Il serait facile de recourir à des lieux communs pour relater la manifestation qui a eu lieu aux alentours de la base aérienne de Toncontín au Honduras pour recevoir, deux ans après le coup d’État qui l’avait destitué, Jose Manuel Zelaya, l’ex président renversé.
Il serait réducteur de qualifier de multitude ce rassemblement, de dire que les « sympathisants » de Zelaya - c’est le nom qu’on donne aux chefs politiques qui ont risqué leur vie dans la résistance - arboraient leurs drapeaux et entonnaient des slogans sous un soleil qui empêchait de marcher sans cligner des yeux.
Il serait aisé d’affirmer que les manifestants étaient heureux, qu’ils riaient, s’embrassaient et pleuraient de joie tandis que la caravane d’automobiles, conduite par Zelaya, au volant d’une camionnette blanche, se frayait un chemin dans la marée humaine qui ne pouvait réprimer ce cri : « Oui, on a réussi ! ».
Pour ceux qui arriveraient seulement à cet instant de l’événement, des fastes et des discours, il est difficile d’imaginer la fatigue, les heures de veille, les absences ou l’angoisse produites par presque deux années d’attente, en subissant l’impunité du coup d’état et un gouvernement inconnu par la Communauté internationale.
La question qu’on entendait entre les murmures, c’était : « Est-ce que cette fois, ce sera définitif ? ». C’était la seconde fois que Zelaya rentrait au Honduras, sans compter la tentative réprimée par les militaires à l’affût sur la piste de la base aérienne de Toncontín quelques jours après le coup d’état, et le retour manqué par la frontière avec le Nicaragua.
Loin des micros, au pied de l’estrade où est arrivé finalement l’ex président avec des chefs politiques et les exilés, Ezer Labaire, militant du Front National de Résistance Populaire (FNRP), a répondu sans ambages à cette question : « Si cette fois ils nous l’enlèvent à nouveau et l’emmènent, ce sera la faute de notre peuple. Nous ne pouvons pas le permettre ».
Ça ne veut pas dire : « on efface tout et on recommence » ou « on tourne la page »
La tribune d’où Zelaya a prononcé son premier discours était installée sur la place Isis Murillo. Le nom de cette place rend hommage à l’une des premières victimes de la dictature de Robert Micheletti, instaurée au Honduras le 28 juin 2009.
Sur cette place, située à quelques minutes de l’aéroport, Murillo - âgé de 19 ans- a été criblé de balles par un franc-tireur le 5 juillet 2009, le jour même où Zelaya avait essayé, sans succès, de fouler la piste qu’il embrasserait, presque deux ans après, à la descente d’un avion vénézuélien.
Ce crime de la dictature s’inscrit parmi les dizaines de meurtres politiques enregistrés depuis lors et c’est un souvenir que rappelle Antonio Guardado, résistant lui aussi : « Nous sommes très heureux que tous ces compatriotes soient de nouveau à la maison, mais que personne ne croit qu’à partir de maintenant, on efface tout et on recommence »(on tourne la page) ».
L’accord signé à Carthagène par Zelaya et l’actuel président du Honduras, Porfirio Lobo, stipule que le processus de réconciliation nationale passe par le respect des droits humains et établit la création d’un secrétariat pour y veiller.
Toutefois, la récente expérience des honduriens ne leur permet pas de croire totalement que l’actuel gouvernement puisse respecter ce document. C’est pourquoi ils demandent particulièrement au Venezuela et la Colombie - pays qui ont encouragé l’accord -, de surveiller la conduite de Lobo.
Depuis l’avènement, par d’élections contestées, du président en exercice, les meurtres ont augmenté au Honduras. Les chiffres, reconnus par les propres fonctionnaires de Lobo, montrent que quelques six mille personnes ont été victimes de ces crime en 2010, ce qui fait une moyenne quotidienne de 16 morts violentes.
En janvier de cette année, le directeur de la Police Nationale, José Luis Muñoz, a informé qu’on a enregistré dans ce pays 1600 cas de plus qu’en 2009, ce qui a conduit l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à envisager la possibilité de qualifier le Honduras comme un pays où il existe une épidémie d’homicides et de vulnérabilité des citoyens.
De plus, ce pays est le plus dangereux pour la pratique du journalisme, profession qui a déjà enregistré plus d’une douzaine de victimes ayant dénoncé le harcèlement gouvernemental.
