8 octobre 1981 Publication du rapport de Jean Auroux sur les nouveaux droits des travailleurs

lundi 10 octobre 2022.
 

- A) L’enjeu du social en 1981
- B) Dossier du Monde sur les lois Auroux. Entretien

A) L’enjeu du social en 1981

A1) La victoire du 10 mai 1981 et le Programme commun

10 mai 1981 François Mitterrand élu Le peuple de gauche explose de joie

L’enthousiasme est alors considérable au sein du peuple de gauche mais aussi largement parmi les salariés et tous les milieux populaires. Personne ne doute de la victoire du PS et du PCF lors des prochaines élections législatives. Une grande partie de la droite, y compris parmi les élus, fait semblant de positiver cette alternance, la première depuis longtemps.

L’analyse des résultats de ces présidentielles montre très clairement qu’elles ont entraîné une forte polarisation sociale : les salariés et milieux populaires votent très majoritairement à gauche. Aussi, François Mitterrand a raison d’en tirer pour bilan que la majorité politique de la nation coïncide à présent avec sa majorité sociale.

Personne ne doute d’une application du Programme commun avant la fin de la législature.

A2) De Mai 68 à 1981

22 mars 1972 Ouverture des discussions PS PCF pour élaborer un programme social à la hauteur des aspirations de 1968

22 mars 1968 Prélude du mouvement étudiant de Mai (par Robi MORDER)

A3) Du programme commun de la Gauche à 1981

Front populaire, CNR, Programme commun, Gauche plurielle, Front de gauche : quel dénominateur commun, quelles différences ? Table ronde Corbière (PG) Malaisé (GU) Dauliac (PCF)

27 juin 1972 : Signature du Programme Commun par le Parti Socialiste

27 juin 1972 De la division de la gauche au Programme commun

B) Dossier du Monde sur les lois Auroux

B1) le parcours d’un homme

Jean Auroux, l’homme des lois, ouvrage rédigé à partir d’une série d’entretiens réalisés par Patrick Gobert auprès de l’ancien ministre du Travail, est paru au printemps dernier aux Éditions du 1er-Mai. Un ouvrage très vivant qui retrace le parcours d’un homme, devenu ministre de François Mitterrand, qui s’est employé à mettre en œuvre une grande partie du programme commun de la gauche  : création d’une cinquième semaine de congés payés, passage aux 39 heures payées 40, retraite à soixante ans et quatre «  lois Auroux  ». Des lois écrites en dix-huit mois et adoptées entre août et décembre 1982. Elles ont notamment instauré une obligation annuelle de négocier dans l’entreprise (sur les salaires, la durée et les conditions de travail), elles ont encadré le pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise, attribué une dotation minimale de fonctionnement aux comités d’entreprise (0,2 % de la masse salariale brut de l’entreprise), créé les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT), instauré un droit d’expression pour les salariés sur leurs conditions de travail. Trente ans plus tard, l’ancien ministre décrit à grands renforts d’anecdotes le contexte et les enjeux de ces avancées sociales. Non sans exprimer quelques regrets et une vision de l’avenir, alors que la gauche, de nouveau au pouvoir, a, elle aussi, de «  nouveaux droits pour les travailleurs  » à écrire.

Jean Auroux, l’homme des lois, entretiens avec Patrick Gobert, Éditions du 1er-Mai, 2012, 160 pages, 19 euros.

B2) Entretien avec Jean Auroux

Nommé ministre du Travail à trente-neuf ans, au lendemain de la victoire de François Mitterrand, Jean Auroux remettra,dès le 8 octobre 1981, un rapport sur les nouveaux droits destravailleurs qui débouchera sur les ordonnances instaurant les39 heures, une hausse de 10 % du Smic, la retraite à 60 ans, etles lois portant son nom seront votées d’août à décembre 1982.

Vous étiez enseignant, passionné de pédagogie, élu local à Roanne, dans la Loire, comment accueillez-vous votre nomination au ministère du Travail, en mai 1981 ?

