EXCLUSIF – Entretien à Cannes avec Ken Loach : « le capitalisme s’effondre »

mercredi 31 mai 2023.
 

L’insoumission.fr au festival de Cannes. « Ce serait chouette si on invitait Ken Loach à Marseille ? Chiche ! ». Tout part de cette boutade : nous avions lu un dossier consacré à Ken Loach et son œuvre dans la presse ainsi que son livre d’entretien avec Édouard Louis Dialogue sur l’Art et la Politique (lire à ce sujet l’article de l’insoumission.fr : Ken Loach et Édouard Louis, l’art pour changer le monde) et nous découvrons que Ken Loach venait à Cannes présenter son nouveau film The Old Oak, relatant l’arrivée d’une communauté syrienne dans un village socialement sinistré du Nord de l’Angleterre (sortie prévue 29 septembre au Royaume-Uni). Ni une, ni deux : nous trouvons le contact de sa société de production sur Internet, envoyons un mail en se disant « et si ? »

Eh ben… Si, c’est arrivé : début d’une correspondance chaleureuse entre Ken Loach, son assistante Emma et nous. De fil en aiguille, nous convenons d’une rencontre à Cannes et en deux heures de TER, nous voilà débarquant dans cette ratatouille Hollywoodienne éphémère aux Cendrillons de Lidl dans leur panoplies de princesses à l’heure de l’apéro, un luxe dans lequel nous, Insoumis, ne nous sentons pas à notre place, mais merci aux gaziers cannois qui ont rappelé que la lutte continue, merci à nos camarades des Groupes d’Action locaux d’offrir une piqûre de rappel.

Enfin le moment, que l’on attendait : nous rencontrons Ken Loach, accompagné de son épouse à la réception de leur hôtel, nous prenons place dans des sièges « design » mais au confort relatif, tranchant avec un décor auquel nous ne nous habituerons jamais, Ken Loach nous met à l’aise dans une simplicité cordiale et chaleureuse en nous remerciant d’être venus depuis Marseille. C’est parti. Un entretien réalisé par Sandrine Vitry et Frédéric Espi, nos deux stars, qui, bien mieux qu’un voyage en yacht sur la croisette, ont déroulé le tapis rouge à Ken Loach et lui ont ouvert les colonnes de l’insoumission.fr, un respect éternel à notre duo, l’histoire magique d’un rêve qui devient réalité. Entretien.

Notre entretien avec Ken Loach, venu à Cannes présenter son nouveau film The Old Oak

K.L (Ken Loach) : Alors, que se passe-t-il en France en ce moment, avec les manifestations ?

L.I. (Les Insoumis) : Nous sommes toujours dans la lutte. Malgré les mouvements sociaux et les manifestations, Emmanuel Macron et son gouvernement ont utilisé tous les articles de la constitution qu’ils ont pu utiliser pour passer sa réforme en force, mais nous ne nous résignons pas et continuons le mouvement de lutte, nous manifesterons le 6 juin prochain et le 8 juin, un de des groupes centristes de parlementaire à l’Assemblée Nationale présentera une proposition de loi pour abroger une partie de cette réforme ce que le gouvernement veut empêcher en utilisant l’article 40 de la constitution françaiseii, mais nous restons déterminés à gagner la bataille.

K.L : Cela serait bien, mais généralement, ils essaient toujours d’utiliser la loi quand ils la font et la contrôlent ainsi que la justice : parfois on gagne, mais même contre une victoire, ils trouveront toujours une autre loi pour te barrer la route. Vous savez, en Angleterre, nous ne réussissons jamais comme vous le faites car la justice va toujours dans leur sens.

L.I . : La démocratie en France va de plus en plus mal.

K.L. : Mais il [Emmanuel Macron] ne peut pas se représenter, c’est son deuxième mandat, il devra quitter ses fonctions à la fin.

L.I. : Il pourrait réussir à faire changer la constitution…

K.L. : Pour rester ? Comme Dieu ou comment il s’appelait, le Roi Soleil ? Louis XIV ! (rires).

L.I. : Il en serait bien capable. On tenait à vous rencontrer car votre film, The Old Oak raconte l’histoire d’une communauté de migrants syriens qui arrive dans un village d’Angleterre avec ce regard des locaux, et on y trouve un écho avec une situation actuelle dans la ville de Saint-Brévin où le maire a du démissionner et fuir car des groupes d’extrême-droite ont décidé de l’empêcher d’ouvrir un centre d’accueil pour demandeurs d’Asile, ce qui me pousse à demander si vous aussi, en Grande-Bretagne, étiez confrontés à une montée en puissance des fascismes ?

K.L. : Eh bien, c’est intéressant. En Angleterre, l’extrême droite se présente d’une manière différente. Le parti de droite, le Parti Conservateur, depuis que Margaret Thatcher a eu un politique de droite très dure, prend l’espace que les fascistes exploiteraient politiquement. L’aile droite du Parti Conservateur est anti-immigration. On y trouve des éléments racistes mais Il n’y a donc pas autant d’espace pour que le fascisme se développe en Angleterre comme il y en a en France. Quand nous votions pour le Brexit, la droite, un nouveau parti de droite, a commencé. Et c’était… C’était… Comment s’appelait-il ? Je ne m’en souviens pas, mais il était dirigé par un homme du nom de Nigel Farage. Et ce n’était pas fasciste, mais il y avait des éléments d’extrême droite. Nous n’avons donc jamais eu de mouvement fasciste fort. [Mme Loach intervient : « Ukip ».] UKIP, oui, (Le parti de l’indépendance du Royaume-Uni) a été appelé. Oui. Merci. Nous n’avons donc jamais eu de parti fasciste fort parce que l’extrême droite se rassemble autour de la section de droite du Parti conservateur. Et ils sont toujours aussi toxiques. Oui. Il y en a partout. C’est toujours toxique. Mais parce qu’ils font partie du parti de droite, le parti traditionnel de droite, ils ne sont pas considérés comme si dangereux. Et politiquement, ils le sont vraiment. Vont-ils devenir de plus en plus extrêmes ?

Je pense que le capitalisme s’effondre. Vous savez, plus la pauvreté augmente, plus l’inégalité augmente : Le service de santé s’est effondré. Absolument effondré, après avoir été une grande réussite. Le service de santé était ce dont nous étions tous fiers. Cela s’effondre maintenant. Une énorme crise du logement et une pauvreté alimentaire. Je veux dire, les banques alimentaires, la nourriture caritative a augmenté de 50 %. C’était déjà gros, augmenté de 50% l’an dernier en 12 mois, 50%. Il y a donc un sentiment de fragmentation de la société et au fur et à mesure que les gens se mettent en colère, ils se sentent trompés. Le parti de la social-démocratie, le Parti Travailliste glisse progressivement vers la droite. Je précise, il dit que nous allons continuer à privatiser les services publics, nous allons être plus durs avec les immigrés. Et il adopte un bon nombre des politiques consensuelles afin d’apaiser la presse, qui est très à droite afin qu’ils ne soient pas attaqués et qu’ils puissent ensuite être élus. Et c’est le choix entre un parti de droite et ce qu’on appelle traditionnellement un centre gauche, les sociaux-démocrates, qui vire maintenant à droite. Et puis. Alors que la société se fragmente, la droite se renforce parce que les gens ont peur et qu’ils ne voient aucun espoir. Vous me suivez ?

L.I. : Bien sûr ! (pour des Frenchies pas spécialement « fluent » on se débrouille !)


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