce sera très dur. L’erreur fondamentale des socialistes de l’époque, c’est de ne pas avoir transformé les institutions. Il le faut pour intégrer la question écologique dans la pratique gouvernementale et permettre à des nouveaux visages d’investir le pouvoir. »

Une telle réforme suffira-t-elle à triompher des intérêts minoritaires, mais puissants, qui se sentiraient lésés par un virage écologique ? « La lutte contre les lobbys devrait être au cœur de n’importe quelle politique, répond-elle en soulignant la part irréductible de volonté politique qu’il faut assumer pour changer la société. On peut toujours souligner que Biden a des marges de manœuvre qu’on n’a pas en Europe, mais ses prises de position sur l’environnement ou les violences policières relèvent d’un choix, dont on ne voit malheureusement pas d’équivalent de ce côté-ci de l’Atlantique. »

Samuel Grzybowski, 29 ans, instigateur de la « primaire populaire »

C’est un lien « affectif » qui rattache Samuel Grzybowski à François Mitterrand : le souvenir de ses parents, militants de la gauche catholique, lui racontant leur « joie incomparable » (sauf, peut-être, à celle de la Coupe du monde de 1998) lors de la victoire du socialiste le 10 mai 1981, puis leur participation aux débuts du combat antiraciste - côté Marche pour l’égalité, pas SOS Racisme. © DR © DR

Une histoire de famille, donc, mais une histoire « tourmentée » aussi. Pour celui qui avait 10 ans quand il manifesta contre l’arrivée de Le Pen au second tour en 2002, Mitterrand est une « légende » à deux faces. Côté pile : la création des médias libres, de l’ISF, la semaine de 39 heures, la retraite à 60 ans, mais encore la dépénalisation de l’homosexualité, les nationalisations et, bien sûr, l’abrogation de la peine de mort. Côté face : l’idéologisation de la politique internationale - et ses conséquences terribles au Rwanda ou en Bosnie –, le présidentialisme et les promesses non tenues de la gauche.

Le mitterrandisme : un monde révolu dont Samuel Grzybowski, l’un des instigateurs de la « Primaire populaire », se prête toutefois volontiers à tirer quelques enseignements. Sur la conquête du pouvoir, d’abord, explique ce membre du collectif 2022 ou jamais qui veut, par un vote citoyen, contraindre la gauche et les écologistes à désigner un seul et même candidat en 2022 : « Comment gagne-t-on une présidentielle contre toute attente ? Comment arrive-t-on à créer une gauche plurielle, unie dans la diversité ? Comment parvient-on à s’arrimer à la société civile ? Ces questions-là, Mitterrand a su y répondre. »

Certes, l’incarnation à outrance et le système personnel auront, dès les origines, semé les graines des désillusions ultérieures. Mais l’ascension mitterrandienne demeure une source d’inspiration, même si la France des années 1980 n’a plus grand-chose à voir avec la France des réseaux sociaux : « La verticalité et le paternalisme - notamment vis à vis des personnes issues de l’immigration - ont, bien sûr, été excessifs, même si le besoin d’incarnation collective était peut-être encore plus fort dans la société de l’époque, souligne le vingtenaire, qui a eu Jean-Louis Bianco pour mentor. Mais Mitterrand a su créer des ponts entre ce qui relève du singulier et du commun - une dialectique que ne parvient plus à créer la gauche actuelle –, et ainsi lever un espoir populaire immense. »

Un espoir qui n’aura d’égale que la déception, immense elle aussi, qui s’ensuivra. Reste la petite nostalgie d’un monde politique « d’un autre niveau » et d’un président dont le « rapport au spirituel » continue de toucher Samuel Grzybowski, cofondateur de l’association Coexister. Manière de dire que, 40 ans plus tard, les « forces de l’esprit » ne l’ont toujours pas tout à fait quitté.


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