Privatisations + financiarisation = prédation

lundi 15 novembre 2021.
 

Les libéraux versent actuellement des larmes de crocodile sur la désindustrialisation de la France alors qu’ils en ont été les auteurs. Mais encore faut-il le savoir !

Benjamin Coriat est un économiste spécialiste de la politique industrielle et des structures des entreprises. Il est l’un des représentants de l’école dite de la régulation.

Dans la vidéo indiquée par le lien suivant, il explique, entre autres, très clairement comment les vagues de privatisation en France inspirée par les politiques libérales ont affaibli et désorganisé l’appareil productif de l’économie française. Et après avoir vu cette vidéo, tout le monde aura compris que nombre de ceux qui versent actuellement des larmes de crocodile sur la désindustrialisation de la France en sont tout simplement les auteurs.

http://www.dailymotion.com/video/xo...

Cet économiste n’a rien d’un marginal et a une envergure internationale comme en témoigne son curriculum vitae http://www.univ-paris13.fr/cepn/IMG...

Voici pour compléter, un article de ce même économiste qui fait un bilan éclairant sur le processus de financiarisation au sein des entreprises industrielles. Cet article devance de deux ans le débat actuel sur la désindustrialisation et la financiarisation. des entreprises.

Entreprises cotées : l’homme est un fusible par Benjamin Coriat (16 Avril 2010)

Source :Revue en ligne : Metis http://www.metiseurope.eu/entrepris...

L’emploi et le travail sont-ils devenus des variables d’ajustement dans les entreprises du CAC et du DAX ? (Le DAX ou Deutscher Aktienindex est le principal indice boursier allemand. Sa valeur est fondée sur le cours des actions des 30 plus importantes entreprises cotées à la Bourse de Francfort -sur-le-Main.)

Benjamin Coriat économiste (CEPN - Centre D’Économie De Paris Nord- Université Paris 13) présente les résultats d’une large enquête menée avec Christopher Lantenois sur la relation entre finance et direction dans les entreprises cotées de France et d’Allemagne.

Cette enquête sur l’influence de la shareholder value sur les stratégies industrielle a été menée sur des données collectées entre 1999 et 2007. Les données sont extraites d’un panel de grandes entreprises du CAC40 pour la France, du DAX pour l’Allemagne. Il s’agit donc de grandes ou très grandes entreprises sur lesquelles on dispose de données relativement précises et détaillées.

Premier résultat : la structure de la propriété du capital s’est transformée de manière spectaculaire. On assiste à une déconcentration dans la structure de la propriété du capital. La part du premier actionnaire dans le pourcentage total baisse de 16,9 à 9,4% pour le DAX, de 21,5 à 13% pour le CAC. La part des cinq premiers actionnaires passe de 39,2 à 23,4% pour le Dax et 44,8, à 21,9% pour le CAC, impliquant une forte dilution de l’actionnariat A cette dispersion de l’actionnariat, s’ajoute la montée des investisseurs institutionnels.

En France, le mouvement s’amorce dès 1986 (avec les privatisations) et va se traduire finalement, notamment après la mise sur la marché des paquets d’action correspondant aux « noyaux durs » par une très grande ouverture du capital des entreprises françaises aux investisseurs non résident qui détiennent quelques 50 % du capital .

En Allemagne, c’est une Loi du gouvernement Schmitt qui va déclencher le mouvement. Présentée au Parlement par le gouvernement Schröder en juillet 2000 afin de renforcer l’attractivité de l’économie allemande, la loi sur l’impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuergesetz, entrée en application au 1ier janvier 2002) exonère d’impôt les plus-values de cession de participations capitalistiques détenues depuis au moins un an, quelque soit le niveau de participation, alors qu’elles étaient jusqu’à alors taxées à hauteur de 50%. L’effet de la loi est spectaculaire. Après le vote de la réforme, on a assisté à une vente massive d’actifs.

Quelle est l’influence de ces changements sur la gouvernance et les performances de l’entreprise ?

Tout d’abord, on constate une évolution spectaculaire des profits. Sur la période, le profit médian augmentent de 140%, pour le CAC, de 200% pour le DAX.

Ensuite, force est de constater que le ROE (return on equity - rentabilité des fonds propres) s’élève régulièrement pour atteindre (et dépasser en fin de période) la barre symbolique des 15%. Cette norme de 15% n’est dons pas un phantasme. Elle a bien été recherchée et elle a été obtenue, et ce tant en France qu’en Allemagne. Dans le même temps les dividendes par action ont été multipliés par 2 pour 60% des entreprises du DAX, pour 47,5% de celles du CAC.

