Ayrault mou et flou, Mittal loup et voyou

mercredi 12 décembre 2012.
 

Drôle de sketch. En une conférence de presse Jean Marc Ayrault a créé bien plus de problème qu’il ne pourra jamais en régler. Premier problème : l’unité de la parole gouvernementale. Au contraire du BN du PS où il est bien normal que chacun fasse entendre sa nuance puisqu’il est élu pour cela, la parole d’un gouvernement ne peut-être qu’une et indivisible.

Dorénavant donc on saura que quand un ministre dit quelque chose, comme Montebourg, même d’aussi important qu’une nationalisation, il parle en son nom propre ! Tout cela c’est une grande nouveauté dans l’histoire gouvernementale en France et en Europe. D’ailleurs, dans ce dispositif, parler avec un ministre ne sert à rien car au moment de la discussion qui compte il n’est pas invité à participer et son nom n’est même pas cité à l’heure des conclusions. Deuxième problème : on découvre qu’un gouvernement, négocie un « accord » avec un grand patron. Il négocie sans les syndicats et même sans que ceux-ci aient jamais été informés du contenu de ce qui s’est discuté ! Tout cela venant d’un gouvernement qui ne cesse des vocalises sur la négociation sociale, les partenaires sociaux et autres refrains a prétention social-démocrate, ce serait savoureux si ce n’était si dramatique. Car enfin, puisque « l’accord » ne comporte aucune implication particulière de l’Etat, pourquoi négocie-t-il ? C’est là encore une grande nouveauté institutionnelle. Troisième problème. Une fois l’accord conclu comment se fait-il que deux ministres, Delphine Batho et Aurélie Filipetti, l’une et l’autre peu encline aux bavardages incontrôlés, affirment haut et fort qu’elles n’ont aucune confiance dans la partie contractante ? Donc quand le premier ministre signe, il n’engage que lui ? Encore une grande nouveauté institutionnelle ! Pour finir, pourquoi le texte de « l’accord » passé n’est-il pas connu des syndicalistes alors qu’il l’est d’un quotidien qui l’analyse la veille de la rencontre où les syndicats doivent le découvrir ? Peut-être parce que tout le monde va savoir bientôt qu’il y a un gros loup dans le flou volontaire du discours du premier ministre.

Commençons par dire pourquoi monsieur Mittal est si mal apprécié en France. En fait, il n’a jamais été le bienvenu. Car il n’a jamais rien fait pour le devenir. En 2006, c’est par une OPA hostile qu’il a pris le contrôle d’Arcelor. Il a pu le faire parce que ce génie de ministre des finances, Dominique Strauss-Kahn, avait vendu les dernières actions de l’Etat mon-10français au sein d’Arcelor, en 1997. Depuis 2006, Mittal n’a tenu aucun des engagements pris au moment de son arrivée comme au fur et à mesure de ses démêlées avec les salariés de l’entreprise et les pouvoirs publics. En 2006 au moment du rachat, il affirmait "Mittal Steel mesure l’importance que la Lorraine attache à l’industrie sidérurgique. Aucune suppression d’emplois n’aura lieu en Lorraine. Le groupe continuera à investir dans la recherche et le développement". Il a pourtant fermé Gandrange. En 2008, au moment de cette fermeture, Mittal avait promis d’investir 330 millions d’euros dans le site de Florange, en guise d’accompagnement. Il n’a jamais engagé ces investissements. Apparemment Mittal s’est aussi arrangé pour ne pas payer d’impôts en France ou très peu. Mittal n’a jamais respecté la France ni tenu aucune de ses promesses. Pourquoi tiendrait-il celle-ci ? Deux ministres socialistes ont dit qu’elles n’y croyaient pas. Et le maire socialiste de la commune de Florange non plus. Et nous non plus. Car Mittal est le prototype de l’industriel financiarisé. Mittal en personne est engagé jusqu’au cou dans la logique de suprématie de la finance sur la raison industrielle. Le contraire de ce qu’il faudrait ! La sidérurgie est une activité de base de l’industrie. Elle est donc un atout décisif de souveraineté. Elle connait des cycles. Sa rentabilité s’apprécie sur le long terme et non d’après des résultats trimestriels comme c’est le cas de la production sous surveillance financière. D’ailleurs Mittal s’est lui-même targué d’être meilleur dans les marchés de court terme.

