Mégafeux : des incendies en France, une menace mondiale

mercredi 27 juillet 2022.
 

Depuis le début du mois de juillet, plusieurs incendies ont eu lieu dans les Cévennes – 650 hectares ravagés, 520 pompiers mobilisés –, puis en Gironde - près de 10 000 ha de forêts brûlés, 12 200 personnes évacuées, 1 000 pompiers sur le pont – ou dans le massif de la Montagnette (Bouches-du-Rhône), avec près de 1 300 hectares touchés et 1 100 sapeurs-pompiers dépêchés « au plus fort de l’action ».

Au sujet du premier, le commandant Tanguy Salgues, chargé de communication des pompiers du Gard, a expliqué à l’AFP : « Ce feu est, comment dire, un mégafeu. » Concernant la situation en Gironde, la préfète Fabienne Buccio a de son côté indiqué au Parisien et à l’AFP : « Ce sont des feux importants, pas des mégafeux [...] Le problème, c’est qu’ils ont lieu en même temps [...] et sont alimentés par une végétation sèche, notamment les sous-bois. Évidemment, la chaleur n’aide pas. » L’Oise est également en alerte comme le rapporte Le Monde avec quinze départs de feu dans des champs de blé du département depuis la mi-juin.

Mais qu’est ce qui différencie un feu important d’un mégafeu ? Le terme « megafire » aété utilisé pour la première fois aux États-Unis par Jerry Williams, responsable du service américain des forêts. La philosophe Joëlle Zask, autrice de Quand la forêt brûle (2019, Premier Parallèle), explique : « Il met en exergue le fait que les feux de forêts ont acquis un comportement que les spécialistes et les riverains qui en sont victimes n’avaient jamais observé dans le passé. »

Dans une note de l’association Forêt Méditerranéenne intitulée « Changer notre regard sur les incendies de forêt… Agir sans délai », la structure explique au sujet des mégafeux : « Au-delà d’être généralement des incendies d’une dimension exceptionnelle pour la zone géographique où ils se produisent, ils se définissent surtout par le fait qu’ils conduisent à l’effondrement du système de lutte et qu’ils produisent des impacts profonds et durables sur la société, l’économie et l’environnement. »

Les mégafeux peuvent être, selon l’association, « un ensemble de feux simultanés sur un vaste territoire, se rejoignant parfois ». Forêt Méditerranéenne cite les exemples du Portugal et de la Grèce, mais s’interroge aussi sur la France à travers l’incendie de Rognac (Bouches-du-Rhône), qui, en août 2016, a dévasté 2 655 hectares de forêt. L’association décrit à Rognac « un niveau de sécheresse extrême, des vents en rafales jusqu’à 85 km/h, qui ont conduit à des vitesses de propagation très élevées de 3,2 à 5,3 km/h. [...] Ce feu peut être considéré comme un mégafeu en ce sens qu’il a conduit à un dépassement du système de lutte et à des impacts locaux durables. »

La France est concernée par le phénomène des mégafeux.

Les sénateurs et sénatrices françaises dans un rapport sur les moyens de lutte contre les incendies en forêt

Dans un rapport du Sénat sur les feux de forêts en France et « l’impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s’aggraver », les parlementaires précisent que « la France est concernée par ce phénomène [celui des mégafeux – ndlr], certes dans des proportions infimes par rapport aux grands feux sévissant en Amérique du Nord, en Sibérie, en Amazonie ou en Indonésie. [...] La notion de mégafeux désigne un cas nouveau dans la typologie des feux de forêts, en raison de son émergence liée au changement climatique. »

Les sénateurs rappellent également l’alerte en 2010 du rapport de la mission interministérielle sur « le changement climatique et l’extension des zones sensibles aux feux de forêts », estimant qu’en 2040, en France, la surface sensible aux feux de forêts serait de 7 millions d’hectares, soit 1,5 million d’hectares supplémentaires par rapport à la période 1989-2008.

