L’affaire Quatennens : de la violation de la vie privée au lynchage médiatique : une instrumentalisation politique.

vendredi 28 octobre 2022.
 

Il est bien évident que l’on ne peut justifier une violence physique d’un homme à l’encontre d’une femme mais rappelons ici que la femme en question, l’épouse de d’Adrien Quatennens s’était opposée à ce que sa main courante sorte du domaine privé. Le 14 septembre 2022, le Canard enchaîné et ses sources policières ou judiciaires n’ont pas respecté cette volonté.

L’affaire Quatennens et les hypocrisies du journalisme politique

Source : Acrimed. https://www.acrimed.org/L-affaire-Q...

par Mathias Reymond, Pauline Perrenot, jeudi 6 octobre 2022

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Dans l’après-midi du 13 septembre 2022, Le Canard Enchainé fait une publicité pour son édition du lendemain [1], révélant que Céline Quatennens a déposé une main courante contre son époux Adrien Quatennens [2]. Ces derniers confirment l’information par voie de communiqué quelques heures plus tard, rappelant que Céline Quatennens avait exigé auprès des policiers que « les informations ne se retrouvent pas dans la presse ». Des faits de violence conjugale sont dévoilés le lendemain par Le Canard, confirmés ensuite par Adrien Quatennens, et occupent le devant de la scène médiatique pendant plus d’une semaine. Un traitement qui, dans de nombreux cas analogues, n’a pas relevé d’actes de féminisme journalistique.

Disons-le d’emblée : le fait que les violences sexistes et sexuelles occupent désormais régulièrement le haut de l’agenda marque une rupture majeure, du point de vue de l’information, avec le traitement médiatique qui accompagnait ces sujets jusqu’aux mouvements Balance Ton Porc et MeToo [3]. Un traitement qui contribuait structurellement à reproduire et renforcer les inégalités de genre et participait de la « culture du viol », y compris dans les cas d’omerta à l’échelle de masse : rappelons à cet égard qu’à ce jour, l’association « MeToo médias » confie avoir recueilli le témoignage de 90 femmes contre Patrick Poivre d’Arvor, tandis qu’au 30 septembre 2022, Le Parisien dénombrait à 21 le nombre de plaintes déposées contre l’ancien présentateur du « 20h », « dont neuf pour viol ».

D’un point de vue « qualitatif », et malgré la persistance de nombreux travers, des progrès notables ont eu lieu dans les rédactions, notamment du point de vue de la formation des journalistes, dont les « récits » sur ces questions n’ont que peu à voir avec ceux que l’on croisait systématiquement il y a encore cinq ans. Toutefois, lorsque les affaires de violences touchent le champ politique, la couverture d’une partie des médias peut faire les frais du journalisme politique et de ses travers structurels : un journalisme ravagé par les partis pris, ruiné par le sensationnalisme et la course à la petite phrase. Les cas de violences en viennent aussi à être pris en charge par des têtes d’affiche commentant d’ordinaire « l’actualité politique » sans avoir nullement peaufiné leur formation sur ces questions – pour peu que cette dernière ait un jour commencé.

Il n’est donc pas étonnant que le traitement médiatique des violences conjugales infligées par Adrien Quatennens à sa compagne révèle des biais et un « deux poids, deux mesures » objectifs dans certains médias, auxquels le sort des femmes victimes semble importer moins que l’instrumentalisation de ces dernières au profit d’une campagne contre le parti qu’ils adorent tant détester. Biais et « deux poids, deux mesures » qui nuisent grandement à l’information sur ces questions, notamment parce qu’on peut imaginer qu’ils encouragent une réception partisane et « politicienne » chez les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.

Nous avons relevé six exemples (parmi d’autres) significatifs et… exemplaires :

1/ Le premier, déjà publié ici-même, concerne Brice Couturier. L’éditorialiste – connu pour ses prises de position outrancières – affirmait le 24 septembre sur la chaîne Public Sénat que « dans les sectes, le gourou a une aura particulière et en profite généralement pour faire de l’abus sexuel. [Avec] La France Insoumise, c’est évident qu’on est dans le cadre d’une secte. » Et d’ajouter : « Le cheptel des militantes fait partie des prérogatives des chefs, et ils s’en servent ». Une calomnie dont Public Sénat fut visiblement très fier, puisque l’extrait fut isolé et publié sur son compte Twitter, renforçant de fait… sa circulation. Et au-delà : a-t-on trace d’un tel jugement public de Brice Couturier concernant La République en marche, comptant deux anciens députés ayant été visés par des plaintes pour harcèlement sexuel, un ancien conseiller de l’Élysée condamné pour violences conjugales ainsi que trois ministres (anciens ou actuel) ayant été sous le coup de plaintes pour viol [4] ?

