La crise sanitaire liée à la COVID 19 a reposé avec acuité le problème des liens et des conflits d’intérêts entre le monde médical, scientifique et l’industrie pharmaceutique.
Nous constituons ici un dossier relativement complet sur cette question sensible qui contient aussi des aspects politiques et juridiques ( ou judiciaires).
Le lecteur peut partir d’un exemple présenté dans le document 1 puis passer au document 6 qui fêtent une analyse historique et globale de la problématique posée. Puis on peut reprendre les documents à partir du numéro 2 Le document 10 traite de la situation actuelle.
Document 1 Procès Mediator° La firme Servier, un financeur de poids du monde médical
Source : Prescrire (revue médicale professionnelle)
https://www.prescrire.org/Fr/218/19...
Dossier Prescrire. Autour du procès Mediator°
Procès Mediator° La firme Servier, un financeur de poids du monde médical
La firme Servier verse des millions d’euros d’avantages chaque année à divers acteurs du monde médical en France. Après le désastre du Mediator° de, beaucoup de professionnels de santé et de leurs diverses organisations ont continué à profiter des avantages de la firme Servier, comme si de rien n’était. Alors même que ce procès est en partie celui des conflits d’intérêts et des influences entre firmes et autres acteurs de la santé, aux dépens de la santé des patients. (Novembre 2019)
Une des conséquences positives du désastre du Mediator° a été la mise en place en France d’un système de transparence sur les divers avantages octroyés par les firmes pharmaceutiques aux autres acteurs du domaine de la santé (1). Après un retard dans sa mise en place, et avec des limites pratiques importantes, le site www.transparence.sante.gouv.fr de voix des études (1).
Le site https://www.eurosfordocs.fr/ , initiative citoyenne, permet d’accéder à ces données de manière agrégée et mieux exploitable pour réaliser des études (1).
Le procès Mediator° est en partie celui des conflits d’intérêts et des influences entre firmes et autres acteurs de la santé. Le désastre du Mediator° a-t-il poussé les médecins et leurs organisations à prendre leurs distances avec la firme Servier ?
Des sommes importantes distribuées en avantages
Au cours de la période 2012-2018, en France, la firme Servier a été la dixième en termes d’importance du montant des avantages distribués aux acteurs de la santé. Selon les déclarations de la firme, ce montant s’élevait à 108 milli un ons d’euros, dont 11 millions pour sa filiale Biogaran, spécialisée dans les médicaments géné des médicaments riques (2,3).
La répartition par catégorie de bénéficiaires est, par ordre décroissant :
> Académies, sociétés savantes et organismes de conseil (53 millions d’euros)
> professionnels de santé (25 millions),
> presse et médias (17 millions),
> étudiants en santé (7 millions) ;
> et en fin de liste associations de patients (100 000 euros) et associations d’étudiants (50 000 euros) (3).
Parmi les professionnels de santé, des cardiologues ont touché 6,2 millions d’euros pendant la période 2012-2018, soit un quart du total des avantages versés aux professionnels, et des médecins généralistes ont touché 3 millions (4).
Une baisse des avantages octroyés aux soignants en 2016
Selon le site www.transparence.sante.gouv.fr, la firme Servier a déclaré un total de 77 399 avantages distribués et répertoriés au cours de la période 2014-2018 : 31 465 avantages en 2014, 25 242 en 2015, 4 934 en 2016, 7 215 en 2017, et 8 543 en 2018 (5). On observe donc une baisse importante du nombre des avantages déclarés par la firme Servier en 2016, avec une certaine remontée depuis.
Le site www.eurofordocs.fr montre que cette baisse s’explique très largement par une baisse des avantages offerts aux professionnels de santé ; et ce site montre que la baisse des montants est parallèle à la baisse du nombre d’avantages (6). Ces baisses sont en partie liées à une diminution très sensible du nombre de visiteurs "médicaux" décidée par le nouveau directeur de la firme Servier en 2015, dans le cadre d’une réorganisation de la stratégie commerciale de la firme (7). La firme Servier a souhaité en effet recentrer ses activités dans certains domaines thérapeutiques comme l’oncologie (avec un nombre réduit de professionnels de santé), renforcer sa promotion dans les pays émergents, poursuivre sa politique de partenariats et développer des médicaments génériques et biosimilaires (7).
L’Académie de médecine toujours proche de la firme Servier
Lors de l’instruction préalable au procès Mediator°, un membre (Jean-Roger Claude) de la Commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Agence française du médicament a déclaré « J’affirme que je n’ai jamais rien caché. La moitié de l’Académie de médecine était en lien avec Servier » (8). L’Académie de médecine en tant que telle a continué d’ailleurs de bénéficier des largesses de la firme Servier, avec un total de 150 000 euros reçus entre 2014 et 2018, au titre de dons, rémunérations et bourses, et avec un prix "Académie nationale de médecine - Servier" (9,10).
Comme si de rien n’était
Après le désastre du Mediator°, beaucoup de professionnels de santé et de leurs diverses institutions et organisations ont continué à profiter des avantages de la firme Servier, comme si de rien n’était. Le financement régulier de l’Académie de médecine par cette firme montre que beaucoup d’habitudes n’ont pas vraiment changé après ce désastre.
Extraits de la veille documentaire Prescrire
Notes
1- Prescrire Rédaction "Liens d’intérêt : utilité des bases de données de type Transparence santé" Rev Prescrire 2019 ; 39 (426) : 305.
2- "Vision par entreprise déclarante - 2012-2018. Recherche effectuée sur le site www.eurofordocs.fr le 26 août 2019" : 4 pages.
3- "Vision par entreprise déclarante - Servier - 2012-2018. Recherche effectuée sur le site www.eurofordocs.fr le 26 août 2019" : 4 pages.
4- "Nombre et montant total par catégorie de bénéficiaire - Servier - 2012-2018. Recherche effectuée sur le site www.eurofordocs.fr le 26 août 2019" : 1 page.
5- "Recherche par entreprise - Les laboratoires Servier - Premier semestre 2014-Premier semestre 2019. Recherche effectuée sur le site www.transparence.sante.gouv.fr le 26 août 2019" : 2 pages.
6- "Vision par entreprise déclarante - Servier - Catégorie bénéficiaire = professionnels de santé - 2012-2018. Recherche effectuée sur le site www.eurofordocs.fr le 26 août 2019" : 4 pages.
