« La COP montre que l’on n’est pas tous ensemble pour sauver le climat »

vendredi 25 novembre 2022.
 

Alors que la COP27 s’achève par un accord minimaliste, Amy Dahan, chercheuse émérite au CNRS, revient sur la « fabrique de la lenteur » que sont devenus ces sommets sur le climat. Elle appelle à rénover les institutions et les règles qui organisent la mondialisation, pour contraindre les pays à respecter leurs engagements climatiques, sous peine de sanctions.

Mickaël Correia

Faut-il mettre fin aux COP, ces grands sommets sur le climat, qui incarnent désormais plus une foire expo du greenwashing qu’une enceinte de coopération internationale face au plus grand défi de l’humanité au XXIe siècle ?

Alors que la première COP s’est déroulée en 1995 et que les émissions globales augmentent irrémédiablement, l’utilité même de ces réunions est à questionner. Et ce, d’autant plus que limiter le réchauffement global à + 1,5 °C, objectif phare de l’accord de Paris de 2015, est en passe de devenir irréalisable.

Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS, étudie l’histoire des négociations climatiques et est la coautrice de Gouverner le climat ? 20 ans de négociations climatiques (avec Stefan C. Aykut, Presses de Sciences Po, 2015). Elle estime que la gouvernance du climat ne devrait plus être enclavée au sein des COP, mais être discutée au sein de divers sommets diplomatiques et des institutions économiques mondiales.

Depuis 30 ans, le droit international économique l’emporte sur l’urgence climatique. Amy Dahan demande que les instances de régulation internationale de la mondialisation, comme l’Organisation mondiale du commerce ou la Banque mondiale, soient rénovées pour – a contrario des COP – créer des mécanismes contraignant les pays à respecter leurs engagements climatiques.

Mediapart : En 2015 dans votre livre , vous parliez d’un « schisme de réalité » entre la gouvernance du climat via les COP et la dégradation inexorable du climat. On a l’impression, après cette COP27 et en pleine crise énergétique, que ce hiatus s’est depuis énormément creusé...

Amy Dahan : Effectivement, alors que les émissions globales ne cessent d’augmenter, les COP n’arrivent même pas à ce que les États les plus riches tiennent leur promesse de verser chaque année 100 milliards de dollars aux pays du Sud. C’est une somme très modeste eu égard aux capitaux énormes mobilisés dans l’économie mondiale, mais ces engagements, pris en 2009 lors de la COP15, n’avaient atteint que 83 milliards de dollars en 2020.

La prise en main du péril climatique a été très longtemps isolée des problèmes (et des investissements) de politiques industrielles, énergétiques et économiques, tant globales que nationales, indispensables pour relever ce défi. Les COP ne sont basées que sur des consensus et des engagements volontaires sans jamais questionner les règles de la mondialisation économique et financière débridée, à l’origine de la catastrophe climatique.

A contrario, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres accords bilatéraux font appliquer des règles contraignantes et des sanctions qui protègent l’économie mondialisée. En somme, depuis 30 ans, le droit international du commerce et de l’investissement l’emporte sur l’urgence climatique.

Nous parlons donc d’un « schisme de réalité » pour nommer l’écart entre la gouvernance onusienne des COP censée se saisir du risque climatique et une réalité du monde multiforme faite de compétitions et de concurrences féroces, qui lui échappe en très grande partie. Ce hiatus se traduit aussi de façon temporelle entre la dégradation accélérée du climat et une fabrique de la lenteur dans les négociations.

Sortir des énergies fossiles ne se passera pas dans les COP.

Pour vous donner un exemple, le traité sur la charte de l’énergie, entré en vigueur en 1998, vise à protéger les investissements étrangers du secteur de l’énergie. Mais il a surtout restreint le déploiement de politiques climatiques. Il a permis aux industriels de poursuivre les Pays-Bas qui souhaitaient fermer des centrales au charbon, ou encore l’Italie qui voulait interdire des forages pétroliers offshore.

La France et plusieurs autres pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Pologne viennent d’annoncer leur décision de se retirer de ce traité : c’est une des toutes premières fois que des règles nées de la mondialisation sont reconnues comme antinomiques avec la lutte contre le changement climatique.

Cela nous montre que sortir des énergies fossiles ne se passera pas dans les COP. Et que pour que le monde effectue sa transition écologique, il faut radicalement modifier le paysage politique et économique de la régulation mondiale.

C’est-à-dire qu’il faut mettre en œuvre des mécanismes contraignants pour mettre fin aux énergies fossiles ?

Le mot « énergie » ne figure même pas dans l’accord de Paris de 2015. La sortie des énergies fossiles n’a été évoquée qu’à la COP de Glasgow en 2021, sans que les modalités concrètes ou les difficultés des pays pour cette sortie aient jamais été l’objet de discussions.

Et ce « schisme de réalité » s’est encore plus creusé à l’aune de la guerre en Ukraine, de la crise énergétique, qui a mis à nu le fait que l’on n’est pas tous ensemble pour sauver le climat, qu’on n’avait pas tous les mêmes intérêts.

Il faut que la sortie des énergies fossiles soit prise en main en dehors des COP, devenues une enceinte d’une lenteur incroyable, et ayant peu de prise avec le réel. Tous les mécanismes de contrôle, de rehaussement et de vérification des engagements des pays sont en panne. Entre le G7 et le G20, il y a sans doute davantage de possibilités dans ces institutions d’avancer sur la sortie du charbon.

L’énergie pourrait faire par exemple l’objet d’un traité international qui encourage et protège l’investissement public dans les énergies renouvelables et sanctionne l’utilisation du charbon.