Il est vrai que monsieur Mittal lui-même est autant un financier qu’un sidérurgiste et peut-être même davantage l’un que l’autre. Le PDG d’Arcelor Mittal, déjà présent au conseil d’administration de la banque indienne ICICI Bank, est devenu en 2008 membre de celui de Goldman Sachs. Désormais administrateur indépendant de Goldman Sachs, Lakshmi Mittal siège aux comités chargés des audits, des rémunérations, du gouvernement d’entreprise et des nominations. Lloyd Blankfein, PDG de Goldman Sachs, avait exprimé sa satisfaction : « sa grande compréhension de l’économie mondiale, son expérience, son jugement et son indépendance d’esprit seront un atout pour notre conseil d’administration ». Cette pommade passée avec ardeur souligne une vieille complicité en coup tordu ! Elle nous concerne car c’est avec l’aide de la sinistre banque américaine que Mittal en 2006 avait mis la main sur Arcelor. Vu ? Et ce que l’appartenance personnelle à la caste financière ne suffirait pas à faire les agences de notation l’obtiennent encore plus vite. Ainsi quand Moody’s a menacé Mittal de dégradation de sa note pour emprunter, Mittal a immédiatement renié l’accord qu’il venait de signer avec les syndicats belges du site Arcelor et purement et simplement fermé le site ! Tout cela Ayrault entouré de puissant services le sait puisque moi je le sais et je le sais parce que les syndicalistes du site me l’ont dit, tout simplement.

L’attitude du chef du gouvernement n’est pas claire du tout. Vendredi soir, Ayrault a rejeté toute idée de nationalisation. Selon Ayrault, cette hypothèse a été "écartée au vu des engagements obtenus d’ArcelorMittal. « La nationalisation peut certes être nécessaire dans des circonstances historiques particulières ou pour sauvegarder des intérêts supérieurs de la Nation. Mais elle n’est pas efficace face à un problème de débouchés pour une entreprise ou face à un problème de compétitivité". En disant cela, Ayrault contredit Montebourg. Mais il se met lui-même dans une drôle de passe. Si les "intérêts supérieurs de la Nation" ne sont pas en cause, comment explique-t-il que le gouvernement ait négocié seul avec Mittal ? Pourquoi les syndicats de l’entreprise n’étaient-ils pas autour de la table en même temps que M. Mittal ? Ils se seraientfait rouler moins facilement que Jean Marc Ayrault. A moins que Ayrault n’ait agit de propos délibéré !

Parmi toutes les questions qui restent en suspens, l’une est spécialement lourde. C’est celle de l’emploi. Jusqu’à Benoit Hamon qui se vante sur le plateau de mots croisés que les « 629 emplois sont sauvés » ! Pourtant, l’accord prévoit des suppressions d’emplois "au fil de l’eau", avec les départs à la retraites. Et il ne dit pas un mot sur les sous-traitants. Pourtant un gouvernement qui se mêle d’une situation locale d’emploi ne doit-il pas penser à tout le monde en commençant par les plus faibles, c’est-à-dire les ouvriers de la sous traitance ? Mais même si on laisse cela de côté, le fond du destin et du statut de ces 629 emplois Mittal n’est pas clairs. Que deviennent les salariés de Mittal affectés aux hauts fourneaux ? S’ils ne sont pas licenciés mais que les hauts fourneaux ne fonctionnent plus, que deviennent-ils ? Quel est leur statut ? Ils ne peuvent être autre chose qu’au chômage technique pendant des mois supplémentaires. Et qui paye ce chômage technique ? La collectivité ! Le précédent accord de chômage technique passé entre le gouvernement Fillon et Mittal prévoit que l’Etat et l’UNEDIC participent au financement à hauteur de 7 euros par heure chômé. Doit-on comprendre de l’accord entre Ayrault et Mittal que ce régime va continuer ? Cela signifierait que Ayrault préfère donner de l’argent public pour payer le chômage technique plutôt que de le placer dans la relance des hauts fourneaux au seul motif idéologique que la nationalisation ne doit pas avoir lieu ?

Les engagements d’investissements sur le site ne sont pas davantage précis. C’est pourtant la clef du dossier puisqu’il s’agit de savoir si ce site de production continue ou non. Ayrault a annoncé que Mittal s’engageait à investir 180 millions d’euros sur cinq ans dans la filière froide. On comprend donc que cet argent ne servira pas à payer les 8 millions d’euros par mois que coûte le maintien des hauts fourneaux à l’arrêt. Qui va donc payer cet entretien ? A l’inverse si cette somme est celle prévue pour l’entretien alors les 180 millions d’investissement de Mittal seraient donc absorbés en 2 ans et non en 5 ans comme l’annonce Ayrault. Et surtout bien sur, ils ne financeraient que l’entretien, pas de nouveaux investissements. Selon le journal « Le Monde » tout cela serait clair. Et c’est la confirmation du pire. "Les investissements stratégiques" ne représenteront que 53 millions d’euros des 180 millions. Soit moins d’un tiers du total ! Une arnaque absolue. Le reste sera composé par "le flux d’investissements courants, les investissements de pérennité, santé, sécurité et progrès continu, et la maintenance exceptionnelle". Et onmon-7 apprend ainsi que l’entretien des hauts fourneaux à l’arrêt est compris dans l’investissement ! Mais encore une fois faisons semblant de croire Mittal. Il prévoit donc royalement 53 millions d’investissements ?