7- Agence France Presse "Le groupe pharmaceutique Servier sabre 610 emplois commerciaux" 26 novembre 2015 : 3 pages.
8- Emmanuelle Robinson avec Claire Thépaut, vice-présidentes chargées de l’instruction "Ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, de non-lieu partiel et de constatation de l’extinction de l’action publique" 30 août 2017 : 677 pages.
9- "Vision par structure bénéficiaire - Académie nationale de médecine - 2012-2018. Recherche effectuée sur le site www.eurofordocs.fr le 26 août 2019" : 1 page.
10- "Le huitième symposium franco-chinois organisé par l’Académie chinoise d’ingénierie et l’Académie nationale de médecine" 28 octobre 2018. Site www.academie-medecine.fr consulté le 26 août 2019 : 1 page.
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Dossier en PDF : https://www.eurosfordocs.fr/downloa...
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Condamnation des laboratoires Servier et de l’ANSM
https://www.infirmiers.com/professi...’Agence%20nationale%20de%20s%C3%A9curit%C3%A9,303%20000%20euros%20d’amende.
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Les deux sites de transparence mentionnée ci-dessus.
eurosfordocs.fr
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transparence.sante.gouv.fr/pages https://www.transparence.sante.gouv...
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Document 2 Conflits d’intérêt et corruption à l’Agence européenne du médicament
Source : France soir.fr
https://www.francesoir.fr/opinions-...
Initialement, l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) appartenait à chaque État membre. Un règlement de 1993, remplacé par un règlement de 2004 régulièrement modifié, a institué une agence d’évaluation : l’Agence européenne des médicaments (EMA).
L’EMA se compose d’un conseil d’administration de 36 membres, dont la plupart représentent les États membres (le plus souvent le directeur ou président de leur agence nationale). Le conseil d’administration nomme un directeur exécutif entouré de sept comités d’experts.
L’agence fait partie de la vaste catégorie des organismes plus ou moins décentralisés, aux dénominations elles-mêmes variables (agence, office, observatoire, etc.) créées pour conseiller la Commission européenne sur des sujets techniques.
La Commission, en sa qualité d’institution politique, reste libre de suivre ou non ces conseils, et c’est elle qui octroie l’AMM. Mais, l’EMA disposant de la compétence d’expert, surtout dans le domaine médical, joue un rôle préparatoire crucial.
Cela semble invraisemblable, mais le budget de fonctionnement de cette agence (346 millions d’euros) provient à 85,70 % de redevances payées par l’industrie pharmaceutique et à seulement 14,30 % de financements publics de l’Union européenne…
En tant qu’agence de la Commission européenne, les obligations de l’EMA en matière de transparence et d’accès aux documents découlent de directives stipulant que tout document détenu par l’EMA dans le cadre de ses activités est de fait un document public.
Dans les faits, la revue Prescrire a montré que l’EMA refuse de communiquer de nombreux documents, et que ceux qui sont transmis sont largement caviardés.
Son manque de transparence a été dénoncé lors de son refus d’indiquer aux députés les bases sur lesquelles les laboratoires à l’origine des vaccins ont été choisis et le montant des prix payés pour ces vaccins.
La “prévisibilité” de l’EMA est si grande que l’industrie américaine nous l’envie, notamment le "think tank" néoconservateur Pacific Research Institute, financé par l’industrie des bio technologies, qui milite pour toujours moins d’intervention des pouvoirs publics. Et pour cause ! Dès le lendemain de son départ de l’EMA en 2011, le directeur exécutif Thomas Lönngren, rejoint le conseil d’administration de NDA Ltd, société de lobbying au service des firmes pharmaceutiques, qui l’a recruté en tant "qu’influenceur de premier plan".
Le pantouflage ou « revolving doors » est un fléau. Dans un secteur de la santé à la fois très lucratif et très réglementé, les firmes ont un grand intérêt à placer leurs hommes dans les agences publiques et à mettre en place cette stratégie d’entrisme.
L’italien Guido Rasi a ensuite été nommé directeur de l’EMA en 2011, puis forcé a démissionné par la Justice européenne pour conflit d’intérêt non déclaré, avant d’être renommé à nouveau directeur de l’EMA en 2015.
L’actuelle directrice, Emer Cooke, a passé sept ans au sein de l’EFPIA, le principal lobby de l’industrie pharmaceutique en Union européenne qui organise des rencontres au Parlement européen avec des représentants de GSK, Roche, Novartis, Pfizer...
Un audit européen de la Cour des comptes de 2012 confirme de graves problèmes de conflits d’intérêt au sein de l’EMA (et de 3 autres agences : l’EASA (sécurité aérienne) l’EFSA (sécurité alimentaire) et l’ECHA (sécurité vis-à-vis des produits chimiques).
Le rapport pointe de graves irrégularités, la direction de l’EMA favorisant la présence, dans les comités scientifiques, d’experts en conflit d’intérêts avec les compagnies pharmaceutiques dont ils évaluent les produits.
Le Canard Enchaîné a révélé que certains experts de l’EMA sont salariés ou possèdent des actions dans les entreprises pharmaceutiques dont ils sont censés évaluer les produits lucratifs.
Des lanceurs d’alerte ont dénoncé ce problème : « Depuis des mois, notre entreprise rémunère discrètement un expert pour qu’il fasse le lobbying de notre produit. La rémunération est exorbitante, mais le plus grave est qu’il officie comme expert à l’EMA. »
Dans l’affaire du Mediator, l’Inspection générale des affaires sociales a mis en cause plusieurs experts français, qui siégeaient à l’Agence européenne du médicament, dans l’interdiction tardive du Mediator et le drame sanitaire consécutif.
L’EMA propose elle-même, en toute opacité, aux firmes pharmaceutiques, des « conseils scientifiques » facturés pour les aider à faire passer leur dossier de demande d’AMM, notamment conditionnelles, comme celles des vaccins anti-covid (AMMc). * Or, les médicaments mis sur le marché de manière accélérée le sont souvent au détriment de la qualité de l’évaluation clinique. Pire, cette évaluation n’est pas suffisamment complétée non plus après commercialisation.
Un rapport de 2017 note « une acceptation générale de la corruption » au sein de l’EMA et :
une acceptation générale de la corruption
des structures de gestion inefficaces
des mécanismes de financement inappropriés
une répartition inégale des ressources
« L’industrie pharmaceutique tient fermement les rênes d’une vaste machine de lobbying, richement dotée, qui dispose d’un accès presque systématique aux décideurs de la Commission [...] et des institutions bruxelloises, y compris l’EMA ».