Une autre limite des COP est celle de l’objectif des + 1,5 °C, inscrit dans l’accord de Paris mais qui apparaît désormais inatteignable. Récemment, plus de mille scientifiques ont déclaré qu’il n’est « plus acceptable d’affirmer publiquement » que limiter le réchauffement global à + 1,5 °C soit possible. Qu’en pensez-vous ?

Depuis 20 ans, l’idée de ne pas atteindre le seuil dangereux de 2 °C était un objectif coproduit par les scientifiques et les politiques et disposait ainsi d’une double légitimité. Il s’était imposé depuis la COP de Copenhague en 2009 et paraissait aller de soi. Pourtant, dans les revues scientifiques, en 2015, il y avait déjà un débat entre chercheurs, climatologues et sciences économiques et sociales, sur la possibilité ou non de limiter d’ici la fin du siècle le réchauffement à 2 °C.

Dans les réunions intermédiaires en vue de préparer la COP21 de Paris, on a vu monter avec surprise la volonté des pays du Sud les plus vulnérables de voir inscrire dans les accords climatiques internationaux ce chiffre de limitation du réchauffement de + 1,5 °C. Pour ces pays, + 1,5 °C signifie des impacts climatiques énormes, voire la disparition de certains États insulaires du Pacifique. Ce seuil avait donc une légitimité politique incontestable. Il a été inscrit dans le texte de l’accord.

L’objectif de 1,5 °C de réchauffement, déjà inatteignable en pratique, est finalement contreproductif, car conduisant à l’inaction.

Mais dans la négociation, ce fut une monnaie de singe, car toute compensation ou velléité de judiciarisation des dégâts pour les pays vulnérables a été supprimée, interdite par un veto américain. Surtout l’objectif de 1,5 °C ne paraît pas réaliste.

Pour le respecter, tous les scientifiques soulignent qu’il faudrait des efforts massifs et immédiats. Et cela aurait inévitablement des conséquences sociales, politiques et économiques majeures. Or tout le problème est que le texte de l’accord ne dit justement rien de ces conséquences, c’est-à-dire rien des modalités concrètes des transformations colossales qu’il faut enclencher.

Afficher ce chiffre irréaliste, ou encore asséner comme certains, après la sortie du dernier rapport du Giec, en août 2021, que « l’humanité dispose de trois ans pour réduire ses émissions de CO2 » n’est pas un bon message. L’objectif déjà inatteignable en pratique est finalement contreproductif, car conduisant à l’inaction.

Quel serait alors le bon message à véhiculer ?

Le message du Giec est meilleur. Il martèle depuis 2018 que « chaque demi-degré compte ». Passer de 1,5 à 2 °C de réchauffement engage des conséquences climatiques bien plus catastrophiques pour la planète et les sociétés humaines. Abandonner le slogan des 1,5 °C aurait un fort retentissement symbolique, clament certains. Mais en réalité, qu’a-t-on vraiment fait pour ne pas dépasser ce seuil d’ici à la fin du siècle, alors que nous sommes déjà à 1,1 °C de réchauffement aujourd’hui ?

Par ailleurs, cette notion de température moyenne globale génère de fausses compréhensions : il faut réaliser que lorsqu’on parle de 1,5 °C à 2 °C de réchauffement global, cela signifie, vu l’inertie thermique des océans, en réalité + 4 °C sur les surfaces continentales. Et les climatologues sont en train de se rendre compte que ce ne sont pas forcément les régions intertropicales qui sont les plus menacées par les dérèglements climatiques. L’Europe de l’Ouest a connu un réchauffement beaucoup plus rapide que prévu.

Faut-il mettre fin aux COP ou bien les « réinventer » ?

La prochaine COP s’annonce encore pire : elle sera à nouveau organisée dans un pays non démocratique, à Dubaï aux Émirats arabes unis, qui font partie avec l’Arabie saoudite des forces d’obstruction régulières dans les négociations climatiques ou lors de la validation onusienne des rapports du Giec.

Je crois qu’il ne faut pas tuer les COP, ne serait-ce que parce que c’est un espace diplomatique crucial pour les pays du Sud. Mais elles ne vont pas résoudre le problème. L’essentiel selon moi, depuis l’accord de Paris, c’est qu’il faut reterritorialiser la question climatique. La transformation écologique qui s’impose est titanesque. Chaque gouvernement, région et ville doit s’atteler à implanter des politiques climatiques, à déployer un mix énergétique écologique.

Cette transformation ne pourra pas se faire en catimini. Elle devra être largement débattue et socialement juste, pour rencontrer une adhésion sociale et populaire. La sobriété ne peut plus être considérée comme liberticide et punitive. Elle est le premier pas pour un raccourcissement des horizons et une localisation des enjeux, car le dérèglement est ici et maintenant.

L’Union européenne doit mettre en conformité sa volonté d’être un leader climatique international avec une vision d’une nouvelle économie qui prenne en compte les limites planétaires. Dans notre monde aujourd’hui disloqué, on ne peut plus fonctionner avec l’économie libérale mise en place depuis les années 1990 et qui a fait le lit de la crise climatique.

On doit, par exemple, faire en sorte que les bénéfices gigantesques des majors énergétiques servent à financer la décarbonation de nos sociétés. Il faut casser cette dynamique économique libérale et lever définitivement les pare-feux qui ont été mis en place entre la réalité du climat aujourd’hui et les traités et mécanismes économiques internationaux qui contraignent l’action climatique.

Mickaël Correia


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