Visiblement, la macronie a oublié que le puissant mouvement des gilets jaunes s’est déclenché contre la hausse des taxes sur le carburant en 2018… Frappé d’amnésie, il se montre toujours incapable de réguler les prix à la pompe – et ailleurs ! Et de faire coïncider les mesures contre les « fins de mois » difficiles et la « fin du monde ». Ce double impératif est pourtant vital : nous devons tout à la fois lutter contre la vie chère, sujet de préoccupation numéro 1 des Français, et affronter le dérèglement climatique, dont l’avancée porte déjà ses catastrophes. Les annonces d’Emmanuel Macron sur la « planification écologique » et de Bruno Le Maire pour combattre l’inflation montrent que le pouvoir en place est incapable de tirer vers le haut la société pour répondre aux besoins essentiels de la population, sociaux et écologiques.
Contrairement à ce que l’on entend à longueur de journée dans les grands médias, il n’y a pourtant pas de contradiction entre les deux. Car en réalité, c’est en tirant un même fil qu’il existe une réponse globale répondant aux deux défis : partir des besoins pour gouverner. Partager les richesses permet de faire avancer la cause écologiste. Et la réponse au défi climatique est inopérante tant que nous ne mettons pas un coup de frein aux logiques capitalistes qui nous dévorent.
Dans quelques semaines, le prix de l’essence à la pompe va dépasser les 2 euros dans une majorité de stations essence. C’est d’ailleurs déjà le cas dans certaines agglomérations. Une partie de cette hausse est due à une inflation mondiale du cours du pétrole, encouragée par les pays de l’OPEP qui font le choix de réduire leur offre pour engranger davantage. Entre avril et août 2023, les principaux distributeurs ont multiplié leurs marges par 5 sur le carburant ! C’est une boucle prix-profits qui s’est mise en place durablement. Elle a pour effet de tirer les prix à la hausse, d’entretenir la logique inflationniste, pour garantir des super-profits toujours plus vertigineux à un petit nombre.
Bruno le Maire a émis une proposition absolument ridicule : autoriser la vente à perte de carburants. Cette disposition est d’ailleurs interdite en France depuis 1963 parce qu’elle favorise les plus gros acteurs du marché. Eux peuvent se permettre de perdre de l’argent dans une opération de ce type, en se rattrapant sur d’autres produits, prenant à la gorge les entreprises de taille plus modeste. Par ailleurs, l’efficacité économique de cette mesure sur une baisse globale des prix est très contestée par les économistes.
L’épilogue de cette proposition est sinistre : avant même qu’elle ne soit déposée et débattue à l’Assemblée nationale, les dirigeants des grands groupes, Total en tête, ont dit très fermement qu’ils n’appliqueraient pas cette mesure. Le sommet étant atteint par le PDG du groupe Intermarché qui a déclaré que s’il vendait à perte, il devrait « augmenter le prix des pâtes » pour compenser le manque à gagner. Face à ce camouflet, le gouvernement a encore une fois fait le dos rond. Plutôt que de s’en prendre aux profiteurs de crises, il préfère distribuer un lot de consolation : un chèque carburant pour les 50% de Français les plus modestes, d’une hauteur de 100€, soit un maximum de deux pleins par personne. Totalement ridicule et définitivement pas à la hauteur de la situation. Il s’agira donc de reverser une partie de nos impôts en chèques fléchés… pendant que les obèses du capitalisme continueront de se gaver tranquillement.
Le gouvernement avait pourtant plusieurs leviers à activer pour lutter contre cette hausse des prix. Il aurait pu prendre une mesure de blocage des prix. Un décret suffit. Il aurait pu mettre en place un mécanisme de taxes-flottantes sur le carburant. Cette mesure a déjà été expérimentée en 2000-2002, avec un effet contrasté : si elle avait contribué à stabiliser les prix du carburant, le manque à gagner pour l’État avait été évalué à plus de 2 milliards d’euros. Comment faire alors ? C’est là qu’une taxe sur les superprofitsprend tout son sens ! Une mesure simple et d’évidence vu le contexte.
Mais la macronie est complètement aveuglée par son amour de l’économie de marché. Les quotidiens économiques ont trouvé un nom à la situation inflationniste que nous connaissons : la « greed-flation » « greed » signifiant avidité en anglais. Même le plus chevronné des libéraux jugerait l’intervention de l’État comme agent de régulation nécessaire. Mais pas les macronistes, qui sont pieds et poings liés par leurs liens avec le monde de la finance et les grandes multinationales. Le gouvernement préfère continuer à appauvrir l’État, et donc la population, en dilapidant son budget dans des petits chèques conjoncturels, ou à une échelle bien plus large en abreuvant les entreprises du Cac 40 d’aides publiques. Les macronistes persistent à chercher de l’argent là où il n’y en a pas, à redistribuer nos impôts à ceux qui ont le plus.