En juin 2020, l’EMA prend la décision d’autoriser le remdesivir de Gilead.
La revue Prescrire commente : “Une fois de plus, l’EMA a manqué de rigueur dans sa relation avec les firmes, aux dépens des patients et soignants, laissés dans l’incertitude.”
Au mois d’octobre, suite à cette décision a priori insensée, la Commission signe un contrat mirobolant avec Gilead, alors que l’industriel vient de prendre connaissance de la dernière étude de l’OMS qui invalide l’efficacité de son traitement.
La santé des Français mérite mieux qu’une dictature sanitaire, elle mérite un pôle public des médicaments, une expertise publique transparente et indépendante, un processus décisionnel démocratique, et des politiques de santé intelligentes, bienveillantes et non coercitives.
Documents 3 : Remise en cause de l’indépendance de la Haute Autorité de Santé (HAS) par une thèse de doctorat
http://psychiatriinfirmiere.free.fr...
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Source : magazine Que choisir ?
https://www.quechoisir.org/actualit...
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Source : FranceSoir
https://www.francesoir.fr/societe-s...
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Preuve que l’ANSM garde des liens avec l’industrie pharmaceutique
Source : association des malades de la thyroïde
https://www.asso-malades-thyroide.f...
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Conflit d’intérêt en santé : une transparence bien trouble.
D’après une analyse de la Cour des Comptes notamment sur l’ANSM
Source : sciences et avenir. 25/03/2016 (voir document 7)
https://www.sciencesetavenir.fr/san...
Big Pharma et conflits d’intérêts cachés à l’ANSM : c’est reparti !
Source : AgoraVox. 04/02/2013
https://www.agoravox.fr/tribune-lib...
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Documents 5 : Les conflits d’intérêts multiples notamment au sein de l’OMS signalés par un rapport sénatorial
La grippe A (H1N1)v : Retours sur « la première pandémie du XXIe siècle »(rapport)
Rapport n° 685 (2009-2010) de M. Alain MILON, fait au nom de la Commission d’enquête sur la grippe A, déposé le 29 juillet 2010
https://www.senat.fr/rap/r09-685-1/...
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Notre article : Qui finance l’OMS à l’ère du néolibéralisme ?
https://www.gauchemip.org/spip.php?...
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Connexion –OMS université de Liverpool – U firmes nitaid – Inserm – État : la neutralisation de l’Ivermectine.
Source : France soir.fr
lehttps://www.francesoir.fr/opinions-...
https://www.francesoir.fr/societe-s...
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Document 6 Conflits d’intérêts et santé publique : l’apport des sciences sociales
par Boris Hauray
Source : Cairn info . 06/10/2020
Dans Sciences sociales et santé 2020/3 (Vol. 38), pages 5 à 19
https://www.cairn.info/revue-scienc...
1 Au cours des dernières décennies, la catégorie de « conflit d’intérêts » s’est imposée comme la modalité essentielle de problématisation de l’influence des intérêts particuliers, tout particulièrement économiques, sur les savoirs, pratiques et politiques sanitaires et de mise en cause des dangers qu’elle peut représenter pour la santé publique (Hauray, Henry et Dalgalarrondo, 2015). De la gestion de la pandémie de grippe H1N1 (et plus récemment de Covid-19) au maintien sur le marché du Mediator, de l’évaluation des risques du glyphosate à la question de l’étiquetage des informations nutritionnelles des produits alimentaires, elle s’est largement imposée auprès de lanceurs d’alerte, de collectifs engagés dans la dénonciation de l’usage de certains produits, de scientifiques récusant les conclusions d’articles scientifiques ou d’expertises, ou auprès de journalistes enquêtant sur des décisions publiques. Ce phénomène n’est pas spécifique à la France. Dès 2009, un influent rapport de l’Institute of Medicine américain affirmait dans sa préface : « Il est rare qu’il ne se passe une semaine sans une histoire dans les médias sur les conflits d’intérêts » (Lo et Field, 2009 : xi).
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2 Cette catégorie vise, dans sa définition dominante, des situations dans lesquelles les jugements ou les actions d’un professionnel concernant son intérêt premier (notamment soigner son patient, produire des savoirs ou des expertises valides, prendre des décisions de santé publique) risquent d’être indu ment influencés par un intérêt qualifié de second (le plus souvent des gains ou des relations financières) (Thomson, 1993 ; Lo et Field, 2009). Dans les faits, elle est mobilisée pour désigner ou mettre en cause des phénomènes assez divers. Elle sert à pointer l’existence de transferts financiers directs entre les industriels et d’autres acteurs de la santé (paiements de repas ou de participations à des congrès, speaking fees touchés par les leaders d’opinion, présence de scientifiques dans des boards des industries, possession d’actions d’entreprises, financement de sociétés savantes, d’associations de patients ou de clubs parlementaires, etc.), mais aussi à discuter de la place des industriels dans les différents mondes de la santé (contrôle d’une grande partie de la recherche clinique, activité de promotion de leurs produits au sein des cabinets médicaux, des pharmacies ou des hôpitaux, etc.,). Elle est parfois également utilisée pour dénoncer des relations occultes pouvant tomber sous le sceau de l’illégalité, des phénomènes impliquant des dynamiques temporelles comme les processus de revolving door (c’est-à-dire de circulation de personnes entre la sphère économique et la sphère administrative et politique) [1]
[1] Par exemple, récemment la critique de la nomination de l’ancien… ou même des conflits entre des intérêts (quand par exemple un industriel empêche un scientifique de publier un article tiré d’une recherche qu’il a financé). Le conflit d’intérêts n’est cependant pas seulement une catégorie ainsi largement utilisée dans le cadre de controverses scientifiques ou publiques. Au cours des trente dernières années, elle s’est fortement institutionnalisée au sein même d’organisations centrales du champ sanitaire et au-delà, dans le droit. Autorités publiques et comités d’experts, journaux scientifiques, universités et instituts de recherches ont instauré des dispositifs de plus en plus précis de contrôle des conflits d’intérêts, et tout particulièrement des procédures de déclaration d’intérêts, le plus souvent centrées sur les liens financiers, censées assurer par la transparence une maîtrise des mécanismes d’influence.
