L’extraordinaire vision économique de Jean-Jacques Rousseau.

jeudi 26 janvier 2023.
 

La pensée économique de Jean-Jacques Rousseau avec son contenu critique de l’économie de marché reste d’une totale actualité. La philosophie politique de La France Insoumise y trouve en partie sa source.

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L’émission deTiphaine de Rocquigny « entendez-vous l’éco ? » du 15/06/2022 reprise en décembre 2022 a traité de la pensée économique de Jean-Jacques Rousseau.

On peut écouter l’émission avec le lien :

https://www.radiofrance.fr/francecu...

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Présentation de l’émission sur France Culture

Alors que les arguments économiques appuyés par les Physiocrates et philosophes de l’économie prennent une ampleur sans précédent, Rousseau les repousse avec véhémence. Esprit particulièrement critique du siècle des Lumières, quelle est sa vision de l’économie ?

Avec

Pignol Claire Maître de conférences en économie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, historienne de la pensée économique, ayant travaillé sur les représentations de l’économie dans la littérature

Johanna Lenne-Cornuez Agrégée et docteure en philosophie, enseignante au lycée et chargée de cours à l’Université de Lorraine

Troisième épisode de notre série sur l’économie des Lumières. Aujourd’hui, nous nous penchons sur la pensée économique de Jean-Jacques Rousseau. Son rejet jugé hâtif du commerce et des échanges monétaires l’a longtemps disqualifié aux yeux des économistes, alors même que l’auteur de La Nouvelle Héloïse et de l’Émile y livre une réflexion passionnante sur le travail, les inégalités ou encore la propriété privée. C’est cette pensée à contre courant des idées de son temps qui va nous intéresser.

Quand Rousseau critique les grandes thèses économiques de son temps

Jean-Jacques Rousseau, s’il est acquis à la cause des Lumières en partageant leurs idées telles que le partage des savoirs et l’inaliénabilité de la liberté humaine, marche à contre-courant. Il remet notamment en cause la recherche de la croissance, le bien-fondé de la course à la productivité, et l’idée du "doux commerce" étayée par les physiocrates. Pour Johanna Lenne-Cornuez, plus globalement, "Rousseau s’inscrit totalement en faux contre l’idée d’une réduction de l’intérêt humain à un appât du gain, à un intérêt économique. Il y a véritablement ici un appauvrissement de l’intérêt humain, alors que les êtres humains, pour Rousseau, sont capables de la poursuite d’un intérêt commun, d’un intérêt empathique, d’un véritable intérêt pour des choses morales... Donc l’économie elle même doit être absolument subordonnée à ses perspectives, ses perspectives morales et politiques."

Il s’oppose également aux partisans du luxe, notamment Mandeville, qui prône la théorie du ruissellement. Le luxe des riches profiterait aux pauvres, leur fournissant une activité et les retombées de leurs fastes. En réalité, ce transfert d’argent se fait en sens inverse : ce sont les riches qui confisquent aux pauvres.

Loin de n’être qu’un critique des thèses économiques de son temps, Rousseau propose des modèles alternatifs de système économique, notamment dans son roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761). Julie et M. de Wolmar organisent une économie autarcique, de type domestique, dans la communauté de Clarens. Claire Pignol nuance cette utopie fondée sur la hiérarchie et le patriarcat : "le modèle de Clarens, ce n’est pas un modèle d’économie politique. Or, Rousseau prétend aussi parler d’économie politique, même si ce n’est pas à la manière des économistes.

C’est une économie domestique. C’est une économie qui tient son intérêt par le contraste qu’elle fait apparaître avec l’économie marchande. Donc il permet de montrer que la jouissance véritable n’est pas dans la recherche d’un gain à travers des échanges avec l’extérieur. Beaucoup de choses sont intéressantes, mais en effet, il faut quand même prendre des précautions pour le prendre comme modèle."

Rousseau, penseur de la question sociale

Le citoyen de Genève considère que l’homme, bon et tourné vers ses propres besoins dans l’état de nature, est corrompu une fois en société. À partir de là, il développe toute une réflexion sur le travail, la propriété et les inégalités sociales.

Le travail chez Rousseau est valorisé. Selon Claire Pignol, "Rousseau veut éduquer Émile de manière à ce qu’il perçoive ce qui est véritablement utile et pas forcément ce qui est approuvé socialement. Émile est à éduquer de telle manière, non pas pour vivre parmi eux dans le désert, mais pour vivre parmi les hommes. Le travail est une expérience sociale qui doit lui permettre de s’insérer. Le travail, en réalité, est une obligation morale. ’Tout citoyen oisif est un fripon’ et quoi qu’il en soit, qu’Émile soit noble, n’ait pas forcément besoin de travailler, peu importe. Il faut tout de même lui apprendre un métier. Et Rousseau va jusqu’à proposer une division du travail qui est là encore assez proche de celle d’Adam Smith dans La Richesse des nations."

La société, notamment à travers la propriété et l’accaparement de biens de certains individus au détriment d’autres (on parle de "surnuméraires", qui ne peuvent plus assurer seuls leur subsistance), peut-elle tendre à l’égalité, à la redistribution ? Pour Johanna Lenne-Cornuez "il s’agit dans le contrat social de montrer que, néanmoins, il y a des conditions matérielles de la liberté. Par conséquent, il faut, nous dit Rousseau dans le Contrat Social, que personne n’ait trop ou trop peu. Donc, il faut une relative égalité des richesses. Et en ce sens là, toute la perspective de Rousseau est toujours adossée à cette exigence de justice."

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Pour aller plus loin

Être a sa place, la formation du sujet dans la philosophie morale de Rousseau, Johanna Lenne-Cornuez, Classiques Garnier, 2021

"Rousseau, philosophie et économie", in. Les Cahiers d’Economie Politique, Claire Pignol et Jimena Hurtado, L’Harmattan, 2007

Rousseau et la critique de l’économie politique, Céline Spector, Presses universitaires de Bordeaux, 2017 (et l’entretien disponible sur YouTube)

Références sonores

Lecture d’un extrait de Julie ou La Nouvelle Héloïse, Jean-Jacques Rousseau, 1761

Extrait du film Captain Fantastic, Matt Ross, 2016

Lecture d’un extrait de Emile ou de l’Education, Livre III, Jean-Jacques Rousseau. 1762

Extrait de Les Chemins de l’exil ou les dernières années de Jean Jacques Rousseau, Claude Goretta, 1979.

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Références musicales

J’ai perdu tout mon bonheur, premier air du Devin du village, opéra de Rousseau - Gabriela Buergel (200

Nomad - Σtella (2022)

Philosophie politique

Jean-Jacques Rousseau Histoire du 18e siècle

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L’équipe : voir le site.

** Annexe

Nous conseillons vivement aux lecteurs de visionner les deux vidéo suivantes du célèbre Henri Guillemin

Vidéo 1 : la pensée politique de Jean-Jacques Rousseau

https://www.youtube.com/watch?v=87J...

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Vidéo 2 : la pensée religieuse de Jean-Jacques Rousseau

https://www.youtube.com/watch?v=0p7...

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Hervé Debonrivage


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