Jean Auroux. Comme j’étais président d’un office HLM, je me suis occupé des questions du logement au sein de l’équipe de campagne de Mitterrand. En mai, on a gagné. Il n’y avait pas de portables à l’époque, certains sont restés fébrilement à côté du téléphone jour et nuit, dans l’attente d’un coup de fil de l’Élysée, moi je suis parti chez un ami en Espagne. Pierre Bérégovoy, secrétaire général de l’Élysée, a finalement réussi à me joindre pour m’annoncer que François Mitterrand voulait m’offrir un café à l’Élysée, le jour de sa prise de fonction, ajoutant en riant qu’il me proposerait sans doute aussi autre chose qu’un café… J’y suis allé. Toute la gauche était là, dans le jardin. D’abord, je me suis perdu dans l’Élysée. Je n’y étais jamais venu auparavant. Giscard ne m’y avait jamais invité ! D’ailleurs, Mitterrand lui-même avait perdu l’habitude de s’y rendre. Souvenonsnous que nous sortions de vingt-trois années d’opposition, une génération ! Nous n’avions pas la culture du pouvoir. Et, effectivement, ce 21 mai, il m’a proposé le ministère du Travail. Un choc. Dans un contexte de revendications sociales lourdes qui duraient depuis deux décennies, de programme commun décliné en 110 propositions à traduire en actes. « Je ne suis pas juriste », lui ai-je dis ! Il m’a répondu qu’il ne cherchait pas un juriste, pas un énarque, que c’est mon profil de maire d’une ville ouvrière, d’homme du terrain, qui l’intéressait. Que ma tâche était de penser, en m’entourant de gens qui tiendraient la plume. Parmi ces gens, il y avait Martine Aubry, recrutée pour ses compétences et qui ne s’était d’ailleurs pas présentée à moi comme étant la fille de Jacques Delors. Nous avons énormément travaillé tout l’été, recevant à plusieurs reprises, sans théâtralisation, les leaders des syndicats de salariés et patronaux, dont on peut dire qu’ils avaient toute une histoire derrière eux : Henri Krasucki (CGT), arrivant avec une énorme pile de revendications que j’aurais, selon lui, « à trier », Edmond Maire (CFDT), André Bergeron (FO), Paul Marchelli (CGC), Jean Bornard (CFTC), Yvon Chotard (CNPF, ex-Medef) arrivant, lui, avec une mine de bourgeois de Calais prêt à se passer la corde au cou… Je ne conteste pas le rôle des leaders d’aujourd’hui, mais ceux-là avaient tous une histoire derrière eux, une autorité interne et externe. Ils se révélèrent en véritables partenaires de dialogue. Dès le 8 octobre au matin, je rendais public mon rapport sur les nouveaux droits des travailleurs. Un jour d’autant plus inoubliable que l’après-midi, j’enterrai ma mère à Roanne. Ce rapport, je l’ai aussi vécu comme un hommage à mes parents, agriculteurs, qui ont travaillé toute leur vie. Nous avions déjà agi dès juin 1981 par décrets, puis par ordonnances en février 1982 : augmentation du smic de 10 %, semaine de 39 heures, cinquième semaine de congés payés, et feu la retraite à 60 ans… Ensuite, on peut dire que j’ai pas mal squatté le Parlement durant l’année 1982 pour soumettre au vote les lois Auroux. Dix-huit mois, de travail et de réformes considérables. Il y a tout juste trente ans, la première loi Auroux était votée, le 4 août 1982. La date renvoie à la fameuse nuit de 1789, ou est-ce un hasard ? Jean Auroux. Pas du tout un hasard ! Nous étions très attachés aux symboles. D’ailleurs, le dernier paquet de lois, qui instaurait notamment les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les entreprises, a été adopté le 23 décembre. Nouveau clin d’oeil, dans nos têtes, il s’agissait d’un véritable cadeau de Noël offert au monde du travail. Ce 4 août, ont notamment été adoptés le droit d’expression des salariés sur les conditions de travail, la création d’un droit disciplinaire inscrit dans un règlement intérieur de chaque entreprise, validé par l’inspection du travail, pour éviter l’arbitraire patronal…

Des lois fidèles aux volontés de François Mitterrand ?

