L’antivaccinisme est-il de droite ou de gauche ?

jeudi 4 novembre 2021.
 

L’hostilité ou la méfiance à l’égard des vaccins ne recoupe pas un clivage idéologique du type droite/gauche. Ainsi, considérer les « anti vax » commettant d’idéologie d’extrême droite ou religieuse dans leur majorité constitue une erreur d’appréciation.

Source : Mondes sociaux. Hypothèse.org

L’antivaccinisme est-il de droite ou de gauche ?

https://sms.hypotheses.org/20525

PAR LAURENT-HENRI VIGNAUD ET FRANÇOISE SALVADORI · PUBLIÉ 30/09/20 Des Mondes sociaux MIS À JOUR 14/10/2019

Depuis l’entrée en vigueur en janvier 2018 de la loi portant à onze le nombre de vaccins obligatoires, les anti-vaccin sont ressortis du bois pour clamer haut et fort leur opposition. En réalité, dans ses différentes variantes et formes militantes, cette opinion n’a jamais cessé d’accompagner les vaccins depuis leur invention par Edward Jenner à la fin du XVIIIe siècle, et même depuis l’introduction en Europe vers 1720 du procédé apparenté de l’inoculation variolique.

L’OMS vient de désigner « l’hésitation vaccinale » parmi les dix menaces les plus importantes pour la santé publique mondiale au cours de l’année qui vient. C’est dire combien, y compris dans les plus hautes instances, on mesure l’importance de ce phénomène social. Certes, il n’est jamais majoritaire mais il peut, ici ou là, entraver les campagnes vaccinales et se répandre auprès d’un public plus large grâce aux moyens de communication numérique modernes.

Salvadori F., Vignaud L.-H., 2019, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Paris : Vendémiaire

Trois formes d’antivaccinisme

De nos jours, à l’appui d’une angoisse générale face à un environnement pollué, la médecine n’est pas épargnée par le soupçon d’empoisonnement – il est vrai en partie justifié par une série de scandales sanitaires plus ou moins graves. La première forme de refus des vaccins est donc la simple hésitation, typique de parents qui s’interrogent sur ce que l’on injecte à leur progéniture. Les pédiatres doivent rassurer et convaincre ces parents méfiants qui peuvent se montrer très hostiles.

La deuxième forme est plus intellectuelle et moins émotionnelle. Le « vaccino-scepticisme » consiste à scruter à la loupe les statistiques (fondement de tout raisonnement épidémiologique) pour y traquer les mensonges – réels ou supposés – de l’industrie pharmaceutique et des pouvoirs politiques qui incitent à se faire vacciner.

La troisième forme, le cœur du militantisme antivax, tend à présenter les vaccins comme inutiles ou superflus pour combattre les maladies, voire à les considérer comme un poison dangereux. Bien entendu, ces opinions se distinguent en degré et non en nature : selon le lieu, le moment ou l’interlocuteur, une même personne peut tenir chacun des trois discours ou se contenter d’un seul.

L’antivaccinisme aussi vieux que les vaccins

Dès l’introduction en Europe du procédé « asiatique » de l’inoculation variolique par Lady Montagu, la méthode, qui ne correspond à aucune théorie médicale alors en vigueur, suscite des oppositions. On la présente comme un remède de « bonnes femmes », une pratique barbare (car importée de Turquie) et assassine, puisqu’il est possible de contracter une variole sévère après avoir été inoculé. C’est vrai, mais

Après l’invention de la vaccine, moins dangereuse et non contagieuse, puis les progrès accomplis à la fin du XIXe siècle par les disciples de Pasteur et de Koch, le nombre de vaccins disponibles augmente. Mais loin d’apaiser les esprits, ils accroissent au contraire la crainte de ceux qui les jugent au mieux inefficaces, au pire toxiques – les antivax contemporains.

Qui sont donc ces réfractaires ? Une étude de psychologie réalisée en 2017 pour Nature Human Behavior a testé la réaction d’un large échantillon de personnes à des couples de valeurs morales. Les personnes hésitantes ou hostiles aux vaccins présentent un profil particulier du point de vue de l’adhésion à ces valeurs, notamment pour les antagonismes pureté/impureté, protection/nuisance et liberté/contrainte. Les anti-vaccin paraissent donc plus sensibles que les autres au thème de la pureté et du respect de la stricte liberté individuelle.

L’étude a aussi démontré que l’altruisme ou la bienveillance à l’égard du groupe sont moins marqués que la moyenne : chez ces individus, le risque individuel est surestimé et le danger collectif sous-estimé. Un tel profil psychologique contemporain correspond largement à ce que nos propres recherches ont montré à partir des sources historiques.

