En République, la loi s’impose au contrat

samedi 31 mars 2012.
 

Le contrat de droit privé lie deux parties entre elles selon des modalités définies par le rapport de force qu’elles ont établies. Le contrat social lie les citoyens les uns aux autres pour la définition de l’intérêt général, par la loi. En République, le contrat social s’impose au contrat de droit privé, partout et tout le temps.

Le système français est basé sur ce que l’on appelle la hiérarchie des normes : la Constitution s’impose à la loi, qui elle-même s’impose aux contrats. Cette primauté de la loi est au principe de la construction du droit du travail en France. Le constat originel est simple : il ne peut y avoir de rapport de force individuel favorable à l’ouvrier. Ce dernier ne peut pas négocier son contrat d’égal à égal avec le patron : le salarié est dépendant du patron pour vivre, et le contrat de travail est un statut de subordination. C’est pourquoi le droit du travail en France a été conçu pour protéger le salarié en s’appuyant sur ce que les juristes appellent l’« ordre public social ». Les normes les plus protectrices s’imposent aux contrats. Ceux-ci ne peuvent, en vertu du principe de faveur, qu’améliorer les conditions de la relation de travail prévues par la loi. Il existe en quelque sorte un plancher légal qui s’impose aux accords de branche, d’entreprise et aux contrats de travail.

Par exemple, si une convention collective de branche prévoit un salaire horaire supérieur au SMIC, celui-ci devient la norme. En revanche, les dispositions des conventions collectives de branches qui n’ont pas été mises à jour et qui prévoient un salaire horaire inférieur au SMIC sont caduques. Dans ces cas là, c’est la loi qui s’impose, et donc le salaire horaire du SMIC. De même, sous le régime de l’ « ordre public social », une convention d’entreprise n’est pas valable si elle propose un salaire inférieur à celui prévu par la loi ou la convention de branche. Cela afin d’éviter le dumping social entre entreprises d’un même secteur.

Depuis 2004, la droite, sous prétexte de flexibilité, entame petit à petit cette logique protectrice du droit du travail

Prenant comme prétexte la soi-disant rigidité du marché du travail en France -comprenez la trop grande protection des droits des salariés aux yeux des libéraux-, les gouvernements de droite ont entamé la logique de l’ordre public social et de la primauté de la loi.

La loi Fillon du 4 mai 2004 a autorisé l’accord d’entreprise à prévoir des dispositions moins favorables pour les salariés que la convention de branche. C’est donc le dumping social qui a été introduit par l’actuel premier ministre, en plus d’un début de renversement de la logique du droit du travail que le candidat Sarkozy veut accentuer. Mais jusqu’à présent, et malgré cette dérogation à l’ordre public social, le contrat de travail n’était pas obligatoirement soumis à l’accord d’entreprise. Rien n’obligeait le salarié à accepter ce dernier, le contrat restait indépendant. C’est cette disposition qui a permis à Xavier Mathieu et ses camarades de résister aux pressions de Continental, en n’acceptant pas d’augmenter leur durée de travail à salaire égal.

En 2007, une nouvelle brèche est ouverte : la loi du 31 janvier 2007 oblige le gouvernement à soumettre aux partenaires sociaux tout projet de loi en matière de droit du travail. L’idée est de donner une « légitimité sociale » aux textes de loi. Cette mesure tend à installer l’idée que seuls les accords entre patronat et syndicats rendraient valides les lois sociales. De plus, elle cherche à rompre la courroie entre luttes sociales et lois en faveur des ouvriers et salariés. Cette dynamique est pourtant à la base de la République sociale, dans la lignée de laquelle s’inscrit le Front de gauche. C’est en effet de la loi que sont venues les concrétisations des luttes sociales pour les salariés en France, des retraites ouvrières et paysannes en 1910 aux 35 heures en 1997, en passant par les congés payés en 1936, le salaire minimum en 1950 et la retraite à 60 ans en 1981.

Cette légitimité donnée aux accords entre partenaires sociaux est inspirée des social-démocraties d’Europe du Nord. Dans ces pays en effet le droit social n’est régi que par les accords, aucune loi ne protège les travailleurs. En conséquence ne bénéficient de l’accord que ceux qui sont syndiqués, et ne sont tenus de l’appliquer que les patrons adhérents aux organisations patronales. L’ouvrier au chômage, ou salarié dans une entreprise affiliée à aucune organisation, n’a aucun moyen d’exiger son application. Les travailleurs sont démunis face aux patrons qui refusent de négocier. Pire, ce système crée une fracture entre salariés protégés et salariés non protégés, qui ont pu représenter au Danemark jusqu’à 20 % des travailleurs. En France, la loi étend la validité des conventions collectives à toutes les entreprises. 95 % de la classe ouvrière est donc protégée.

2012, le candidat Sarkozy propose de créer des « zones de non-République » dans les entreprises

Le « contrat de compétitivité », que le candidat Sarkozy propose de mettre en place s’il est réélu en 2012, consiste en une casse des droits sociaux sans précédent. Ce contrat permettrait à un accord d’entreprise de prévoir des conditions moins favorables que l’accord de branche et que la loi, en plus de s’imposer au contrat de travail. Sarkozy cherche en fait à imposer le contrat local contre la loi universelle pour briser les reins des syndicats, rendre impossible toute action collective à l’échelle nationale et condamner le salarié à un rapport de force individuel avec son employeur, perdu d’avance.

Avec ce contrat de compétitivité, un employeur pourra imposer la baisse des salaires et la variation du temps de travail au gré de l’activité de l’entreprise. Bien entendu, les salariés n’auront aucune voix au chapitre pour évaluer la situation de l’entreprise, la direction décidera seule de mettre en place de telles mesures. Ainsi, chaque patron pourra donc imposer à ses salariés ce que la direction de Continental a voulu imposer : travailler 40 heures payés 37, travailler le samedi sans heures supplémentaires et finalement être licenciés.

Cette proposition est non seulement réductrice des droits des ouvriers et génératrice de l’incertitude la plus grande, mais elle aboutit également, de fait, à la suppression de la durée légale du temps de travail. Chaque patron décidera arbitrairement de la durée de travail de ses salariés. Cela rappelle le travail à la tâche des ouvriers du XIXème siècle. Sarkozy propose donc de revenir à une situation similaire à celle des ouvriers il y a deux siècles, une révolution conservatrice en somme.

Face à cette tentative de destruction de la République, toute la gauche doit se mobiliser, en n’oubliant jamais que comme l’a dit Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l’esclave, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Claire Mazin

Article paru dans le journal A Gauche (numéro 1295)


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