Jean Auroux. Il les a soutenues, malgré des pressions énormes. Relisez le Figaro de l’époque ! Le patronat s’acharnait contre « ces Soviets » qu’on voulait installer dans les entreprises ! Quand les textes étaient prêts, ils étaient immédiatement portés à l’ordre du jour. Mais il fallait négocier aussi avec François Mitterrand. Le droit de veto, par exemple, qu’il souhaitait confier aux comités d’entreprise, j’étais contre. Que se passerait-il après ? J’ai préféré créer le droit d’alerte, plus opérationnel, assorti de moyens pour solliciter une expertise. Il s’agissait de permettre aux membres des CE de pouvoir vraiment juger de la situation d’une entreprise en amont des problèmes, plutôt que de dire « on arrête tout ». Pareil, Mitterrand parlait du « droit d’arrêt des machines » face à un danger. Alerté par les syndicats, j’ai préféré instaurer un droit de retrait. J’avais appris le respect de l’outil de travail. J’ai toujours été très attentif au vécu, plutôt qu’aux analyses, au chiffrage… On ne pouvait pas arrêter un laminoir en Lorraine comme on arrête une production de bonneterie à Roanne. Il fallait un droit applicable à tous, partout. Et, de fait, il a pu s’appliquer assez régulièrement depuis. Je suis d’ailleurs très préoccupé, aujourd’hui, par l’utilisation de produits chimiques partout, par la prolifération des nanotechnologies… La quête du profit fait qu’on n’est pas trop regardant sur ces choses, mais je pense qu’il y a là matière à voir apparaître de vraies catastrophes. Je songe d’ailleurs à ceux qui trouvaient absurde de créer des CHSCT, y compris dans le tertiaire, où les cols blancs ne couraient soi-disant aucun danger… L’actualité montre régulièrement à quel point nous avons eu raison de tenir bon. Je disais à l’époque : « L’entreprise ne doit plus être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes. »

Les pages sociales de l’Humanité en témoignent chaque jour. Mais elles témoignent aussi de l’actualité de nouveaux droits qui restent à créer dans les entreprises. Selon vous, dans quel sens doivent-ils aller ?

Jean Auroux. Vous savez, quatre volets ont guidé l’articulation de ce travail législatif de 1982, qui restent fondamentalement des pistes d’avancées. D’abord, il s’agissait de reconstituer la collectivité de travail, c’est-àdire de bâtir un projet où les hommes et les femmes se retrouvent, notamment en luttant contre la précarité et l’intérim. On ne gagne pas une guerre avec des gens de passage ! Nous avons encadré le recours à l’intérim en le limitant à des périodes de surcroît d’activité – et nous les avions taxées. Depuis, les vannes ont lâché. Ensuite, nous avons travaillé à la notion de libertés individuelles renforcées. D’où la loi contre les discriminations et le droit d’expression, datée du 4 août, qui rendait de la dignité aux gens. Le troisième volet consistait à renforcer le collectif, à travers les instances représentatives des salariés – syndicats, délégués du personnel –, à travers un volume d’heures de délégations, le droit à la formation et à disposer d’informations économiques, etc. J’avais lancé l’idée de créer des délégués de site, ce qui permettait aux salariés de différentes entreprises implantées dans un même lieu géographique d’être représentés pour répondre à des problèmes communs. Je pensais aux zones industrielles et aux centres commerciaux. Ça n’a pas marché à l’époque. Mais je constate que l’idée est reprise aujourd’hui. Par ailleurs, je disais à l’époque : « La démocratie politique a ses échéances, il faut que la démocratie ait ses rendez-vous. » C’est dans cet esprit qu’a été créée la NAO, négociation annuelle obligatoire, en matière salariale. Même si je n’ai pas réussi à imposer l’obligation de résultat. Bref, il s’agissait de mettre en place des politiques contractuelles vivantes et adaptables à la situation de chaque entreprise, en complément convergences à l’échelle européenne. Par branche. Cela aurait pu permettre d’empêcher les concurrences sauvages. Hélas, plus que jamais, aujourd’hui, on a moins le souci d’encourager le syndicalisme européen que de satisfaire aux besoins des banquiers… Le syndicalisme européen pour s’organiser et se développer a besoin de moyens matériels de base. Il faut pouvoir voyager, se loger, se restaurer, se payer des traducteurs…

Les banquiers disposent de cela, eux ! Au passage, je pensais que les lois Auroux allaient encourager la syndicalisation des salariés français. Il n’en fut rien et c’est un problème.