C’était déjà un pays dangereux pour les journalistes, à cause de l’existence du crime organisé, des « maras » (réseaux de bandes délictueuses) ou du trafic de drogues. Mais depuis le coup d’État de 2009 il s’y ajoute aussi la violence politique contre les médias critiques ou d’opposition.
Cette réalité de la violence est présente dans la conscience des honduriens qui ont encore des réserves quant au comportement futur du gouvernement de Lobo. Des exilés qui sont revenus chez eux, c’est le cas pour René Amador, s’accordent sur le fait que leur retour au pays « est un acte de foi, un vote de confiance immérité mais nécessaire pour la reconquête de la démocratie ».
Rien n’est immuable
Apparemment, il était évident que l’événement du 28 mai 2011, c’était le retour de Zelaya à sa terre natale. Cependant, son retour n’est que le premier pas vers l’objectif que poursuivent les honduriens : exercer leur autorité souveraine pour la convocation d’une constituante.
« Ici, nous voulons essentiellement qu’on nous restitue le pouvoir que l’oligarchie de ce pays a kidnappé », a dit María Coriña Rodriguez alors qu’elle essayait de s’approcher du podium pour voir son leader.
Au Honduras, le mot d’ordre du changement ce n’est pas seulement convoquer des élections pour choisir un président. Le problème de fond, c’est pouvoir réformer l’État, objectif qui a conduit les putschistes à asséner un coup à la démocratie, à kidnapper et expulser Zelaya il y a deux ans, avec l’assentiment des États-Unis.
Pour donner une « validité » juridique au coup d’État, le Congrès et les magistrats de la Cour Suprême ont allégué alors que Zelaya devait être destitué pour avoir « violer la Constitution » en convoquant une consultation populaire afin d’entamer le processus pour une Constituante.
L’argument d’alors fut que, par cette consultation, Zelaya avait l’intention de modifier des « articles inaltérables » de la Constitution hondurienne, c’est-à-dire, des textes hypothétiquement immuables de la Grande Charte de ce pays. Pour l’avocate française Raquel Garrido, membre du Parti de Gauche, cet argument est absurde.
« Dans les lois d’un pays il n’y a rien d’immuable et encore moins si, dans la pratique d’une Constituante qui consiste à rendre le pouvoir aux bases, le peuple décide qu’il veut un changement dans la structure de l’État », explique-t-elle.
« Dans une Constituante, ou bien on rend complètement le pouvoir au peuple ou ne le lui rend pas. Le droit souverain n’est pas quelque chose qu’on donne à 80% ou 90% », souligne l’avocate, qui faisait partie du comité qui a accompagné Zelaya au cours de son retour.
Le Honduras pour les honduriens
Bien qu’il soit logique de croire que le retour de Zelaya et la réintégration quasi certaine du Honduras à l’Organisation des États Américains cette semaine signifie la fin de la crise, il n’en est rien.
Les honduriens veulent être les protagonistes d’une transformation de fond, qui comporte aussi la configuration d’une nouvelle force politique qui s’implante face aux partis traditionnels (Libéral et National).
Le nouvel appel à une Constituante ainsi que la reconnaissance du FNRP comme parti laisse voir cette possibilité. Pour le moment, l’accord de Carthagène garantit que l’histoire de 2009 ne se renouvellera pas.
Le point sept du texte souligne que l’article 5 de la Constitution hondurienne « règle la convocation de plébiscites par des procédures clairement établies, ce qui permet la possibilité que le peuple puisse être consulté ». Par conséquent, la convocation à une Constituante est en accord avec la Grande Charte.
Selon l’accord, Lobo s’est engagé à prendre des mesures pour « veiller aux droits électoraux des citoyens, et à confier à la « Commission de Suivi » la vérification du respect de l’exécution des procédures établies pour la mise en œuvre de plébiscites dans la République du Honduras ».
Pour le militant du FNRP, Ezer Labaire, cet accord se résume ainsi « par-delà `Mel’ Zelaya, nous pouvons convoquer une Constituante afin que le Honduras revienne aux honduriens et pour que nous puissions compter sur un État véritablement démocratique ».
Traduction : Françoise Bague (membre du réseau de traducteurs et traductrices du Parti de Gauche)
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