Cette précision a son importance. Car fin juillet 2012, le rapport Faure, un rapport d’expert remis au gouvernement, a conclu que le site de Florange était "viable, fiable et rentable" pour peu qu’on y investisse 400 millions d’euros. Cette somme est jugée indispensable pour "compenser les retards" en termes d’investissement. 400 millions ce n’est pas 180 millions, comme annoncés par Ayrault et son « accord » ! Et encore moins 53 millions. Qui va donc payer les millions d’euros manquants entre les préconisations de l’expert et les promesses de Mittal, à supposer que celui-ci tienne sa promesse ? Là encore, l’accord signé par Ayrault ne le dit pas.

C’est évidemment parce que rien ne sera tenu. Cette somme n’a aucun sens sinon pour donner le change. Car le rapport Faure précise bien que l’intérêt du site de Florange est de rassembler sur un même site des hauts fourneaux qui coulent l’acier et une filière froide qui traite cette production. C’est d’ailleurs la revendication constante des sidérurgistes que de conserver la cohérence de la plateforme de production. Et c’est parce que Mittal refusait de maintenir cette cohérence en n’acceptant que la vente des hauts fourneaux que toute l’intervention de l’Etat s’est déclenché ! La question des garanties d’avenir sur les hauts fourneaux n’est donc pas secondaire, c’est au contraire le point de départ du problème posé.

Sur ce point, le flou est plus que total. Au point de sentir l’arnaque à plein nez ! Vendredi soir, Ayrault a annoncé que Mittal maintiendrait les hauts fourneaux à l’arrêt mais les entretiendrait pendant cet arrêt. Ce lundi, on a appris que Mittal n’avait pas l’intention de le faire et prévoyait de couper l’alimentation en gaz dans les prochaines semaines. En mars. Donc en mars les hauts fourneaux seront arrêtés et aucun repreneur ne sera plus intéressé par les restes du site. Par conséquent aucune menace n’aura plus de prise sur lui. On mesure mieux l’ampleur des bobards d’Ayrault en sachant cela.

En effet Ayrault a annoncé que Mittal maintiendrait les hauts fourneaux "sous cocon" jusqu’à la décision de la Commission européenne concernant le financement du projet ULCOS. ULCOS est un projet de captage-stockage de CO². J’en ai beaucoup parlé pendant la campagne présidentielle comme une illustration de notre projet de planification écologique. Plusieurs sites sidérurgiques européens postulent à un financement de l’Union européenne pour mettre en œuvre ce projet. La décision finale sera rendue le 20 décembre. Mais mettre les hauts fourneaux à l’arrêt et pire annoncer la date à laquelle il seront éteints, n’est-ce pas le plus mauvais argument pour obtenir le soutien de la Commission européenne ? Surtout quand on sait que celle-ci, compte tenu de la crise déclenchée par Mittal pour fermer le site, a déjà déclassé le projet Florange dans la liste des ayant-droit ! Tout ça ressemble à un cercle vicieux : Mittal ne relance pas les hauts fourneaux sans le projet ULCOS mais le projet ULCOS risque de ne jamais exister si les hauts fourneaux ne sont pas relancés avant la décision de la Commission. Et si Mittal s’est engagé à entretenir les hauts fourneaux jusqu’à la mise en œuvre du projet ULCOS, une autre question se pose alors.

Pourquoi ce projet ULCOS n’est-il pas mentionné dans le communiqué de presse de Mittal lui-même après l’accord ? Quelle garantie a réellement obtenu Ayrault ? Réponse : aucune. Ayrault ment. Le texte de l’accord nous apprend parait-il que Mittal pleurniche sur ce point. D’après lui le procédé ne serait pas au point. Mensonge. Ca fait huit ans que les ingénieurs travaillent dessus et il fonctionne en Suède déjà. Peu importe. Les pleurnicheries de Mittal veulent juste dire qu’il ne fera rien et que les hauts fourneaux ne démarreront pas tant qu’il sera là !


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