Les taux de distribution des dividendes sont aussi élevés en France qu’en Allemagne, mais ils ne convergent pas exactement au cours du temps. Ils sont plus volatiles en Allemagne. Enfin, le rachat d’action, une des pratiques typiques de la shareholder value, et visant à racheter des actions pour les détruire et ainsi faire croître la valeur relative du stock d’actions en circulation n’est utilisé massivement que par un nombre limité d’entreprises. Il faut aussi signaler qu’en France, cette pratique a souvent été aussi utilisée pour racheter des actions destinées à être redistribués aux salariés dans le cadre des programmes d’intéressement

Au total il ressort des données que « créer de la valeur » est devenu pendant la période, synonyme de créer de la valeur pour l’actionnaire. Si on ajoute à ces données sur la performance des entreprises la pratique généralisée (mais confinée aux hauts dirigeants) des bonus, stocks options, parachutes dorés et autres douceurs… , il est clair que l’on assisté à un changement radical de période.

C’est en effet la fin de l’idéologie visant à présenter l’entreprise comme « une communauté de destin ». Longtemps on a en effet présenté l’entreprise comme un lieu partagé, une communauté. Au nom de quoi on demandait à tous, en cas de difficultés d’assumer sa part des problèmes, de se « serrer les coudes ». Les licenciements eux-mêmes étaient présentés comme un drame collectif, auquel il fallait se soumettre pour permettre à l’entreprise de survivre. Tout ceci est terminé.

A partir du moment où on installe dans les rémunérations entre les managers et salariés les écarts abyssaux qui sont aujourd’hui la norme, c’est la fin de cette idéologie... Le plus grave, peut être n’est pas tant les écarts et les inégalités de rémunérations elles-mêmes, mais le discours qui les accompagne et qui leur sert de justification. Car la justification avancée est : nous nous approprions la valeur créée par l’entreprise car c’est nous qui l’avons créée ! Vous (les salariés) n’êtes rien ! Au sens strict vous ne valez rien ! La valeur, c’est nous.

Certains comportements déviants, chez les salariés, menaçant de mettre des produits toxiques dans les fleuves ou de faire exploser leur entreprise, sont clairement une réponse à cette position affichée par les managers et les actionnaires. L’idéologie de la valeur pour l’actionnaire a détruit le lien social dans l’entreprise. L’homme est un fusible. La nouvelle idéologie diffusée par le management est clairement de type « Prends l’oseille et tires toi ! … ».

L’emploi et le travail sont devenus des variables d’ajustement, utilisées souvent de façon anticipée, alors que l’entreprise engrange des profits, pour garantir dans le futur non la survie de l’entreprise mais l’accroissement des taux de rentabilité (et par suite des niveaux encore accrus distribution des dividendes aux actionnaires et de rémunération des hauts managers).

Impact social.

Le ROE à 15%, la distribution de cash aux actionnaires et la maximisation des bonus et stocks options aux hauts dirigeants sont les nouveaux points fixes de la gestion de l’entreprise. L’entreprise s’est transformée – pour le compte des actionnaires et hauts dirigeants - en un centre de mobilisation et de valorisation de ressources précaires que dans toute la mesure du possible on fait venir de l’extérieur. Ainsi des ressources financières (par recours aux investisseurs institutionnels et/ou à l’endettement en faisant jouer des effets de leviers multiples), des ressources et compétences techniques (par recours accéléré à la sous-traitance industrielle ou de service, et nous le verrons tout à l’heure, en externalisant des métiers hautement qualifiés et stratégiques) et des ressources humaines, travailleurs eux-mêmes (par multiplication des contrats temporaires de toutes natures : CDD, intérimaires, stagiaires … ).

La firme proprement dite, n’existe plus sans un archipel de services et activités externalisés qui constituent une sorte de « firme externe » intimement reliée à elle et sur laquelle elle exerce son commandement, sans assumer les coûts fixes que cela représenterait si ces activités étaient internalisées. Comme le montre de façon spectaculaire la crise qui aujourd’hui frappe TOYOTA, ces pratiques ne sont pas sans risques pour les entreprises !

Quel est l’effet de ces mutations sur les stratégies industrielles ?

