1981 Le courage des idées

mercredi 12 mai 2021.
 

C’était il y a 40 ans. La victoire de François Mitterrand à la présidentielle. Tout un symbole pour la gauche. Et un héritage qu’il faut savoir regarder, aujourd’hui, en 2021.

16 mars 1981. François Mitterrand participe à l’émission politique « Cartes sur table » présentée par Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach sur Antenne 2. Fin de l’émission : « Monsieur Mitterrand, ça fait 1h20 que nous sommes ensemble. Nous avons donc chacun une dernière question à vous poser. La mienne est celle-ci : il y a actuellement cinq condamnés à mort dans des cellules. Je voudrais savoir si vous étiez élu président de la République, si vous les gracieriez ». De l’aveu même de celui qui pose cette question, Alain Duhamel, il n’avait pas prévu d’interroger le candidat socialiste sur ses intentions concernant la peine de mort. Trop sensible. D’autant qu’en mars 1981, les sondages donnent les deux qualifiés du second tour, Mitterrand et Giscard, à égalité parfaite. Tout est encore possible et le moindre écart pourrait être fatal. À ce moment-là, un sondage affirme que 63% des Français souhaitent le maintien de la peine de mort. Une minute avant même de lui adresser une dernière question, Duhamel reconnaît ne toujours pas savoir qu’il entraînerait Mitterrand sur ce terrain glissant. Et s’il reconnait volontiers aujourd’hui qu’il ne souhaitait pas la victoire du socialiste, le journaliste avoue avoir pris conscience du tournant qu’allait prendre cette fin de campagne électorale, au moment même de l’interroger sur la peine de mort.

La réponse, grave, de François Mitterrand restera comme l’un des grands moments de vérité et d’intégrité de l’histoire politique contemporaine, qui font tant défaut à la politique – sans doute aujourd’hui plus encore qu’hier. La vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Quitte à fâcher l’opinion. Ainsi lâche-t-il : « Pas plus sur cette question que sur les autres, je ne cacherai ma pensée. Et je n’ai pas du tout l’intention de mener ce combat à la face du pays en faisant semblant d’être ce que je ne suis pas. Dans ma conscience profonde qui rejoint celle des Églises, l’Église catholique, les Églises réformées, la religion juive, la totalité des grandes associations humanitaires, internationale et nationale, dans ma conscience, dans le fort de ma conscience, je suis contre la peine de mort. Et je n’ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire. Une opinion majoritaire est pour la peine de mort. Je suis candidat à la présidence de la République et je demande une majorité de suffrages aux Français, mais je ne la demande pas dans le secret de ma pensée. Je dis ce que je pense, ce à quoi j’adhère, ce à quoi je crois, ce à quoi se rattachent mes adhésions spirituelles, ma croyance, mon souci de la civilisation. Je ne suis pas favorable à la peine de mort ». Et de conclure sur le pouvoir « excessif d’un seul homme de disposer de la vie d’un autre ».

On peut refaire le film Mitterrand. Lui trouver le meilleur : les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, les nationalisations, la création de l’Impôt sur les grandes fortunes ou les grands travaux (et notamment des grands établissements culturels : les Pyramides du Louvre, la Bibliothèque Nationale de France ou encore l’Opéra Bastille). Et bien sûr l’abolition de la peine mort. On peut aussi lui trouver le pire : le tournant de la rigueur en 1983 et les privatisations. L’aveuglement du génocide rwandais aussi. Dans le pire, il y a également les manipulations politiciennes qui laisseront des traces. L’introduction du scrutin proportionnel pour les législatives de 1986 n’avait qu’un objectif : affaiblir ses adversaires et diviser la droite. 35 députés du parti de Jean-Marie Le Pen ont ainsi fait leur entrée au Palais Bourbon. À l’occasion aujourd’hui des 40 ans de mai 1981 et de l’accession au pouvoir de François Mitterrand – qui s’apprêtait à faire entrer quatre ministres communistes au gouvernement –, tous les coups seront permis. Mais s’il y a une chose que les hommes et les femmes politiques seraient bien inspirés de retenir, et singulièrement à gauche, c’est la liberté dans laquelle s’est inscrite son action politique. Mitterrand était un homme libre. Et l’élection de 81 s’est jouée sur un désaccord politique entre les Français et Mitterrand. Il a tenu bon.

À l’heure des grands moments de l’histoire de France, celui ou celle qui à gauche regardera les Français en assumant – malgré les sondages qui n’y invitent pas – qu’il faut régulariser les sans-papiers et créer les conditions d’un accueil digne des migrants ; qu’il faut étendre les droits démocratiques aux étrangers et changer d’ère institutionnelle, donc de République ; qu’il faut partager le travail et réduire dans la durée le temps passer à travailler mais aussi interdire les licenciements ; qu’il faut sortir la recherche et la santé des logiques de concurrence et du profit à tout prix ; qu’il faut sortir de la course à la croissance ; qu’il faut repenser nos modes de consommation pour sauver la planète ; qu’il faut donner des droits nouveaux aux enfants nés par GPA et légiférer en la matière ; qu’il faut légaliser le cannabis ; qu’il faut en finir avec la financiarisation du monde et annuler les dettes ; qu’il faut cesser de financer les écoles privées ; qu’il faut rétablir un impôt juste à commencer par la taxation des plus grandes fortunes ; qu’il faut mettre en œuvre l’égalité salariale stricte entre les femmes et les hommes ; qu’il faut pouvoir « éteindre la lumière » et garantir un droit à mourir dans la dignité. La liste est longue des idées à gauche que l’on peine défendre au grand jour. Ou que l’on ne défend que trop timidement.

La gauche ne s’assume pas et c’est bien tout ce qui manque à gauche : s’assumer être de gauche. Assumer l’idée de vouloir ancrer plus encore la France dans la civilisation. Celui ou celle qui assumera tordre le cou aux idées reçues, aux idées majoritaires et aux « opinions » ; celui ou celle qui ne cèdera à rien de ses idées, de ses rêves et de ses convictions – sans jamais sombrer dans la compromission dans laquelle l’exercice de l’État a toujours conduit la gauche de gouvernement – saura redonner espoir dans des jours meilleurs. Parce que faire de la politique, c’est rêver mais c’est aussi convaincre de la possibilité de ses rêves pour tous. C’est ce qu’on appelle la bataille des idées. La bataille culturelle. Celle que Mitterrand a gagnée. Et que l’on ne gagne plus. La gauche a abandonné ses rêves et lui préfère la « réalité concrète », le « pragmatisme » quand ça n’est pas le « bon sens ». Elle doit retrouver le chemin des utopies concrètes.

Pierre Jacquemain


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