Pérouse, mardi 15 octobre, un peu après 16 heures, le juge Massimo Ricciarelli commence à lire la sentence : Enrico Triaca, ancien militant des Brigades rouges a dit la vérité en dénonçant qu’il avait été torturé en 1978. Les magistrats reviennent donc sur la précédente sentence qui avait infligée un an et quatre mois de prison à l’ancien brigadiste pour… calomnie.
Le mur de l’omerta se fissure…
C’est une première en Italie, les juges de Pérouse brisent le mur d’omerta qui depuis plus de 35 ans entourait un secret d’Etat : des fonctionnaires de la direction de la police politique, l’Ucigos, n’ont pas hésité à employer la torture pour obtenir des aveux car ils étaient chargés d’une mission officielle. Ils obéissaient à des ordres venant du gouvernement.
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Combien de personnes ont été torturées depuis ? « Il y a eu au moins 70 camarades qui ont formellement dénoncé avoir été torturés », déclare Enrico Triaca à Bakchich. « On peut néanmoins estimer que le nombre de prisonniers politiques qui ont subi des tortures est bien plus important car certaines personnes brisées par ces traitements ont décidé ensuite de devenir des collaborateurs de justice en acceptant de souscrire à la loi sur les « repentis ». Depuis, ils n’ont plus la possibilité de dénoncer les tortionnaires, sauf à perdre les bénéfices qu’offre la loi italienne aux délateurs » précise l’ancien militant qui a passé en tout 13 ans dans les prisons spéciales.
Les meilleurs tortionnaires du monde
Personne ne s’attendait pourtant à ce que la cour de Pérouse se prononce aussi vite. Après avoir entendu les témoignages du commissaire de la police politique, Salvatore Genova, l’homme qui recueillait les confessions sans infliger directement les supplices, et des deux journalistes, Matteo Indice et Nicola Rao, qui avaient rencontré et interviewé les tortionnaires d’état, les juges se sont exprimés sans tarder. Pourquoi une si grande rapidité pour réécrire une sentence ? D’un côté les faits sont aujourd’hui difficilement contestables, mais d’un autre, en résumant cette procédure à une seule et unique audience, les juges font aussi l’impasse d’appeler à la barre le « professeur de Tormentis ».
Le tortionnaire en chef, responsable d’une équipe de fonctionnaires avait fait de la torture leur travail quotidien. Des spécialistes. « Est-il exact que des agents de la Cia ont assisté à des ‘traitements ‘ et ont été surpris par votre technique ? » A cette question posée par le journaliste Nicola Rao, le fonctionnaire de l’Ucigos, Nicola Ciocia qui cachait son identité derrière le pseudo « professeur De Tormentis » n’avait pas hésité à répondre avec fierté « Les Italiens sont les meilleurs au monde. Les autres, ceux des autres pays, n’ont pas assez de tripes, ils n’en ont pas autant que nous, les italiens. Ce ne sont certainement pas les américains qui nous ont appris certaines choses, nous sommes les meilleurs . Voilà la vérité. »
Offenser l’intelligence d’un représentant de l’Etat italien…mérite une bonne correction
Une vérité qui était pourtant un secret. « Un secret qui dépasse ma personne. Il y a des secrets qui concernent quelque chose de plus grand et plus important : les secrets d’Etat. Et quand on agit au nom de l’Etat , on a les épaules couvertes. » Le professeur de Tormentis avait précisé au journaliste sa philosophie particulière.
« Je suis un combattant et celle contre les Brigades Rouges était une vraie guerre. Mais il faut aussi comprendre que ‘le traitement’ est quelque chose de très rationnel. Quand tu te retrouves face à une personne qui a été arrêtée et qui offense ton intelligence car elle nie l’évidence et qu’elle te raconte un tas de conneries çà n’a aucun sens de lui dire ‘ pardonnez-moi, c’est vous qui avez commis ce délit ?’ Non, il faut lui demander ‘ Mais pourquoi tu veux offenser mon intelligence ? Il ne faut pas offenser l’intelligence d’un représentant de l’Etat.’ Et là on rentre ainsi dans une phase de…oui, de contraste. Une phase importante. » Parole de tortionnaire.
Un Tortionnaire qui ne risque pourtant plus grand chose. Les faits sont désormais prescrits et… il n’existe aucune loi dans le code pénal italien qui condamne la torture.
Le jugement expéditif de la cour de Pérouse « amnistie » aussi Nicola Ciocia de devoir comparaitre à la barre, même comme simple témoin. Le tortionnaire en chef avait raison : quand on agit au nom de l’Etat, on a les épaules couvertes.
Enrico Porsia
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