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3 Du fait de sa place prise dans le monde de la santé, le conflit d’intérêts s’est imposé comme un objet propre de recherche au sein des disciplines médicales, comme l’atteste la croissance continue des articles scientifiques qui lui sont consacrés (Rodwin, 2011) ou, par exemple, la publication en 2017 d’un numéro du Journal of American Medical Association (JAMA) entièrement consacré à ce thème. Il a également donné lieu à des travaux conséquents en éthique et en droit (Davis et Stark, 2001 ; Brody, 2011, Moret-Bailly, 2014). Mais, paradoxalement, les sciences sociales de la santé se sont dans leur ensemble très peu saisies de ce phénomène ou des situations qualifiées de « conflit d’intérêts ». Dans ce contexte, ce numéro de Sciences Sociales et Santé se propose de rassembler un ensemble de travaux de sociologie, d’histoire et de science politique qui étudient la question des conflits d’intérêts à partir de recherches empiriques, tout particulièrement en lien avec les industries chimiques et du médicament [2]
[2] Ces travaux s’inscrivent dans le programme de recherche MEDICI…. Cette introduction retracera brièvement la trajectoire de cette catégorie et s’interrogera sur les enjeux et difficultés de la constitution du conflit d’intérêts en objet de recherche pour les sciences sociales.
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4 Une analyse précise de la trajectoire de la catégorie de conflit d’intérêts dépasserait le cadre limité de cette introduction. Il est néanmoins intéressant de mettre en évidence quelques étapes essentielles dans son émergence, puis son inscription dans le champ sanitaire, à l’articulation de la morale, des savoirs et du politique.
Bien évidemment les questionnements éthiques et les principes juridiques sous-jacents à l’idée de conflit d’intérêts sont anciens. Marc Rodwin, pour tracer les origines de ces principes, fait ainsi référence à la fiducia du droit romain, liée à la gestion des successions, en ce qu’elle créait une obligation pour une partie d’agir dans l’intérêt de l’autre et posait la question d’un possible détournement de cette mission (Rodwin, 2011). Plus spécifiquement dans le champ des régulations professionnelles, la condamnation de « l’ambidextrie » (le fait de percevoir de l’argent des deux parties impliquées dans un conflit ou de dévoiler des informations confidentielles à des parties adverses) a accompagné à l’époque médiévale la construction de la profession d’avocat (Rose, 2000). Dans le domaine politique on peut citer par exemple l’interdiction faite, à partir du 16e siècle, aux membres du Parlement britannique d’exercer certaines professions (les « offices of profit ») car celles-ci étaient jugées susceptibles de les mettre en situation d’être juge et partie (Cranston, 1979).
Toutefois, la catégorie sociale de « conflit d’intérêts », dans le sens qu’elle a pris aujourd’hui, n’émerge véritablement qu’à partir des années 1950 aux États-Unis. Ce terme « entonnoir » sert alors à désigner l’objet commun de législations, souvent anciennes, encadrant les activités privées et les avoirs des membres de l’administration. Deux logiques largement contradictoires président à son inscription dans l’espace médiatique et politique : la perception d’un besoin de contrôle plus fort des intérêts privés de certains délégataires de l’autorité publique et la volonté d’aménager un espace plus propice aux échanges entre acteurs privés et sphère publique. D’une part, des controverses politiques se multiplient sur les stratégies d’influence de certains intérêts particuliers au sein des administrations Truman et Eisenhower, notamment en lien avec ce que ce dernier nommera lui-même le « complexe militaro-industriel » [3]
[3] La nomination en 1953 par le Président Eisenhower du PDG de…. D’autre part, l’implication croissante du gouvernement américain dans la régulation de l’économie le conduit à mobiliser de nombreuses compétences externes. Cependant, le recours à des experts et consultants est jugé complexe et juridiquement fragile du fait de l’application à ceux-ci de statuts définis pour les employés à plein temps de l’administration. La réflexion sur une nécessaire « modernisation » des statuts encadrant les conflits d’intérêts est notamment portée par des avocats et des juristes, professions directement concernées par les travaux de consultance pour l’État. Sous l’impulsion du Président Kennedy, le « Bribery, Graft and Conflict of Interest Act (Loi sur la corruption, les abus et conflits d’intérêts) » est adopté en 1962. Sans définir la notion de conflit d’intérêts, il précise et élargit la définition des liens financiers devant conduire à une interdiction de participer à une décision publique. Il crée surtout un statut spécifique pour les personnels employés de manière temporaire et/ou partielle par l’administration : ils peuvent obtenir des waivers (ou dérogations) qui les exonèrent de ces interdictions, mais sont dans l’obligation de déclarer leurs intérêts financiers à un responsable, afin que celui-ci puisse juger si ceux-ci ne sont pas d’une importance telle qu’ils puissent« être considérés comme susceptibles d’affecter l’intégrité des services ». Cette nouvelle réglementation ne stoppe cependant pas les controverses sur les liens d’intérêts des responsables politiques. De plus, les accusations de conflits d’intérêts s’étendent à partir des années 1970 aux comités d’experts scientifiques et aux agences de régulation, qui ont peu formalisé l’usage des waivers instaurés en 1962. Dans un contexte marqué par des mobilisations sociales de défense des consommateurs et de l’environnement, mais aussi par une critique politique du rôle pris par les agences de régulation et les comités d’experts, la participation d’experts fortement liés à des industries polluantes ou agro-alimentaires à des comités chargés de la protection de la santé publique est notamment mise en cause (Parascandola, 2007), tout comme l’est celle de médecins liés à l’industrie pharmaceutique au sein des instances d’expertise de la Food and Drug Administration.
