Lettre ouverte à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances

lundi 20 juin 2022.
 

Cher monsieur Le Maire,

Tout à l’heure vous m’enjoigniez de vous répondre. Je vous ai demandé le temps de m’extraire de l’enfer de la circulation Porte Maillot à Paris pour arriver chez moi et sauter sur mon clavier. M’y voici. Commençons par dire que j’ai exagéré à propos de la porte Maillot. Même la porte d’Orléans est un paradis à côté alors que l’on y passe de l’autoroute à une seule file pour entrer dans la capitale. En réalité l’enfer est moins cruel que l’organisation de la circulation Porte Maillot. Le chaos y est à son comble et toutes les circulations y sont bloquées sur des kilomètres de périphérique par-dessus le marché. Le sort des Parisiens est d’être maltraités de cette façon presque partout. Quant aux banlieusards, on connaît leur destin : justement ils sont bannis. Venons à notre affaire.

Ce matin, monsieur le ministre des Finances Bruno Le Maire, vous avez reconnu le chiffre de 80 milliards à compenser dans le budget pour retrouver le niveau de 3% de déficit annoncé comme objectif par monsieur Macron. La veille, vous disiez pourtant le contraire à France 2 et me traitiez de complotiste, à moins que ce soit le ravi de la crèche monsieur Castaner qui s’en soit chargé. Le mystère n’est pas épuisé pour autant. Car inexplicablement, vous avez reconnu vouloir retirer (seulement) 40 milliards du budget. Mais de nouveau sans dire ni où ni comment. Pourquoi 40 milliards ? Où est passé le reste du déficit ? Mais 40 milliards c’est quand même beaucoup. C’est le budget de plusieurs ministères. Votre recette ? Vous comptez sur la croissance pour produire ces recettes nouvelles. Pourtant celle-ci est au point mort et même négative depuis un trimestre. Les électeurs ont le droit à davantage de sérieux dans la politique financière du pays. L’argent magique n’existe pas, comme l’a dit Emmanuel Macron. Seule la relance de l’économie repoussera le danger de la récession et son cortège de chômage et de déficits sociaux.

Mais pour finir, vous me posez trois questions précises.

D’abord, vous me demandez si je m’engage à faire la retraite à 60 ans sans baisse des pensions. Je suis ravi de vous voir vous intéresser à la retraite à 60 ans ! Notre réforme comporte trois volets. D’abord le passage à la retraite à soixante ans à taux plein et sans décote pour 40 annuités. Ensuite la hausse de toutes les pensions inférieures à 1063 euros pour que toutes parviennent à ce minimum. Enfin, troisième volet, la retraite pour quarante annuités ne sera jamais inférieure à 1500 euros pour une carrière complète. Donc non seulement il n’y aura pas de baisse des pensions mais elles vont augmenter.

En revanche, les pensions baisseraient avec la retraite Macron à 65 ans. En effet, de moins en moins de personnes réussiront à travailler assez longtemps pour atteindre le taux plein. Ce recul social sera pour l’essentiel payé par plus de chômage, de personnes dépendantes des minima sociaux ou de pensions d’invalidité. Et il coûtera 4,5 milliards aux caisses de la Sécurité sociale en RSA et allocation chômage selon le très officiel Comité d’orientation des retraites. Où trouvez vous cette somme qui s’ajoute au déficit des comptes sociaux ?

L’ensemble de nos mesures sur les retraites sont chiffrées et publiques. Je les ai détaillées dans une interview au magazine « Alternatives Économiques ». Le passage à la retraite à soixante ans à taux plein et sans décote pour 40 annuités coûte 29 milliards. Dans les grandes lignes, voilà notre financement. Résorber les inégalités de salaire entre femmes et hommes : 5 milliards. Économies sur les prestations sociales, allocations chômage et dépenses de santé : 4 milliards. Faire payer des cotisations sociales supplémentaires aux plus hauts salaires : 4 milliards. Enfin, augmenter les cotisations vieillesse de 0,25 points par an : 16 milliards. Comme ce niveau de croissance est inférieur à la croissance moyenne constatée des salaires les années passées, les salaires nets continueront d’augmenter. Le compte est bon. Mais on ne peut pas en dire autant de vos comptes, cher monsieur Bruno Le Maire.