Le macronisme ressuscite la figure des « barons voleurs », ces industriels étasuniens sans scrupules du XIXème siècle qui ont bâti leur fortune en s’accaparant de larges parts de marché public, exploitaient à 200% les ouvriers et s’entendaient entre eux pour maintenir les prix à un niveau extrêmement élevé, le tout avec l’aide d’un État organisant sa propre incapacité à agir.
Ce sont aujourd’hui les PDG de Total, présidents du groupe Carrefour ou Leclerc qui agissent de la sorte en persistant à maintenir les prix des produits de nécessité à un niveau bien trop haut pour notre niveau de vie. Ce sont les mêmes qui ont recours à ce qu’on appelle la « shrinkflation », c’est-à-dire l’augmentation des prix de biens alimentaires alors qu’ils en réduisent en même temps la quantité. Ces pratiques malhonnêtes devraient être combattues avec force.
C’est à ce modèle économique qui asphyxie l’ensemble de notre société que nous nous opposons au quotidien. Bloquer les prix des produits de première nécessité, développer des services publics, gouverner à partir des besoins de la population, voilà les solutions que nous comptons mettre en œuvre. Nous avons pour nous la mémoire des « barons voleurs » empêchés quand le pouvoir politique s’est ressaisi. C’est donc possible, là réside l’espoir.
« En même temps » que le gouvernement laisse les Français contraints de prendre leur voiture se faire rackettés par le jeu des multinationales, Emmanuel Macron vante « l’écologie à la française » et la bagnole à coup de « moi, je l’adore ». Ce lundi 24 septembre pour son intervention télévisée, Emmanuel Macron était attendu sur la planification d’une action publique conséquente dans un monde qui est en train de franchir la 6ème limite planétaire sur les neufs existantes[1]. C’est tout l’inverse qu’il a fait, et le passage de « Conseil de planification écologique » à « Conseil présidentiel de l’écologie » dit tout de cette capitulation politique. Ce n’est pas seulement la planification qui est promue dans les termes et jetée par-dessus bord dans les faits. C’est aussi toute la concertation nécessaire : l’écologie devient un objet verrouillé dans le périmètre sacré du président.
Les mots du Président annoncent le retour au productivisme et au consumérisme comme logiciels structurant l’économie de notre pays. Par son discours valorisant la voiture, Emmanuel Macron, en éternel « flambant vieux » pour reprendre la formule de la chanteuse Zazie, ne sait que dépoussiérer de vieilles politiques et leur donner une apparente modernité. Macron, c’est Giscard sorti du formol.
En faisant le choix de l’appauvrissement généralisé, le Président choisit aussi d’appauvrir les imaginaires et d’hypothéquer notre avenir à tous. Le « tout-voiture », c’est ce qui a plongé notre pays dans la dépendance sans fin à l’automobile, provoqué l’éloignement des services publics et la disparition des petits commerces, pris à la gorge les Français avec les hausses des prix des carburants, tué en polluant toujours plus, et d’abord dans les quartiers populaires.
Cette fois, Macron nous promet de l’électrique avec la production d’1 million de voitures électriques d’ici à 2027 et l’accompagnement vers l’hybride et l’électrique. Comprenez : on va produire, produire, et produire encore. Et tant pis si cela suppose l’extraction dans des écosystèmes déjà fragiles de toujours plus de métaux rares, de cuivre, de lithium… pour nourrir une industrie extrêmement demandeuse. Il y a quatre fois plus de cuivre dans une voiture électrique que dans une voiture à essence. Tant pis aussi si la production d’un véhicule électrique émet deux fois plus de gaz à effet de serre que celle d’une voiture thermique.
L’écologie « à la française » de Macron n’est pas « punitive » : elle condamne. Elle condamne les Français à la dépendance à un mode de déplacement de plus en plus onéreux, dangereux, polluant, chronophage. Car le Président promet 700 millions d’euros pour bâtir 13 RER métropolitains quand le seul RER de Bordeaux demanderait… près d’1 milliard d’euros ! Tout le reste est à l’avenant : de l’annonce de la sortie du charbon en 2027 alors qu’elle était annoncée pour 2022 jusqu’à celle d’une réduction de 30% de la dépendance de notre agriculture au glyphosate d’ici 2027, alors que son interdiction était promise pour 2020.
La politique, c’est faire des choix. Emmanuel Macron fait celui de l’enfermement dans un modèle qui détruit. Notre monde pénètre pourtant dans un territoire inconnu, avec des périls et des phénomènes jamais expérimentés par les générations qui nous ont précédées. La politique du Président ressemble à son économie : elle se fossilise.
Dernier exemple en date : le gouvernement s’apprête à démanteler l’activité de Fret SNCF pour laisser davantage de place au privé et à la concurrence. C’est un non-sens terrible, social et écologique : un train de 35 wagons, c’est l’équivalent de 55 camions de 32 tonnes en moins sur les routes. Face à la politique du pire, nous devons tenir bon et rappeler, comme le fait le dernier rapport du GIEC, que les enjeux sociaux et écologiques sont interdépendants. Et inséparables.
Clémentine Autain
Date | Nom | Message |