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6 À partir de la fin des années 1970, le recours à cette catégorie s’étend fortement dans le champ de la biomédecine et au cours des deux décennies qui suivent, les procédures de gestion des conflits d’intérêts se multiplient. La collision de deux enjeux sociaux joue un rôle central dans le déclenchement de cette dynamique : celui de la fraude et celui de l’entrepreneuriat scientifique. D’une part, la question des fraudes dans le milieu scientifique, particulièrement dans la recherche biomédicale, fait l’objet d’investigations à la fois institutionnelles (auditions du Congrès américain à partir de 1981) et journalistiques aux États-Unis. D’autre part, plusieurs décisions de l’administration fédérale américaine (notamment le Bayh-Dole Act de 1980) encouragent les relations entre l’industrie et le monde académique. Ces décisions alimentent, dans un contexte de “révolution génétique”, les ambitions entrepreneuriales et financières des universités et de certains de leurs membres, mais aussi les inquiétudes sur une marchandisation de la recherche. En 1980, l’université de Harvard envisage ainsi de créer une entreprise financée par du capital-risque, mais dans laquelle elle détiendrait elle-même des parts, pour exploiter les travaux de ses chercheurs sur l’ADN recombinant. Ce projet, qui déclenche de fortes oppositions, est abandonné, mais les révélations se multiplient sur les positions occupées par certains professeurs dans des entreprises de biotechnologie ou sur leurs avoirs en actions. Pour répondre à ces controverses, des universités adoptent à cette époque de premières guidelines demandant aux professeurs de déclarer leurs activités externes qui pourraient poser des problèmes de conflits d’intérêts. En 1984, dans un éditorial intitulé « Dealing with Conflict of Interest », l’éditeur en chef de la plus prestigieuse revue médicale, le New England Journal of Medicine, prend également acte des défis posés par ce nouvel entrepreneuriat scientifique (Relman, 1984). Il annonce que sa revue attend désormais de ses auteurs qu’ils déclarent « toute forme de lien commercial qui pourrait causer un conflit d’intérêts avec l’article soumis ». L’idée est alors transgressive puisqu’elle met en cause au sein même d’une institution importante de validation du savoir médical le mythe d’une science objective et désintéressée. Malgré d’importants débats, elle s’impose progressivement au fil des controverses dans les principales revues médicales et en 1993 l’International Committee of Medical Journal Editors adopte une première déclaration commune sur l’importance décisive de la gestion des conflits d’intérêts dans la crédibilité des publications scientifiques. Notons cependant que la mise en œuvre des procédures de disclosure (déclaration) des liens d’intérêts des auteurs dans les journaux demeure longtemps peu effective. Au cours des années 1990, la question de la transparence des liens avec les acteurs économiques s’installe aussi progressivement en Europe en ce qui concerne les processus d’expertise. Par exemple, en 1993, la création de nouvelles agences chargées d’évaluer les médicaments, parallèlement en France et au niveau de l’Union européenne, s’accompagne de l’édiction de procédures de déclaration des intérêts des experts consultés, qui sont présentées comme des ruptures avec le « laxisme » antérieur.
7 À partir de la fin des années 1990, les conflits d’intérêts jouent un rôle grandissant dans la crise de confiance qui s’affirme au sein de la médecine (Hauray, 2019). Plusieurs raisons interconnectées permettent de l’expliquer : la mise en scandale de crises sanitaires, la consolidation des savoirs sur les liens d’intérêts et enfin, la structuration d’un mouvement critique sur cette question. Tout d’abord, et pour se centrer sur le cas des médicaments, des controverses et crises sanitaires éclatent au début des années 2000 sur des produits très largement prescrits : médicaments contre le cholestérol (cerivastatine en 2001), traitements de la ménopause (2002), anti-inflammatoires (Vioxx en 2004) ou antidépresseurs (paroxetine en 2004). Elles touchent un large public, sont donc fortement couvertes par les médias et, dans leur sillage, que ce soit en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, des commissions parlementaires d’enquête sont créées qui interrogent l’influence des industriels sur la santé publique. Quelques années plus tard, les débats sur la gestion de la grippe H1N1 et, en France, le scandale du Mediator de 2010 renforcent encore l’intérêt médiatique, politique et professionnel pour cette thématique du conflit d’intérêts. Les poursuites judiciaires intentées sur ces différentes affaires permettent de rendre publics des documents mettant en lumière des stratégies industrielles très poussées visant à peser sur les savoirs, les expertises et les prescriptions [4]
[4] Par exemple en 2004 est publié un extrait d’un mémo interne de…. Aux États-Unis des milliers de documents d’abord sur l’industrie du tabac en 2002 puis sur l’industrie des médicaments à partir de 2005, sont notamment mis en ligne par la Library and Center for Knowledge Management de l’Université de Californie, San Francisco (UCSF). Les données produites grâce aux différentes procédures de déclarations d’intérêts instaurées solidifient également les savoirs sur ces questions, en démontrant statistiquement la pertinence des hypothèses qui en justifient l’existence : l’importance des liens financiers entre les industriels et les acteurs du champ de la santé et les biais produits sur les pratiques médicales (DeJong et al., 2016) ou les savoirs scientifiques - que ce soit sur la recherche biomédicale (Bekelman et al., 2003), les effets du tabac (Barnes et Bero, 1998) ou la nutrition (Lesser et al., 2007). Ces données, qui peuvent être recoupées, donnent de plus en plus de prise à un mouvement critique qui se structure à partir des années 2000 (professionnels et collectifs mobilisés, journalistes et même certains responsables politiques). D’anciens chercheurs ou dirigeants industriels devenus dénonciateurs, mais aussi d’anciens éditeurs de revues médicales publient ainsi des livres à charge sur l’influence des intérêts industriels sur la médecine (Angell, 2004 ; Gotzsche, 2013). De nouveaux médias se saisissent de ces questions (on peut citer par exemple Mediapart en France ou ProPublica aux États-Unis) et, dans les médias traditionnels, des journalistes mobilisent de plus en plus ce répertoire critique des conflits d’intérêts. Des organisations non gouvernementales se mobilisent également. Ainsi en France, le Formindep, collectif pour une « formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et de ses patients » est créé en 2004. En 2009, il dépose, devant le conseil d’État, un recours demandant l’abrogation des recommandations de la Haute Autorité de Santé sur le diabète et la maladie d’Alzheimer, au motif d’un manquement aux règles sur les conflits d’intérêts des experts chargés de les rédiger. Au niveau européen, le Corporate Europe Observatory (CEO), créé en 1997 pour surveiller le lobbying des entreprises au sein des institutions européennes, révèle en 2010 que des associations de patients solidement implantées dans des comités de l’Agence européenne des médicaments n’ont pas déclaré leur financement par des industriels. Cette mise en cause des conflits d’intérêts déclenche en retour un renforcement des dispositifs de transparence. À l’initiative du sénateur américain Charles Grassley, qui dénonce depuis plusieurs années l’opacité des liens financiers entre les industriels de la santé et les médecins, un « sunshine act », affichant l’ensemble de ces versements sur un site internet accessible au public est adopté dans le cadre de l’Obamacare en 2010. Cette politique de transparence est « importée » en France en 2011 à la suite du scandale du Mediator (Hauray, 2018) et conduit à étendre à l’ensemble des professionnels de santé les dispositifs de transparence qui touchaient auparavant uniquement les experts et les auteurs d’articles scientifiques. Cette politisation des enjeux de conflit d’intérêts et les procédures de plus en plus précises de gestion de ceux-ci conduisent à l’émergence en retour de discours au sein du monde médical, parfois même de la part des équipes éditoriales des revues médicales, défendant l’idée que la gestion trop rigoureuse des conflits d’intérêts nuit désormais à la santé et à l’innovation. Elle empêcherait ou limiterait des coopérations bénéfiques entre industriels et chercheurs et elle constituerait un fardeau bureaucratique dommageable (Stossel, 2015).