Puis vous vous inquiétez de notre intention de bloquer les prix, et surtout des moyens de le financer. Vous ne comprenez pas que l’État ne va pas compenser le blocage des prix. Notre logique n’est pas la vôtre. Nous ne voulons pas, comme vous, garantir à tout prix les profits. Les entreprises pétrolières devront baisser leurs marges pour respecter les prix bloqués. Elles le peuvent : elles ont réalisé des profits exceptionnels cette année. Voyez par exemple le cas de Total qui a enregistré un profit historique, le plus important jamais réalisé par une entreprise française. Quant à l’alimentation, la baisse sera payée par la grande distribution. L’agriculteur, lui, n’empoche que 8 centimes sur 1 euro affiché en rayon. Je vous fais remarquer que le blocage des prix, y compris sur l’essence, existe aujourd’hui dans les départements d’Outre-mer. Cela n’y entraîne ni chaos, ni pénurie, ni rationnement. Cela n’a pas été le cas non plus lorsque M. Rocard a bloqué les prix du carburant en 1991, ou que M. Macron lui-même a bloqué les prix des masques et du gel hydroalcoolique.

Enfin, vous vous inquiétez pour le nucléaire. Il y a de quoi. L’incompatibilité entre le nucléaire et les conséquences du réchauffement climatique est désormais une évidence, même pour ses plus fervents partisans. La preuve : le 6 juin 2022, EDF a baissé la puissance d’un réacteur nucléaire de plus à cause du faible débit du Rhône. La sécheresse et les vagues de chaleur exceptionnelles risquent de devenir la norme. En toute hypothèse, la question n’est donc plus de savoir si nous allons sortir du nucléaire mais comment et dans quels délais si nous ne voulons pas connaitre une panne généralisée.

Dans ce domaine aussi le gouvernement auquel vous appartenez fonce dans le mur. En effet, les futurs EPR et autres mini-réacteurs ne résisteront pas davantage et ne seront pas opérationnels avant 2040 ! Vous m’interrogez sur les premiers réacteurs à fermer ? Mais vous connaissez la liste ! C’est vous qui l’avez établie ! La liste des 14 premiers réacteurs à fermer d’ici 2035 a été fixée en 2020 par EDF et entérinée par la Programmation Pluriannuelle de l’énergie. Bien sûr, depuis, Emmanuel Macron a annulé cette trajectoire, je le sais bien. En février 2022, il a décidé (tout seul comme d’habitude) qu’« aucun réacteur en état de produire ne doit être fermé ». Patatras, la moitié des réacteurs sont déjà à l’arrêt, dont douze pour cause de corrosion. Cause structurelle, irrattrapable sans de nouvelles dépenses somptuaires qui s’ajouteront au déficit déjà constaté. Comment le financez-vous ?

Évidemment, planifier la sortie du nucléaire intègre la réhabilitation et la reconversion des sites nucléaires et de l’ensemble de leur bassin de vie. Les travailleurs des centrales nucléaires sont les plus qualifiés pour mener à bien le démantèlement des centrales et la montée en puissance des renouvelables. Bien sûr, sobriété et efficacité sont indispensables. Les énergies marines renouvelables sont la clé du futur. L’océan contient ainsi 66 fois l’énergie dont nous avons besoin. Avec le deuxième domaine maritime mondial, la France a de quoi remplacer le nucléaire. Ainsi, RTE évalue le potentiel éolien offshore en France à 62 GW, soit l’équivalent de la puissance nucléaire installée.

Voilà qui devrait vous rassurer monsieur Bruno Le Maire. Mais ne perdons pas l’essentiel de vue. Le gouvernement doit faire 80 milliards d’économie pour ramener le déficit à 3%. Il a avoué 40 milliards. Où les prenez-vous ? Et où est passée l’autre moitié des économies promises ? Et avec une telle cure d’austérité en forme de remède pour tuer un cheval, comment comptez-vous empêcher l’économie française d’être asphyxiée ? Maintenant, à votre tour de répondre.


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