2/ Deuxième exemple. Visiblement très concernée par les affaires de violences sexistes, BFM-TV a enchaîné commentaires et émissions autour de « l’affaire Quatennens ». C’est son droit, mais la direction de la chaîne peut-elle citer une seule interview d’un responsable LREM autour de l’affaire Darmanin [5], par exemple, qui ait été menée avec autant d’agressivité que celles ayant été données sur son antenne à Clémentine Autain le 15 mai 2022 à la suite de « l’affaire Taha Bouhafs » et à Manuel Bompard, le 25 septembre 2022 ? Le problème de ces interviews n’est pas qu’elles abordent longuement la question des violences sexistes (1/2 heure sur une heure d’entretien), ni qu’elles soient « musclées » et encore moins qu’elles soient contradictoires, mais qu’elles ne le soient dans ces proportions qu’à l’égard de certaines formations politiques d’une part, et menées par des journalistes non spécialisés d’autre part (Jean-Baptiste Boursier et Benjamin Duhamel), en plus de ne pas être avares de partis pris dans le traitement de la politique en général… et de la gauche en particulier [6].

3/ Un autre exemple marquant concerne la rédaction de « Quotidien ». Comment Yann Barthès et son équipe peuvent-ils décemment verser dans un traitement à charge de La France insoumise pour sa gestion de « l’affaire Quatennens », alors qu’ils déroulaient il y a quelques mois le tapis rouge à PPDA pendant près d’une demi-heure dans le cadre d’une opération de sauvetage de la « marque Bouygues » [7] ? Une émission qui n’a (à notre connaissance) débouché sur aucun mea culpa public alors qu’elle nourrissait de facto la mécanique du renversement (agresseur-victime/agressées-coupables), notamment par l’absence de contradiction. Dès lors, cette rédaction peut-elle aujourd’hui sérieusement se permettre une séquence usant de procédés manipulatoires – ce dont « Quotidien » s’est, tout de même, fait une spécialité ? En l’occurrence, diffuser des bribes commentées (mais coupées) de la conférence de presse de représentantes de La France insoumise, dans le but de nourrir une couverture « à l’offensive ».

4/ Quatrième question à « C ce soir ». La rédaction de l’émission peut-elle expliquer à quoi sert l’invitation d’un commentateur comme Raphaël Enthoven sur le plateau de France 5 consacré à ce sujet (19/09) ? Un plateau qu’il a, comme il fallait s’y attendre, pollué par ses interventions envahissantes [8]. Un plateau, surtout, qui aurait été suffisamment complet et bien mieux informé sans lui puisqu’étaient présentes Christelle Taraud, Marine Tondelier et Yaël Mellul, travaillant toutes trois sur ces sujets au sein de trois champs différents (intellectuel, politique et associatif), et dont les temps de parole auraient pu être augmentés. Dans un tel cadre, quels critères ont bien pu motiver la sélection de Raphaël Enthoven, autres que sa qualité d’expert des médias générant des dites « polémiques » comme il respire et traînant dans ses (nombreux) bagages médiatiques un militantisme acharné contre La France insoumise ? [9]