8Le conflit d’intérêts a ainsi émergé à partir des années 1950 comme une catégorie opératoire, sans reposer sur une conceptualisation préexistante, sans délimitation juridique ou philosophique précise (Perkins, 1963). À partir des années 1980, du fait de sa nouvelle visibilité en science et en médecine, il est donc devenu l’objet de débats conceptuels et normatifs (Luebke, 1987 ; Thomson, 1993 ; Brody, 2011). Ces travaux se sont efforcés de spécifier cette notion (le conflit d’intérêts constitue-t-il avant tout un risque de mauvais jugement ou une brèche dans la confiance prêtée à un système social ?) et d’évaluer ses implications normatives (avoir des conflits d’intérêts est-il en soi moralement mauvais ?). La focalisation de l’attention sur les conflits d’intérêts financiers a fait également l’objet d’un débat récurrent. Il a opposé les auteurs estimant celle-ci arbitraire et condamnable et ceux jugeant que l’extension de l’usage de la notion de conflits d’intérêts à des intérêts intellectuels (croyances, ambition académique, etc.) représente, dans le cadre de la mise en débat de l’influence des intérêts économiques, un risque de dilution de la notion et d’affaiblissement de sa portée critique (tous les scientifiques/experts ont du fait de leur parcours des « biais » intellectuels et il est difficile d’imaginer pouvoir les contrôler).
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9 Assez peu de travaux empiriques de sciences sociales se sont en revanche penchés sur les conflits d’intérêts dans le domaine sanitaire (Abraham, 2010). Des travaux ont porté en premier lieu sur l’évolution des règles d’encadrement des conflits d’intérêts. Marc Rodwin a adopté une conception large des conflits d’intérêts des médecins (pour inclure toutes les dimensions marchandes de leur activité, qu’elles soient ou non pensées dans la société à travers la catégorie de conflit d’intérêts) et a retracé la constitution d’un marché médical depuis plus d’un siècle aux États-Unis et les politiques visant à en limiter les effets pervers, en les comparant aux politiques françaises et japonaises (Rodwin, 2011). D’autres travaux ont permis de décrire les politiques de déclaration d’intérêts mises en place au sein des agences de régulation des produits alimentaires ou des médicaments (Glode, 2002 ; Hauray, 2006), comme au sein des journaux médicaux (Krimsky et Rothenberg, 2001 ; Krimsky et Sweet, 2009). Cependant ces recherches se sont rarement attachées à rendre compte des processus politiques ou des débats ayant conduit à l’adoption (ou au rejet) de ces règlementations (Parascandola, 2007 ; Hauray, 2018) ou à leur mise en œuvre effective. Sur ce dernier point la thèse de Rachel Hendrick comparant les politiques de régulation des conflits d’intérêts dans les journaux médicaux (Hendrick, 2016) ou le travail de Joel Lexchin et Oria O’Donovan (2010) évaluant les politiques de trois agences européennes font figure d’exception. Ces derniers ont constaté que l’Agence européenne des médicaments considère elle-même qu’un quart des experts inscrits dans sa base de données est à « haut risque » et ont ainsi critiqué la logique de management des conflits d’intérêts de l’Agence, par opposition à une logique d’interdiction promue par ces auteurs. De fait, les politiques de déclaration des conflits d’intérêts ont généralement été critiquées pour leur permissivité et leur efficacité limitée. Des chercheurs en psychologie sociale ont même évoqué un effet pervers du développement des systèmes de déclaration d’intérêts, qui produirait une forme de « moral licensing » (licence morale) : les intérêts étant publiquement déclarés, experts ou scientifiques se sentiraient moins tenus d’en limiter le nombre ou de les mettre à distance dans la définition de leur position (Dana et Loewenstein, 2003). Très peu de travaux se sont intéressés aux répercussions de cette problématisation croissante des conflits d’intérêts au sein du secteur sanitaire. Ce manque est d’autant plus regrettable que, comme Frederic W. Hafferty et Brian Castellani (2011) l’ont bien souligné, cette question est probablement l’un des sujets majeurs au travers duquel la médecine se pense aujourd’hui en tant que profession. Les rares travaux disponibles ont eu tendance, en replaçant la question des conflits d’intérêts dans le vécu et les activités concrètes des acteurs concernés, à en relativiser l’importance. Sarah Wadmann a suggéré que la focalisation sur les problèmes de conflits d’intérêts en ce qui concerne les relations entre industriels et médecins mène à des blame games (jeux d’accusation), qui détournent l’attention des véritables enjeux de ces coopérations, c’est-à-dire la définition des priorités de recherche (Wadmann, 2014). Kathryn Jones a étudié les relations financières entre les industriels et les groupes de patients, la gestion et la perception de celles-ci par les acteurs concernés, et a rejeté l’idée qu’elles pourraient conduire à une capture de la part des intérêts économiques (Jones, 2008).
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10 Les sciences sociales ont par ailleurs été réticentes à utiliser le conflit d’intérêts comme concept analytique. Sergio Sismondo, qui conduit des recherches sur des phénomènes sociaux couramment inclus dans les réflexions portant sur les conflits d’intérêts – notamment le ghost writing [5]
[5] La pratique du ghost writing consiste à faire publier sous le… des articles scientifiques et le rôle des « key opinion leaders » (KOL) [6] [6] Des médecins reconnus dans un domaine clinique et mobilisés par… (Sismondo, 2018) - a par exemple indiqué que : « [le terme de conflit d’intérêts] est bien établi et est celui le plus souvent retenu, mais il est trompeur. Le terme suggère en effet que les chercheurs agissent de manière inappropriée pour promouvoir leurs propres intérêts » (Sismondo, 2008 :1910). On peut comprendre ces réserves. Premièrement, cette notion peut paraître limitée comme mode de caractérisation de relations sociales : elle pointe l’existence d’un lien, mais ne dit pas grand-chose de la nature de l’interaction, des rapports de pouvoirs qu’elle implique ou de son caractère ou non problématique. Deuxièmement, si le conflit d’intérêts est utilisé pour évoquer des situations de nature assez différentes et complexes, le terme les ramène toutes à un mécanisme psychologique apparemment simple, que chacun d’entre nous a expérimenté : la confrontation de deux forces dans la définition d’un comportement. Il véhicule ainsi une conception très individuelle, délimitée et commensurable de l’influence, ce qui permet d’ailleurs de définir des seuils ou des durées quant aux intérêts devant être contrôlés. D’autres concepts, comme l’hégémonie, la capture, la production de l’ignorance (Boullier et al., 2018) ont été ainsi privilégiés dans les sciences sociales pour saisir la dimension structurelle de l’influence. Troisièmement, la promotion de la catégorie de conflit d’intérêts au sein du champ scientifique et sanitaire a été parfois vue comme une tentative de réactivation d’idéaux professionnels d’objectivité et de pureté, correspondant peu à la réalité des pratiques et des normes de ces mondes et à la porosité de leurs frontières avec le monde économique.
