Trotskisme : de Lambert à Mélenchon, par Laurent Mauduit

lundi 15 janvier 2024.
 

Avec Denis Sieffert, je publie un livre qui retrace l’histoire de l’OCI, la branche la plus secrète du trotskisme français, mais aussi la plus influente. Cette plongée dans le passé permet de comprendre certaines des origines de la crise actuelle de la gauche et notamment de la France Insoumise, dirigée par l’ex-lambertiste Jean-Luc Mélenchon.

Avec mon confrère Denis Sieffert, qui a longtemps été le directeur de Politis, et qui en est toujours l’éditorialiste, j’ai écrit un essai Trotskisme, Histoires secrètes – De Lambert à Mélenchon aux Éditions Les petits matins, qui paraît ce jeudi 4 janvier en librairie. En voici une rapide présentation écrite par nous deux.

L’histoire que nous nous appliquons à raconter est celle de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), la branche la plus secrète du trotskisme français. Une histoire en partie de l’intérieur, puisque dans notre jeunesse, du début des années 1970 jusque dans les années 1980, Denis comme moi-même avons été « lambertistes » - du nom du leader de l’organisation, Pierre Boussel, dit Lambert (1920-2008).

Si nous nous sommes livrés à cet exercice, c’est pour deux raisons principales. D’abord, si la Ligue communiste, dont le NPA est l’héritier, a été l’objet de nombreuses études ou essais, il n’en a pas été de même de l’OCI, mis à part deux essais, dont celui de l’historien Benjamin Stora (ex-OCI comme nous), et de quelques études, dont celles, très documentées, de l’historien (ex-OCI) Vincent Présumey.

Or, le paradoxe, c’est que l’OCI, moins connue que sa rivale en trotskisme, et beaucoup plus secrète, a eu une influence beaucoup plus considérable sur la vie publique, même si cela a souvent été de manière occulte. Pour en prendre la mesure, il suffit de citer les personnalités qui a visage découvert ou à visage caché, en ont été membres, de Lionel Jospin à Jean-Christophe Cambadélis en passant par Jean-Luc Mélenchon. Mais la liste des « sous-marins » que l’OCI a placés dans le passé au sein de nombreuses organisations politiques ou syndicales est beaucoup plus fournie qu’on le croit, puisqu’il faut encore y ajouter quatre secrétaires généraux de la CGT-FO, dont Jean-Claude Mailly ou Marc Blondel. Et puis une ribambelle d’autres figures de la vie publique, dont un grand-maître du Grand Orient de France.

Cette histoire méconnue, il nous a semblé utile de l’écrire, en puisant dans nos souvenirs, et puis en conduisant une enquête rétrospective, en faisant appel à de nombreux témoignages.

Nous avons donc cherché à reconstituer les pages glorieuses de cette histoire ancienne – tout particulièrement le combat pour la libération des emprisonnés politiques dans les prisons ou les hôpitaux psychiatriques spéciaux dans l’ex-empire soviétique, combat dont l’un des moments très forts a été la libération du mathématicien Léonid Pliouchtch. Et nous nous sommes appliqués aussi à retracer les pages sombres – malheureusement beaucoup plus nombreuses : les purges innombrables, l’absence de démocratie, etc.

Mais la raison principale pour laquelle nous avons tenu à écrire ce livre plus de 40 ans après avoir quitté l’OCI – ce qui donnera à nos lecteurs la garantie d’une certaine distance avec notre sujet !-, c’est que nous avons eu la conviction qu’en fouillant ce passé lointain, on pouvait découvrir certaines des causes de la crise actuelle que traverse la gauche – aussi bien le Parti socialiste que La France Insoumise. En quelque sorte, l’envie d’écrire ce livre est née de la conviction tardive que cette histoire concerne bien plus que nous et notre génération : elle pèse encore sur la gauche d’aujourd’hui. Dit autrement, il y a un legs du lambertisme, qu’il est utile d’identifier.

Le premier des héritiers de cette histoire sombre du lambertisme, c’est Jean-Christophe Cambadélis. L’héritier en combines et manœuvres en tous genres, si l’on peut dire. Nous nous avons donc reconstitué l’aventure sulfureuse du clan rassemblé autour de lui, de la prise d’assaut de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), jusqu’à la prise de contrôle, longtemps plus tard, de la direction du PS. Une équipée parsemée de multiples condamnations, qui éclaire l’une des raisons, parmi d’autres, du déclin historique du PS. Qui aurait pu penser que le parti de Jaurès et de Blum tombe entre de telles mains ? Il fallait assurément que le PS soit au plus mal – et nous en détaillons certaines des raisons.

Mais l’héritier qui retient aujourd’hui le plus l’attention, c’est évidemment Jean-Luc Mélenchon. Car s’il y a une personne qui a préempté le legs du lambertisme, c’est lui, même s’il n’est resté à l’OCI que quelques années. C’est bien lui, car il reproduit culturellement les traits les plus caractéristiques de ce courant du trotskisme français : un rapport problématique avec la démocratie, une conception autoritaire et verticale du pouvoir, une hostilité envers les médias, un imaginaire géopolitique de guerre froide, un faible pour les hommes forts… Autant de traits qui viennent de loin : on ne peut s’empêcher d’y voir la trace de ce que le même Jean-Luc Mélenchon a appris dans sa jeunesse à l’OCI.

Ce legs lambertiste que Mélenchon a préempté, nous avons donc cherché à le documenter le plus méticuleusement possible. Mais aussi le plus honnêtement possible, sans méconnaître les autres facettes de la figure de proue de LFI. Car le Mélenchon de la lutte sociale est souvent convaincant ; mais l’ennemi de la démocratie ne se fait jamais oublier. Le pouvoir, oui, mais pour en faire quoi ? Il n’y a pas de Sixième République sans démocratie. Cette démocratie, qui est le vrai sujet de ce livre, se doit d’abord d’être une philosophie, personnelle qui ne peut pas être intermittente. Il n’y a pas de combats qui justifient qu’on l’abandonne.

Dans la tourmente qui ébranle LFI, et par ricochet la Nupes, c’est cette conviction, heureusement, qui se manifeste de plus en plus nettement dans les différentes composantes de la gauche et au sein même des Insoumis et qui, tôt ou tard, ouvrira la voie à une époque nouvelle, celle de la refondation. Celle aussi de l’après-Mélenchon.

Si nous avons écrit ce livre, c’est en résumé avec cette ambition principale : inviter au débat, dans la perspective de cette indispensable refondation démocratique de la gauche.

Laurent Mauduit et Denis Sieffert


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