29 mai : vraies et fausses questions d’un anniversaire ( Pour la République Sociale)

jeudi 1er juin 2006.
 

On dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs. En l’espèce, celle du 29 mai le serait plutôt par les vaincus. Le principe de responsabilité politique ne s’applique pas aux salles de rédaction qui, après avoir fait ardemment campagne pour le « oui », fournissent les principaux officiants de cet anniversaire. Il ne s’applique d’ailleurs nulle part, pas plus à la tête de l’Etat que dans les directions des partis qui ont fait le choix du « oui ». Du coup, le sentiment que véhiculent ces « élites » autoproclamées, désavouées mais inamovibles, d’avoir toujours raison contre le peuple dégouline en cascade à tous les niveaux de la superstructure. On ne s’étonnera pas dès lors que s’échappe ici et là un parfum tenace de revanche.

Les fantasmes expiatoires des partisans du « oui maintenu » comme le panurgisme médiatico-politique exigent que chacun glose en ce 29 mai 2006 sur l’absence de plan B après le rejet du projet de Constitution et la paralysie censée en découler. Ce procès adressé au camp du « non » est injuste, puisque la référence au plan B est due au luxembourgeois pro-Constitution Juncker. Mais il est éclairant. Car bien des désaccords du débat référendaire y sont concentrés.

D’abord, poser la question comme cela, c’est réécrire l’objet du vote du 29 mai. Celui-ci portait sur un texte précis. Il était demandé au peuple français d’y souscrire solennellement. Un référendum constitutionnel n’est pas une course hippique : il ne s’agit pas de confronter des pronostics mais de donner son consentement à un projet donné. C’est d’ailleurs texte à la main que le « non » a fait campagne. On se souvient qu’au même moment, Giscard invitait les Français à ne pas trop le lire. Ils ne l’ont pas suivi et ont voté « non ». Or du texte, il n’est plus question aujourd’hui. Ce serait pourtant un exercice impitoyable. On pourrait par exemple faire la liste de tout ce que le projet de Constitution interdisait... et qui va se retrouver mesure après mesure dans le projet socialiste !

Ce procès récurrent montre ensuite à quel point a été intégrée l’irresponsabilité caractéristique de la construction européenne. Aucun partisan du « non » de gauche n’est au pouvoir en Europe, ni dans un gouvernement ni dans la Commission. Ce n’est donc pas aux partisans du « non » que l’on peut reprocher de ne pas trouver d’issue à la crise, mais à ceux qui sont en responsabilité, qui ont adopté le projet initial et qui ont posé la question au peuple français. De cela, il n’est rien dit non plus. Que pensent nos commentateurs oui-ouistes de la volonté affichée par plusieurs gouvernements, comme celui de l’Allemagne, de faire repasser le texte au lendemain de la présidentielle française ? Serait-ce une bonne solution pour la construction européenne que de piétiner ainsi la volonté populaire dans l’un des principaux pays de l’Union, ce « volcan de l’Europe » comme l’appellent nos amis italiens, propice à tous les éclats mais aussi à tous les débordements ? Et que dire de l’attitude de Chirac qui a refusé de retirer la signature de la France ? Même la liste de ses avanies, qu’il est désormais convenu, vu l’état piteux de l’intéressé, d’étaler largement, selon l’adage qui veut que la hyène suive la charogne, mentionne tout au plus le fait qu’il ait commis l’erreur de convoquer un référendum que du reste tout le monde avait réclamé. Mais jamais qu’il n’en ait pas tenu compte.

Enfin, cette insistance morbide de nos « élites » sur la paralysie européenne n’est pas sans évoquer ces atmosphères de fin de règne où des dirigeants nostalgiques de leur puissance passée scient le peu de branche sur laquelle ils sont assis. Un grand révolutionnaire russe définissait la crise d’une formule : c’est quand « en bas on ne veut plus, en haut on ne peut plus ». Est-ce vraiment dans l’intérêt du « haut » d’afficher avec ostentation son impuissance ?

En réalité, le « non » français n’a été qu’une étape dans l’approfondissement de l’état d’urgence politique en Europe. La crise lui préexistait. Le décalage entre gouvernements et peuples avait éclaté lors de la guerre en Irak ou des élections européennes. La crise de l’élargissement était déjà ouverte. Le désaccord entre des pays entrants convaincus de trouver leur salut dans le dumping social et fiscal et les pays fondateurs était programmé. La crise budgétaire était sur les rails, avec la revendication des principaux contributeurs de l’Union de limiter son budget à 1% du PIB. Ces contradictions se retrouvaient dans le projet de Constitution lui-même : encadrement de la défense européenne dans un cadre « compatible avec l’OTAN », interdiction de l’harmonisation sociale et fiscale, limitation du budget de l’Union... Son adoption n’aurait donc pas réglé la crise, mais figé dans le marbre les causes mêmes qui l’alimentent.

La vraie question n’est donc pas celle-là. Un an après, il ne peut être question de rejouer le 29 mai à l’identique. Le désaccord n’est plus entre ceux qui ont voté « oui » et ceux qui ont voté « non ». A gauche, il oppose deux attitudes. Il y a ceux qui pensent qu’il faut au plus vite refermer la parenthèse pour que la France « retrouve sa place » dans le courant dominant de la construction européenne. Il y a ceux qui veulent partir du « non » de la France pour remettre à plat les fondements de la construction européenne. Pour les uns, le « non » est une difficulté à dépasser. Pour les autres, c’est un point d’appui. C’est la vraie question de cet anniversaire car c’est elle qui engage l’avenir.

Auteur : François Delapierre


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