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11 Malgré ces limites, et au-delà de l’usage ou non de la notion elle-même, l’affirmation de cette question du conflit d’intérêts dans l’espace public et dans le monde médical nous semble être de première importance pour les sciences sociales de la santé. Elle pousse à prêter une attention soutenue aux intérêts industriels, avec leurs objectifs spécifiques et leurs ressources uniques, quand les phénomènes étudiés mettent leurs produits en jeu et à ne pas les laisser disparaître derrière les scientifiques, les experts, les médecins ou les patients. Elle invite au contraire à investiguer et à « dénaturaliser » les multiples liens qu’ils ont tissés aux cours des dernières décennies avec les acteurs de la santé et à leur synergie. Par ailleurs, prendre en charge cette question des conflits d’intérêts conduit à s’interroger sur les pratiques et motivations de professionnels de santé et de scientifiques soumis à des injonctions parfois contradictoires (être « indépendants », mais bâtir des partenariats publics-privés) et à l’évolution de leurs ethos. Surtout, du fait de sa place dans le champ sanitaire, le conflit d’intérêts ouvre, comme problématisation spécifique des questions d’influence, des pistes d’analyse particulièrement fécondes. Il est possible tout d’abord d’étudier les usages de cette catégorie (et leurs évolutions) et ce qu’ils créent, c’est-à-dire saisir à la fois les savoirs que cette catégorie permet de produire, les jugements moraux qu’elle véhicule, mais aussi sa place (voire son instrumentalisation) dans les rapports de pouvoir qui caractérisent le secteur. La signification politique, les conséquences, mais aussi les limites des « dispositifs de transparence » mis en place en son nom méritent par ailleurs d’être davantage étudiées. On peut en effet considérer que ces derniers visent à « aménager le milieu » en s’appuyant sur des mécanismes basés sur la définition libre des choix plutôt qu’à « spécifier, déterminer exactement ce qui est défendu, ce qui est permis » (Foucault, 2004 : 47). Dans une perspective historique, cette catégorie offre enfin la possibilité de s’interroger sur la problématisation de phénomènes aujourd’hui saisis par le « conflit d’intérêts » mais qui ne l’étaient pas jusque-là, et de questionner ainsi l’évolution tant des normes que des relations entre acteurs dans le champ sanitaire.
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12 Les articles ici rassemblés s’efforcent tous d’articuler ces deux principales stratégies pour construire le conflit d’intérêts comme objet de sciences sociales : rendre compte et analyser précisément la nature des liens de dépendance construits entre les acteurs du champ de la santé et les industriels, et penser les dynamiques de problématisation de l’influence en termes de conflits d’intérêts et ses conséquences. Ainsi, Jean-Paul Gaudillière étudie, à partir de documents rendus publics à l’occasion de procès, deux controverses publiques : celle concernant le Distilbène au cours des années 1970 et celle visant les thérapies hormonales de la ménopause dans les années 2000. Cette comparaison lui permet à la fois de mettre en lumière le rôle central des industriels dans l’organisation et la diffusion de la recherche, dans le cadre des transformations du marketing scientifique, et de rendre compte de l’émergence de la catégorie de conflit d’intérêts comme manière de saisir l’influence industrielle. Il discute ainsi la pertinence analytique de cette notion, dont il souligne les limites par rapport notamment à celles de « science non faite » et d’hégémonie. Henri Boullier et Emmanuel Henry visent eux, à partir d’une ethnographie de deux comités d’experts participant au contrôle des produits chimiques, à rendre compte des logiques structurelles de l’emprise des industries, tout particulièrement, les limitations du cadre réglementaire et le mode des productions des risques. Dans ce cadre, ils pointent les effets pervers d’une problématisation en termes de conflits d’intérêts qui, focalisant l’attention sur les échanges financiers directs, la détourne de logiques essentielles de construction et de diffusion de l’influence industrielle. Enfin, dans leur article consacré aux traitements de la maladie d’Alzheimer, Sébastien Dalgalarrondo et Boris Hauray suivent la naissance, l’institutionnalisation et la remise en cause d’une promesse médicale à l’aune de cette question des conflits d’intérêts. Ils soulignent que la mise sur le marché des médicaments anti-Alzheimer, au bénéfice thérapeutique contesté et leur large diffusion ont résulté d’une forte implication d’intérêts économiques dans la recherche médicale et dans la structuration du sous-secteur Alzheimer. Cette forte présence a permis, à la fin des années 2000, aux médecins opposés à ces traitements de se saisir du répertoire des conflits d’intérêts pour les remettre en cause, dans une alliance avec les mouvements critiques de l’influence des laboratoires.
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13 Liens d’intérêts : L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.
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[1] Par exemple, récemment la critique de la nomination de l’ancien directeur de la Haute Autorité de Santé (HAS) à la présidence de la Fondation des Entreprises du Médicament, voir Pascale Pascariello, 2019, « L’ancien directeur de la Haute Autorité de santé rejoint l’industrie pharmaceutique », Mediapart, 1er février 2019.
[2] Ces travaux s’inscrivent dans le programme de recherche MEDICI (2017-2020) « Les conflits d’intérêts dans le domaine du médicament » financé par l’Agence Nationale de la Recherche. Je remercie vivement les relecteurs anonymes, le Comité de rédaction de Sciences Sociales et Santé, et tout particulièrement Patrick Castel et Magali Robelet, pour leurs commentaires et leur précieuse aide dans la préparation de ce numéro.