L’antivaccinisme de droite

Dès l’Ancien Régime, cet archétype de valeurs se retrouve indistinctement dans toutes les couches sociales, y compris les plus aisées et les plus éduquées. Loin des stéréotypes couramment admis, l’antivaccinisme n’est pas l’opinion d’ignorants ni de précaires, lesquels confient plus volontiers leur destin aux autorités sanitaires.

Celles-ci mettent aussi du temps à se décider. Au XVIIIe siècle, lorsque la faculté de médecine est sollicitée pour donner son avis éclairé sur l’inoculation, elle ne parvient pas à conclure, pas plus que la faculté de théologie sollicitée en même temps qu’elle. Si, dans certaines églises et dans certains temples, on fait l’éloge de cette méthode providentielle qui permet d’éviter la mort à de nombreux enfants et adultes, d’autres prédicateurs présentent l’inoculation comme une invention du diable.

Pratiquée dans les milieux aristocratiques français, encouragée par les philosophes comme Voltaire, l’inoculation permet aux femmes de porter des robes sans corset durant la période d’incubation et exempte les patients de messe. Elle est par conséquent très mal vue par certains prêtres. On observe cette même méfiance dans la haute Église et chez les conservateurs Tories en Angleterre, pourtant mère patrie des premiers vaccins.

Au milieu du XIXe siècle, l’antivaccinisme se nourrit de nationalisme. On reproche à la vaccine d’« affaiblir la race », de produire des générations incapables de se battre ou d’engendrer. Ce malentendu n’est levé qu’après la guerre de 1870 au cours de laquelle les Allemands, vaccinés et revaccinés depuis des décennies, l’emportent sur les Français, plus mal immunisés.

Les avancées de l’immunologie et l’arrivée de nouveaux vaccins affaiblissent l’antivaccinisme « scientifique » qui profitait jusque-là de l’incapacité des savants à expliquer les mécanismes de l’immunité. Les antivax de l’Entre-deux-guerres sont des mystiques qui ne jurent plus que par le « terrain » et prophétisent, tel le docteur Carton en 1922, que « les périodes de grande dépravation et de matérialisme sont toujours suivies de plaies et d’épidémies ». Ce courant médical réactionnaire et holiste, favorable aux médecines « douces » et « naturelles », trouve une oreille favorable en Allemagne auprès des nazis. Certains ténors du parti comme Streicher ou Göring, et peut-être Hitler lui-même, souhaiteraient mettre fin au régime de l’obligation vaccinale instaurée par Bismarck mais l’état-major de l’armée allemande s’y oppose farouchement.

Aujourd’hui, parmi les antivax les plus résolus, se trouvent quelques membres de sectes de toutes religions, souvent par ailleurs très conservatrices d’un point de vue politique. En conséquence, des épidémies surviennent à intervalles réguliers dans des petites communautés d’ultras et de fondamentalistes, qu’ils soient chrétiens, juifs, musulmans ou autres. Une récente épidémie de rougeole s’est ainsi répandue en France de 2008 à 2012 autour d’établissements catholiques intégristes situés en Bourgogne, Bretagne et Artois. Une autre a touché en 2019 la communauté juive orthodoxe de New York.

Parmi les fausses informations qui circulent sur le net concernant les vaccins, certaines (comme le vaccin antitétanique qui rendrait stérile ou celui contre la rubéole fabriqué à partir de « 27 fœtus humains ») sont directement issues de ces milieux militants marqués à droite. Les vaccins contre les maladies sexuellement transmissibles (hépatite B ou Papillomavirus) sont présentés par ces mêmes groupes comme des passeports pour la débauche. Ainsi, les réserves strictement théologiques se révèlent bien moins importantes dans cet argumentaire antivax conservateur que les préoccupations morales touchant l’intégrité physique et la sexualité.

** L’antivaccinisme de gauche

De son côté, la gauche s’empare du sujet des vaccins avec les premières lois d’obligation vaccinale, notamment la loi anglaise de 1853. Cette dernière oblige en théorie tous les enfants à se faire vacciner mais seule la vaccination des pauvres est surveillée à l’entrée des usines, des ateliers ou des établissements de charité. Certains philanthropes y voient une atteinte inacceptable aux droits individuels, atteinte qui cache mal le désengagement progressif de l’État à l’égard des méthodes prophylactiques classiques de l’hygiénisme incarnées en Angleterre par James Chadwick et en France par François-Vincent Raspail.

L’antivaccinisme accompagne donc la naissance des premiers mouvements ouvriers, féministes et de protection animale – l’expérimentation animale devenant nécessaire à cette nouvelle médecine biologique qui émerge. Dans ce contexte, les libéraux dénoncent l’intrusion de l’État dans les foyers et les socialistes une médecine chimique qui se substitue à l’aide sociale. En conséquence, entre 1870 et 1945, presque tous les votes contre les lois d’obligation coalisent une partie des démocrates-chrétiens et certains ténors de la gauche progressiste, tel Adolf Vogt en Suisse ou Julius Moses en Allemagne.