5/ Comment, ensuite, prendre au sérieux l’apparente gravité avec laquelle l’émission « Quelle époque ! » (France 2, 24/09) prétend aborder le problème des violences conjugales lorsque l’interview de Jean-Luc Mélenchon sur « le cas Quatennens » est littéralement encadrée par deux séquences de banalisation du sexisme et de la domination masculine ? Avant : une invitation en majesté de Yann Moix, qui, signant un énième retour sur le service public, put à cette occasion justifier (de nouveau) son absence de désir pour les femmes de plus de cinquante ans, en accablant de surcroît les féministes l’ayant critiqué à ce sujet, accusées d’établir « une corrélation entre le désir sexuel et le respect » en « repren[ant] les antiennes des machistes ». Une outrance suivie de longues minutes de mise en scène masculine égotique, au cours de laquelle l’écrivain ravit les animateurs (Léa Salamé et Christophe Dechavanne) en entre-soi, écoutant quasiment sans broncher ses explications psychanalytiques autour de ses problèmes « passés » avec la « mastication [des femmes], rédhibitoire à l’excitation » et avec ce qui est présenté comme de la « séduction » : « Je m’arrange toujours pour que [les femmes] me quittent afin de pouvoir les reséduire » rembobine une archive de l’INA au cours de l’émission, tant il est vrai qu’elle manquait au débat… Semblant ne pas comprendre le fond du problème – consistant à appréhender les femmes comme objet récurrent de désir (sexuel) – Léa Salamé plaisante : « Ça va mieux avec les femmes, Yann ? » Une banalisation avant donc, mais également juste après l’interview (sourcils froncés) de Jean-Luc Mélenchon [10], avec une séquence humoristique de Philippe Caverivière, se payant le luxe de cinq blagues sexistes en cinq brèves. L’humoriste de RTL (et les animateurs) trouvant notamment matière à rigoler de la poitrine de Sophie Davant en couverture de Paris Match (« Là on se dit, tiens, William Leymergie sort avec Pamela Anderson, parce qu’on ne l’imaginait pas comme ça [Sophie Davant], avec ce maillot de bain trop petit ! ») Et ce avant d’ironiser sur les traces de sperme de PPDA dans les locaux de TF1 ou sur les déclarations sexistes de l’imam Iquioussen… pour en ajouter une couche : « Il n’est pas nécessaire d’interdire à une femme de se parfumer et de s’épiler, il suffit de la choisir en province, si vous le rencontrez du côté de Sochaux par exemple ! » À un tel niveau, l’exploit du service public est affligeant. En présence du mannequin Cindy Bruna (victime de violences intrafamiliales et autrice du livre Le jour où j’ai arrêté d’avoir peur), le sujet des violences reviendra sur la table à 1h30 du matin, après la grosse marrade. Ça s’appelle « l’infotainment ».

6/ Pour terminer, on ne peut suivre les couvertures médiatiques de l’affaire Quatennens par Le Monde et France Inter sans penser au silence qui accompagne les chroniques de l’un des leurs : l’économiste Thomas Piketty. En effet, le chroniqueur régulier du Monde, qui débat tous les vendredis avec Dominique Seux dans la matinale de la radio publique a lui-même infligé des violences conjugales (qu’il a reconnues) à son ex-compagne, Aurélie Filippetti [11]. Ainsi, comment ne pas se sentir mal à l’aise le vendredi 16 septembre, quand, après avoir écouté Yaël Goosz dénoncer « le silence assourdissant des cadres LFI » dans son édito de 7h43, on entend à 7h46 Thomas Piketty débattre cordialement avec Dominique Seux, comme si de rien n’était ?

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Ces exemples ne sont pas exhaustifs, mais ne résument pas non plus (et heureusement) le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles. Désormais, un travail effectué sérieusement est plus fréquent dans les médias, et en particulier chez Mediapart, qui, à la faveur de forts investissements dans sa rédaction, bénéficie même d’une responsable éditoriale aux questions de genre. Oui, du chemin a été parcouru depuis l’affaire Weinstein et les mouvements « Balance Ton Porc » ou « MeToo ». Mais aux yeux de nombreux commentateurs, le sensationnalisme et l’éditorialisation partisane demeurent des ingrédients encore beaucoup trop « croustillants » pour que les rédactions se décident à les laisser à l’ombre de leur couverture des violences… La route est encore longue pour le féminisme dans les médias.

** Pauline Perrenot, avec Mathias Reymond

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les deux auteurs de cet article ont été invités sur le média TV. On peut retrouver l’émission en utilisant le lien suivant :

https://www.lemediatv.fr/emissions/...

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Petit commentaire HD

Pour être très bref, sachant que le champ médiatique est un espace polémique où l’on cultive le sensationnalisme et a pour fonction politique essentielle de détruire la NUPES et surtout LFI, on comprend mal pourquoi des représentants de LFI s’exposent sur ce champ de guerre idéologique à haute intensité en répondant aux « journalistes » qui ne sont rien d’autre que des agents de l’action idéologique de combat de l’appareil médiatique au service de la classe dominante.

Ce n’est pas en se plaçant sur ce terrain miné et truqué que l’on peut faire avancer la cause des femmes quelques soit le sujet abordé. C’est le rôle des organisations politiques d’ exiger des parlementaires et du gouvernement de donner les moyens à la justice pour traiter dans les meilleures conditions possibles (notamment en termes de délais) les violences sexistes et conjugales.

Ce n’est ni le rôle, ni de la compétence d’un journaliste ou d’une personnalité politique de jeter en pâture à la vindicte populaire l’auteur d’un acte supposé délictueux.

Cela ouvre la porte à toute forme de lynchage, à l’arbitraire et à l’instrumentalisation politique à forte teneur émotionnelle.

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Hervé Debonrivage


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