Chili : La gauche remporte la présidentielle avec 56% au 2ème tour

lundi 27 décembre 2021.
 

« Si le Chili est le berceau du néolibéralisme, il sera aussi son tombeau »

Chili : après deux ans de lutte une victoire plus que symbolique

1) Au Chili, le réveil antifasciste fait gagner la gauche

Prenant appui sur un large front antifasciste de la jeunesse et de la génération du coup d’État, Gabriel Boric a mené une intense campagne de politisation pour faire reculer l’extrême droite et une abstention galopante. Sa victoire avec 56 % des voix est à la hauteur espérée.

Mathieu Dejean. 20 décembre 2021 à 07h46

Un week-end de surchauffe, et une victoire haut la main pour la gauche. Ce 19 décembre, tôt dans la soirée, les rues de la capitale du Chili bruissent de concerts de klaxons et de chants victorieux. « À bas le fascisme ! », « Le Chili s’est réveillé ! », « Boric, ch ch ch ! », reprennent en cœur les partisans de Gabriel Boric, qui devient, à 35 ans, le nouveau président du pays avec 55,9 % des voix, contre 44,13 % pour son adversaire d’extrême droite, José Antonio Kast.

L’arrivée en tête du premier tour de ce nostalgique de la dictature de Pinochet, le 21 novembre dernier, a déclenché un vaste réveil antifasciste dans tout le pays. Après la révolte sociale de 2019, le référendum pour une nouvelle constitution approuvé par 80 % des votants en octobre 2020, et l’élection des délégués à la Convention constitutionnelle qui a balayé la droite à l’été 2021, la possibilité d’un retour de bâton pinochetiste a été tuée dans l’œuf.

« C’était impossible qu’on devienne un pays fasciste, après tant d’années à lutter. Je n’ai fait que ça toute ma vie », se félicite Juana Aguilera Jaramillo, ex-militante du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) de 64 ans, et présidente de la Commission éthique contre la torture (CECT), en revêtant son foulard rouge et noir pour prendre la direction de la liesse populaire, bientôt gigantesque, sur l’avenue Alameda où le vainqueur doit prendre la parole.

A 22 h, Boric apparaît sur scène sous les acclamations, face à une marée humaine. « Je me sens l’héritier d’une longue trajectoire historique, celle de ceux qui ont cherché inlassablement la justice sociale, l’extension de la démocratie, la défense des droits humains, la protection des libertés. C’est ma grande famille, celle que j’aimerais voir à nouveau réunie dans cette nouvelle étape que nous commençons », déclare-t-il, dans un discours souvent entrecoupé d’explosions de joie.

Des mémoires en miroir

Un frisson émotionnel parcourt la foule quand, en fin d’allocution, l’ancien leader étudiant paraphrase le discours de victoire de Salvador Allende, le 4 septembre 1970, enjoignant ses soutiens à rentrer chez eux « avec la joie saine de la victoire nette obtenue ». Les vieux chants de l’Unité populaire ne tardent pas à s’élever du public, comme une réponse pleine d’espoir et de reconnaissance.

Pour parvenir à ce résultat, Gabriel Boric a totalement changé de braquet après le premier tour. Conscient de l’urgence du moment et des faiblesses de son mouvement – perçu comme jeune, diplômé, concentré à Santiago, peu audible pour les classes populaires des zones rurales –, le leader de la nouvelle gauche chilienne a déployé une vaste campagne de porte-à-porte jusque dans les régions les plus reculées, à laquelle de nombreux bénévoles se sont joints.

Le ralliement de la très populaire Izkia Siches (la présidente de l’Ordre des médecins), devenue sa porte-parole, n’y est pas pour rien, tout comme l’idée repoussoir d’une possible victoire d’un pinochetiste.

« Tout militant de gauche au Chili a au moins un membre de sa famille qui a été victime de la dictature. Mon grand-père a été prisonnier politique, ils l’ont torturé, il est mort en prison. Ce n’était pas tolérable », explique Luis Thielmann, historien et intellectuel organique du Front large, la coalition de Gabriel Boric. « La peur de beaucoup de militants de gauche radicale, qui dans d’autres circonstances n’auraient pas voté Boric, était réelle, et la mémoire présente », ajoute-t-il.

Ce séisme a eu des répercussions jusqu’à Santa Maria, petite ville rurale située dans la vallée aride d’Aconcagua, dans la région de Valparaíso, à cent kilomètres au nord de Santiago. Si proche, et à la fois si loin de la capitale.

« Les gens qui vivent ici payent le prix du système néolibéral : l’extractivisme des mines de cuivre, la pollution des fleuves, les déchetteries... Il faut bien qu’un territoire l’absorbe », décrit Eduardo León, conseiller régional de la province de San Felipe (dont dépend Santa Maria), et militant du Parti pour la démocratie (centre-gauche).

Les habitants de Santa Maria partagent aussi une défiance tenace à l’égard de la politique. C’est parmi les classes populaires de ces zones agricoles que le candidat Kast a en partie fait le plein de voix au premier tour. Dans cette ville victime de sécheresse et où l’eau – privatisée – bénéficie en priorité à l’agro-industrie, l’admirateur de Pinochet est non seulement arrivé en tête au premier tour, mais Boric a failli louper la deuxième place, dépassant de peu le candidat ultralibéral Franco Parisi (19,25 %, contre 19,38 % pour Boric).

Ce 19 décembre, le candidat de gauche l’a emporté avec 57 % des voix sur Kast, symbole du grand renversement qui a eu lieu en trois semaines.

Politisation en « zone de sacrifice »

Abritée des 35 degrés qui brûlent la peau dehors, dans sa maison décorée pour Noël, Constanza Fernandez n’avait pas de doutes sur cet épilogue victorieux. La cheffe du commando local de Boric, âgée de 29 ans, a vu arriver un afflux de bénévoles dès le 20 novembre, alors qu’ils n’étaient que quatre militants auparavant.

« Très vite, une union s’est faite avec des gens qu’on avait connus pendant la campagne pour le “oui” au référendum pour une nouvelle constitution, et des gens qui militent dans des mouvements sociaux locaux en défense de l’environnement. Dans le centre, les gens répondaient favorablement au porte-à-porte, non seulement pour notre programme, mais aussi par peur du fascisme. Le processus de politisation qu’on connaît depuis 2019 n’y est sûrement pas pour rien », explique-t-elle.

À l’échelle de la région de Valparaíso, cette politisation récente a donné lieu à l’élection de Rodrigo Mundaca, militant contre la privatisation de l’eau au sein du mouvement Modatima, comme gouverneur régional en mai dernier. Dans cette vallée parsemée de « zones de sacrifice » (comme le fleuve pollué d’Aconcagua, ou celui, asséché, de Petorca), l’eau est un sujet hautement sensible.


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