[3] La nomination en 1953 par le Président Eisenhower du PDG de General Motors (Charles Erwin Wilson) comme Secrétaire de la Défense, alors que ce ministère est un client essentiel de l’entreprise dont il possède une grande quantité d’actions, constitue un tournant. L’une de ses déclarations lors des auditions de confirmation, qui est simplifiée dans les médias par la formule « what is good for our country is good for General Motors, and vice versa », fait tout particulièrement scandale et il sera finalement contraint de vendre ses actions.
[4] Par exemple en 2004 est publié un extrait d’un mémo interne de l’industriel produisant la paroxetine concernant la préparation d’un rapport sur les résultats de deux essais conduits sur son utilisation dans le traitement de la dépression chez l’adolescent. Alors qu’il constate que ces essais ne sont pas parvenus à montrer un avantage de cette molécule par rapport au placebo, il indique : « il serait commercialement inacceptable d’inclure une déclaration selon laquelle l’efficacité n’a pas été démontrée car cela ébranlerait le profil de la paroxetine » (Rennie, 2004).
[5] La pratique du ghost writing consiste à faire publier sous le nom d’un expert reconnu un article rédigé en sous-main par les équipes des laboratoires pharmaceutiques.
[6] Des médecins reconnus dans un domaine clinique et mobilisés par l’industrie pour leur capacité à influencer leurs pairs. Mis en ligne sur Cairn.info le 06/10/2020 Avec leur soutien CNL CNRS
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Document 7 : Rapport de la Cour des Comptes : La prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire
Source : Cour DES COMPTES 23.03.2016
https://www.ccomptes.fr/fr/publicat...
La Cour des comptes rend public, le 23 mars 2016, un rapport sur la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire, demandé par la commission des affaires sociales du Sénat, qui dresse un premier bilan de la loi du 29 décembre 2011en ce domaine. Malgré son ambition, le dispositif de transparence institué par ce texte présente des failles majeures (absence de contrôle des informations déclarées, sanctions pénales sans réelle portée, interprétation très restrictive des avantages consentis par les industriels aux professionnels de santé). La vérification de sa mise en œuvre dans cinq organismes (HAS, ANSM, INCa, CEPS, Oniam) met en lumière de fréquentes anomalies, qu’il s’agisse du respect des obligations déclaratives, de l’analyse des liens d’intérêts et des modes de gestion des conflits d’intérêts, de la publicité des séances ou du contenu financier des conventions passées avec les professionnels de santé, sur lequel un premier éclairage est apporté. Ce bilan appelle, en complément de la loi du 26 janvier 2016, des mesures pour mieux organiser l’administration centrale et les agences sanitaires, soutenir l’indépendance et la qualité de l’expertise sanitaire, renforcer l’efficacité du dispositif de déclarations d’intérêts et instaurer un contrôle effectif de leur véracité par une instance indépendante.
La Cour formule dix recommandations en ce sens.
Lire le document (PDF - 4 MB)
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Documents 8 : Comment l’industrie pharmaceutique a pris d’assaut les institutions européennes
Source : multinationales. Org
https://multinationales.org/fr/enqu...
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Ursula et Heiko von der Leyen : des conflits d’intérêts au minimum
(Le mari de Ursula von der Leyen qui veut rendre la vaccination obligatoire est le directeur de La société Orgenesis dont Pfizer est actionnaire.)
Publié le 07 novembre 2022
Source : France Soir.fr
https://www.francesoir.fr/politique...
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Ursula von derLeyen, présidente de la commission européenne et le problème de la transparence.
Le journal Le Monde montre dans deux articles indépendants comment Van Der Leyen, pratique l’opacité sur des enjeux financiers gigantesques.
a) quels ont été les contenus des échanges entre Ursula von der Leyen et le président de Pfizer ?
https://www.lemonde.fr/internationa...
(L’achat des vaccins a coûté 72 milliards d’euros dont 36 milliards pour Pfizer)
b) comment ont été distribués et utilisés les 723 milliards du plan de relance européen ? Opacité.
https://www.lemonde.fr/economie/art...
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Document 9 les médias en conflit d’intérêt : L’agence de presse Reuters, le cabinet McKinsey et Pfizer, l’énorme conflit d’intérêts !
Source : Nexus. 15/01/2022
https://www.nexus.fr/actualite/news...
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Documentes 10 Conflits d’intérêts, fraude et corruption dans la crise sanitaire de la covid 19
Comment la fraude et la corruption ont été les vraies causes de la crise sanitaire.
https://www.gauchemip.org/spip.php?...
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Colloque interdisciplinaire « Corruption et fraude dans la crise COVID depuis 2020 »
Source : anthropologiques.org
https://anthropo-logiques.org/collo...
On peut accéder aux différentes vidéos des conférences : en voici un exemple concernant la fraude sur le comptage.
https://odysee.com/@Kairospresse:0/...
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Documents 11 : les publications scientifiques. Comment les conflits d’intérêts peuvent influencer la recherche et l’expertise
Laura Maxim, Gérard Arnold
Dans Hermès, La Revue 2012/3 (n° 64), pages 48 à 59
Source : cairn info
https://www.cairn.info/publications... bravo
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L’impact des conflits d’intérêts non financiers dans la publication scientifique
Source : association française pour l’information scientifique
https://www.afis.org/L-impact-des-c...
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Annexe
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Affaire McKinsey : la justice enquête sur les campagnes électorales d’Emmanuel Macron
https://www.gauchemip.org/spip.php?...
Jusqu’où va l’influence de la firme McKinsey en France ? https://www.anachronique.fr/blog-42
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Macron et Pfizer. Source : magazine Marianne (mars 2022) https://www.marianne.net/politique/...
AFP, SON INDÉPENDANCE MISE EN DOUTE
https://oneshotmedia.fr/2020/02/06/...
l’AFP étouffe des informations gênantes pour le nouveau pouvoir (SNJ-CGT).
Source : Acrimed
En 2022, l’AFP perçoit 139,48 millions d’euros d’aide publique.
Source : Sénat
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Les déclarations pour se préserver des conflits d’intérêts selon les annonces des différents organismes de santé : la théorie.
ANSM :
https://ansm.sante.fr/uploads/2022/...
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HAS : https://www.has-sante.fr/jcms/c_201...
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OMS : https://www.who.int/fr/about/ethics...
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Inserm : https://www.hal.inserm.fr/inserm-02...
Hervé Debonrivage
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