- On constate un très fort recentrage des entreprises sur un nombre restreint de métiers avec cession massive d’activités considérées comme insuffisamment rentables.
- Parallèlement on assiste à la multiplication des fusions entre semblables, avec recherche des effets de taille et de position de monopole.
- Quant aux effets sur l’emploi et le travail, la théorie de la « segmentation des marchés du travail » combinant la prise en compte de l’évolution du statut et celle des rémunérations, permet de distinguer quatre tendances de fonds que l’on peut associer à ces évolutions du corporate governance et de la gestion des entreprises.

- Primo, on assiste à un fort développement de la flexibilité externe, illustrée par une large secondarisation des emplois. Soit on sous-traite dans des entreprises où les statuts sont plus faibles, soit on étend le recours à du travail intérimaire ou précaire. Souvent les deux techniques sont utilisées de conserve. La frontière entre l’emploi et le non-emploi devient alors très fluide.

- Deuxio, on observe une certaine tendance à la flexibilité interne pour des groupes limités de salariés, dont les compétences sont stratégiques, même s’ils n’occupent pas dans la hiérarchie des positions spécialement élevées. Ces groupes voient alors leur statut s’améliorer. On les associe au bénéfice de la finance avec accès aux Plans d’Epargne Salariale, au partage du profit, à la redistribution d’actions... Cette orientation est cohérente avec la nécessité de stabiliser à l’intérieur de chaque entreprise un minimum de compétences et d’armature technique capable de faire face aux aléas et de garantir la qualité des produits. Dans mon livre Made In France, je développe en détail ce point de vue. Pour des pays comme les nôtres, faire face à la concurrence des pays à bas salaires suppose qu’à chaque niveau de la gamme des produits (et en particulier pour les gammes basses), il faut se battre sur la qualité et construire une avantage qualité. Ce qui correspond à une stratégie que je désigne comme relevant de la compétitivité-qualité. Satisfaire à cette exigence requiert l’implication des collectifs de salariés. La flexibilité interne – telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par les grandes firmes financiarisées – constitue ici une sorte de « service minimum » eu égard aux exigences de la compétitivité-qualité. C’est le moins qu’elles peuvent faire, si elles veulent assurer la pérennité de leurs savoir faire de base…

- Tertio, on voit le développement sur grande échelle de nouveaux marchés professionnels. Les métiers de la comptabilité, du droit, du design, du marketing,… autrefois largement internalisés sont aujourd’hui presque entièrement externalisés. Il s’agit d’un des aspects essentiels du développement de cette firme « externe » mise en place sous l’influence de la finance, même pour certaines des activités stratégiques de l’entreprise auxquels je faisais référence plus haut.

- Enfin, quatrième tendance, les formes de rémunération sont surcodifiées par des formules financières qui individualisent les salariés et les font dépendre des performances de l’entreprise. Les anciennes formes de rémunération sont articulées à des formules d’essence financière : intéressement, partage des bénéfices, primes, accès aux plans d’épargne salariale et pour les plus hauts gradés : stock options… (Notez que si en France, les stock options sont encore limités aux hauts managers, aux USA, ils sont plus largement diffusés.)

Par rapport à la France, l’Allemagne a connu une moindre progression de la flexibilité externe, en partie du fait de la prégnance de la négociation collective (Mitbestimmung). Par contre, les entreprises allemandes ont énormément délocalisé dans les pays de l’Est, où elles ont investi massivement dans des installations neuves ou entièrement modernisées, avec des salariés bien formés, mais dont les salaires sont plus bas. Ce faisant les grandes entreprises allemandes ont comme étendu leurs frontières et leurs bases en investissant à l’Est. Les entreprises multinationales françaises ont quant à elles davantage procédé à des délocalisations « au long cours », vers les zones à bas salaire, sans que l’on puisse discerner des zones « cibles » privilégiées.

Au final, même dans la gestion industrielle et dans celle de l’emploi, la finance a obtenu ce qu’elle voulait : la liquidité. La flexibilité recherchée sur le marché du travail, fait écho à la liquidité obtenue sur le marché des actifs. Le travail est par elle traité comme un coût et non comme une ressource créatrice de valeur. En effet, le travail –lorsqu’il est constitué par de l’emploi stable - apparait comme un coût fixe. Il ne constitue finalement que de 30-40% du coût total (suivant les secteurs et les activités, quelquefois beaucoup moins…), mais pour la finance il constitue une rigidité qui va contre son idéal. Ce que recherche par-dessus tout la finance et ce qu’elle a obtenue pour elle-même c’est la liquidité. Son combat aujourd’hui vise à gagner des espaces supplémentaires de liquidité pour les facteurs « fixes » qui constituent l’entreprise, à commencer par le travail.