Vous avez souffert pendant le quinquennat Sarkozy ?

Jean Auroux. C’est peu de le dire, oui ! La droite a été assez habile pour déconstruire les choses sans avoir l’air d’y toucher – je pense en particulier à la durée du temps de travail, déstabilisée par les dispositions en faveur des heures supplémentaires –, tout en donnant des avantages aux fortunés, au patronat. Mais, vous savez, quinze ministres du Travail m’ont succédé depuis, et les lois Auroux sont toujours en vigueur. Il faut souvent relativiser… Il y a peu, un grand patron m’avouait que j’avais, certes, obligé le patronat à un certain nombre d’efforts, mais que j’avais été un vrai réformateur parce que je n’ai pas cassé la baraque économique ! Les attaques du patronat de l’époque étaient donc bien plus idéologiques que fondées. Nous avions pourtant retravaillé le tiers du Code du travail. Preuve que l’on peut faire évoluer le droit social sans nuire aux résultats économiques. Mais le patronat n’est plus le même aujourd’hui.

L’électorat travailleur n’a-t-il pas voté socialiste, en mai dernier, en espérant arrêter une machine économique qui s’emballe ?

Jean Auroux. Il faut en effet aboutir en urgence à un accord qui garantisse la sécurité de l’emploi. Mais, ce qui a fondamentalement changé, c’est que les financiers s’invitent dans la moindre réunion aujourd’hui. Ce n’était pas le cas en 1981 ! En matière économique, il ne peut y avoir une seule réponse simple et tranchée. L’économie de notre pays doit s’appuyer sur quatre piliers. D’abord, sur le service public, parce que tout ne doit pas être marchandisé, et sur des grandes entreprises publiques, qui garantissent une souveraineté nationale, notamment en matière d’énergie. Ensuite, il faut s’appuyer sur un secteur privé qui garantisse la liberté d’entreprendre dans un espace régulé. Si le Code des banques était aussi sévère que le Code de la route, nous aurions moins de victimes à déplorer ! Et enfin, il faut aujourd’hui s’appuyer sur le secteur de l’économie sociale. Je suis un fervent partisan des Scop, ces coopératives dont le principe est « un homme, une voix ». Quand j’étais maire de Roanne, sous cette forme, que j’avais connue par mon père, qui avait créé une coopérative qui mutualisait notamment le matériel agricole, j’ai développé l’aide à domicile. Nous étions passés de soixante salariés dans le domaine à cinq cents, qui rayonnaient sur cent vingt communes ! Il faut un pluralisme dans l’acte économique. Ne restons pas dans un système binaire publicprivé. Ne nous contentons pas de protester contre le système. C’est ce qui me gêne parfois dans une partie de la gauche, marxiste ou non marxiste, d’ailleurs. Oui, le libéralisme est dévastateur pour les hommes, pour les territoires et pour l’environnement. Parce qu’il se fonde sur la mise en concurrence des hommes et des territoires. Il faut s’engager dans des démarches de coopération, pour s’en démarquer. Je découvre d’ailleurs avec plaisir que les communistes commencent à s’intéresser sérieusement à l’économie sociale et solidaire, fondée, elle, sur le projet plutôt que sur le profit. Je défends les luttes revendicatives. Il est indispensable que le monde du travail se mobilise. Mais revendiquer, désolé, cela ne me suffit pas. Je suis convaincu que pour lutter contre le libéralisme, il faut se substituer à lui.

Entretien réalisé par Laurence Mauriaucourt, L’Humanité

Comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail


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