Au total en 2020, la surface brûlée en France représentait 17 077 hectares pour 7 372 feux, selon les données du Système européen d’information sur les feux de forêts (EFFIS). Le total est plus haut que la moyenne de 2010-2020 autour de 12 000 hectares, mais plus bas que le record de 2003, année durant laquelle 70 000 hectares brulèrent, rappellent l’EFFIS dans son rapport de 2020, et ce, pour la France, qui se classe en quatrième place des pays les plus boisés d’Europe.

Selon une étude de Météo France, l’indice incendie de la région Centre-Val de Loire en 2040 pourrait être comparable à celui du département du Gard aujourd’hui, pourtant bien plus au sud. Près des côtes méditerranéennes, « la surface de forêts brûlées va doubler ou tripler, en fonction des efforts faits pour réduire les émissions de gaz à effet de serre »,alerte de son côté le Giec.

Le « pyrocène », l’ère du feu

En Europe, sur la période 1980-2017, ce sont en moyenne 457 289 hectares de forêts, selon l’EFFIS, qui ont été détruits par les feux en Espagne, en Italie, au Portugal, en Grèce et en France. Et les mégafeux dévastent des forêts sur tous les continents…

En Indonésie, en 2019, ils ont détruit plusieurs millions d’hectares et causé des problèmes de santé chez un demi-million de personnes. En 2017, le Chili a connu le « pire désastre forestier » de son histoire, selon les mots de Michelle Bachelet, alors présidente, avec près de 290 000 hectares détruits par le feu. En 2021, en Sibérie, huit millions d’hectares ont été ravagés par les flammes. Toujours en 2021, 69 personnes sont décédées dans le nord de l’Algérie, où des villages entiers sont partis en fumée. Sur l’île d’Eubée, en Grèce, plus de 50 000 hectares ont été ravagés par les feux. Idem en Tunisie où une canicule avec des températures à plus de 50 °C avait déclenché une vague d’incendies. La Californie et le Canada ont traversé et traversent toujours la même situation de mégafeux ravageurs.

Les mégafeux représenteraient 3 % des feux de forêts, mais 90 % des surfaces brulées. La philosophe Joëlle Zask propose d’ailleurs de décrire notre époque comme le « pyrocène », l’ère du feu.

Une augmentation de 50 % des incendies d’ici à 2100

Dans un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) datant de février 2022 intitulé « Spreading like Wildfire : The Rising Threat of Extraordinary Landscape Fires », les spécialistes prévoient une augmentation mondiale des incendies extrêmes pouvant atteindre 14 % à l’horizon de 2030, 30 % d’ici à 2050 et 50 % d’ici à 2100. Même l’Arctique serait confronté à un risque croissant d’incendies incontrôlés, affirment les scientifiques du PNUE et du centre d’information et de données GRID-Arendal, du fait du changement climatique.

Les scientifiques auteurs et autrices du rapport rappellent également que « les feux incontrôlés touchent de manière disproportionnée les nations les plus pauvres du monde ». Les expert·es alertent sur la santé des personnes affectées par l’inhalation des fumées ; sur les coûts économiques de la reconstruction ; sur les bassins versants dégradés par les polluants des incendies qui peuvent également entraîner l’érosion des sols ; et sur les déchets laissés sur place souvent hautement contaminés. « Les incendies incontrôlés et les changements climatiques s’aggravent mutuellement : les feux sont aggravés en raison de l’augmentation de la sécheresse, des températures élevées, de la faible humidité [...] Dans le même temps, les changements climatiques sont exacerbés par les feux incontrôlés car ils ravagent des écosystèmes sensibles et riches en carbone comme les tourbières et les forêts tropicales. »

L’ONU alerte aussi sur l’impact des incendies avec la disparition de certaines espèces animales et végétales en prenant notamment l’exemple des mégafeux de brousse australiens de 2020, qui auraient causé la disparition de milliards d’animaux domestiques et sauvages de 832 espèces différentes, selon un article scientifique publié dans la revue Nature.

« La restauration des écosystèmes est une solution importante pour atténuer les risques d’incendies et pour mieux reconstruire après », détaille l’ONU en conseillant par exemple de restaurer les zones humides, les tourbières, de réintroduire certaines espèces comme les castors, mais aussi de construire des bâtiments « à distance de la végétation et la préservation des espaces tampons ouverts ».

Sophie Boutboul


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