Au cours des années 1960 et 1970, le climat général de remise en cause du scientisme et du complexe militaro-industriel alimente cet antivaccinisme de gauche. Le « progrès » lui-même, valeur fondatrice des Lumières, est soumis à la critique. En parallèle, le développement de l’industrie pharmaceutique est questionné par tous ceux qui dénoncent le profit capitaliste d’un secteur extrêmement concentré – de nos jours, seuls quatre grands laboratoires privés fabriquent la majorité des vaccins utilisés dans le monde.

S’y ajoute un antivaccinisme écologique qui correspond à l’une des extensions de l’archétype que nous avons mis à jour : le vaccin est une pollution de l’organisme (d’où l’obsession envers les adjuvants) ; il empêche la nature d’accomplir son œuvre tout en étant un artifice coûteux et nuisible. Une partie de l’écologisme politique français est sensible à ces arguments, également repris tels quels par l’extrême-droite souverainiste.

Aux États-Unis, les deux mouvements cohabitent aujourd’hui et alimentent la planète entière d’argumentaires tout faits et transpartisans. Les « libéraux » (gauche) constituent cette partie de l’opinion écologiste radicale et upper class qui forme l’antivax de type « californien » (la récente épidémie de rougeole à Portland appartient au même type).

Les « libertariens » (droite) forment l’autre partie constituée de parents très hostiles à l’intrusion de l’État dans la cellule familiale sanctifiée et où le rôle maternel est généralement surinvesti. Tous se rejoignent dans leur obsession de la pureté, une conception atomiste du corps social et une forte opposition à toute forme de contrainte qu’elle soit politique ou médicale.

** Commentaires HD

Un texte intéressant qui fait une bonne rétrospective de l’anti- vaccinalisme et qui a le mérite de montrer que celui-ci n’est pas l’apanage de l’extrême droite selon une idée reçue en vogue. Il faudrait toutefois être prudent pour pouvoir plaquer mécaniquement ce texte à la situation actuelle. En effet « l’hésitation vaccinale » d’un certain nombre de citoyens de droite comme de gauche s’explique pour les raisons spécifiques suivantes :

1) les vaccins sont encore en période d’essai : par exemple pour Pfizer jusqu’au 2 mai 2023 (selon les laboratoires eux-mêmes et l’agence européenne du médicament) il en résulte que la connaissance statistique des effets indésirables notamment les plus graves n’est pas encore fiable ou complète selon les tranches d’âge et les pathologies.

2) Selon cette même agence, 20 % du contenu du vaccin est tenu secret (information relayée par Michèle Rivasi , députée européenne membre de la commission alimentation et santé.

3) Les laboratoires refusent de reconnaître leur responsabilité pour indemniser les personnes victimes des faits indésirables graves du vaccin.

Difficile donc de taxer « d’anti vax » des citoyens qui ne font preuve tout simplement que de bon sens et d’absence de préjugés idéologiques sur cette question.

Il est vrai que des fractions de l’extrême droite ont exploité politiquement cette « hésitation vaccinale » en brandissant l’étendard de la Liberté. Le texte précédent a le mérite de montrer que cette préoccupation de la liberté chez certaines forces d’extrême droite n’est pas nouvelle et ne peut donc se réduire, semble-t-il, à un simple opportunisme électoral.

Cela constitue néanmoins un paradoxe car l’idéologie d’extrême droite est plutôt favorable à des régimes politiques autoritaires ou la liberté individuelle est pour le moins battue en brèche.

Mais il faut aussi se garder des amalgames : les manifestants hostiles au passe sanitaire dont bon nombre était vaccinés n’étaient et ne sont pas hostiles aux vaccins mais hostiles à son obligation.

Sur ce point LFI et le RN, ainsi que Florian Philippot étaient d’accord. Rappelons aussi que l’obligation vaccinale en France dans le passé a été rendue possible après des années d’utilisation des vaccins et après avoir passé depuis longtemps leur période d’essai.

** Dans la situation actuelle de la pandémie de COVID 19, quels sont les positions des instances religieuses officielles ?

a) Concernant la religion catholique, notons que les évêques de France se sont prononcés pour le passe sanitaire. https://libertepolitique.com/Actual...

Le pape François appelle tous les chrétiens à se faire vacciner. « Se faire vacciner contre le COVID 19 est un acte d’amour » https://www.ouest-france.fr/sante/v...

b) La commission d’éthique protestante lance un appel à la vaccination. https://www.reforme.net/societe/202...

c) Le leader religieux musulmans demande à leurs fidèles de se faire vacciner. https://ici.radio-canada.ca/nouvell...

d) Le dalaï-lama a exhorté la population de se faire vacciner.

https://www.ouest-france.fr/sante/v...

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Hervé Debonrivage


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