Fin de l’article.

On ne développera pas ici les propositions détaillées du Front de gauche pour mettre fin à cette financiarisation destructive, ce qui mériterait un article à part, mais on indiquera simplement une interview récente de Marie George Buffet sur cette question.

Marie-George Buffet « Nous avons besoin d’une véritable relance de la politique industrielle »

Source : l’Humanité 2 mars 2012 http://www.humanite.fr/societe/%C2%...

Au nom du Front de gauche, Marie-George Buffet prône une autre répartition des richesses vers les salaires, la recherche, la modernisation de l’outil de travail… La députée communiste de en Seine-Saint-Denis est coresponsable du Front des luttes au sein du Front de gauche.

Comment réagissez-vous à la démarche de dernière minute de Nicolas Sarkozy vis-à-vis d’Arcelor Mittal ?

Marie-George Buffet. Avec colère. On ne joue pas avec l’avenir d’hommes et de femmes qui luttent pour sauvegarder leur usine et leurs emplois. On n’instrumentalise pas leurs espoirs à des fins politiciennes à la veille d’échéances électorales. Jamais notre industrie n’avait connu une situation aussi grave. Alors, voir un président candidat aller quémander à ses amis patrons quelques subsides pour sauver telle ou telle entreprise, le temps d’une élection, c’est inadmissible. D’autant que ces salariés et leurs syndicats, je pense à ceux d’Arcelor Mittal, ont des propositions alternatives. Je les ai rencontrés à Gandrange. Ils ont un plan viable aux niveaux financier, industriel et écologique. C’est sur ces propositions que le gouvernement devrait prendre appui pour faire pression sur ArcelorMittal.

Comment se fait-il que les questions de la réindustrialisation et de l’emploi soient au cœur de la campagne ? Marie-George Buffet. La crise du système en France et dans le monde est marquée par la financiarisation à l’extrême et ne repose plus sur la production réelle. Beaucoup de salariés prennent conscience que ce qui fait la richesse d’un pays, ce qui donne les moyens du progrès social, ce sont le travail et la production. Et donc que nous avons besoin d’une relance industrielle avec une autre répartition des richesses vers les salaires, la recherche, la modernisation de l’outil de travail, la planification écologique.

La politique y peut donc quelque chose ?

Marie-George Buffet. Bien évidemment. J’ai ouvert le Figaro Économie et j’ai hurlé quand j’ai lu que la Banque centrale européenne (BCE) avait, en deux mois, donné 1 000 milliards d’euros à 800 banques privées à 1 % d’intérêt. Imaginons cet argent placé dans un plan de développement social, solidaire et écologique pour relancer l’investissement industriel et l’emploi… Cela dépend de décisions politiques, de même que de mettre la BCE au service de l’emploi et du développement économique. Décisions politiques toujours, la création d’un pôle public financier en France pour reprendre en main le crédit et l’investissement, la mise en place de nouvelles formes de propriété des entreprises – je suis avec passion l’expérience des Fralib –, l’instauration de nouveaux droits pour les salariés et les syndicats, tels que le droit de veto face aux licenciements boursiers, la mise en place d’une fiscalité des entreprises qui tienne compte de leur comportement sur l’emploi…

Quelle est, selon vous, la part du Front de gauche dans l’émergence de ces exigences ? Marie-George Buffet. Nous avons construit un rapport privilégié avec les salariés et les syndicalistes. Ce sont eux, les ouvriers, les employés, les techniciens, les ingénieurs, qui luttent et produisent la richesse de notre pays. Ce qui se passe entre les syndicalistes et le Front de gauche est éclairant d’un nouveau rapport entre luttes syndicales et actions politiques. J’étais en réunion avec une cinquantaine de syndicalistes du privé comme du public, hier, à Dugny, en Seine-Saint-Denis. Si tous disent la nécessité des luttes, quel que soit le gouvernement, tous disent aussi le besoin de réponses politiques. Je sens que toutes les barrières qui existaient entre engagement social et syndical, d’un côté, engagement ou questions politiques, de l’autre, sont en train de tomber. Chacun à sa place, nous pouvons, nous devons, jouer la partie ensemble. Nous serons tous gagnants. L’utilité du Front de gauche, c’est qu’en portant une vraie politique de gauche, nous faisons bouger toute la gauche

Entretien réalisé par Max Staat

Textes extraits par Hervé Debonrivage (J’ai introduit des sauts de ligne et des caractères gras pour faciliter la lecture)


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