Lettre ouverte aux membres du Front populaire démocratique pour la libération de la Palestine

mercredi 5 juin 2024.
 

Le texte de la lettre ouverte a été publié en hébreu et en arabe dans le numéro 72 de Matzpen, décembre 1974. Il a été republié dans la brochure Matzpen en arabe « De notre lutte contre le sionisme et pour le socialisme », mars 1978, avec la préface suivante :

Introduction

Le 22 mars 1968, l’Organisation socialiste en Israël a affirmé dans une déclaration que « c’est à la fois le droit et le devoir de tout peuple conquis et soumis de résister et de lutter pour sa liberté. Les moyens et les méthodes nécessaires et appropriés à cette lutte doivent être déterminés par le peuple lui-même et il serait hypocrite que des étrangers – surtout s’ils appartiennent à la nation oppressive – lui fassent la leçon en lui disant : « Ainsi feras-tu et ainsi ne feras-tu pas ».

C’était et cela reste notre position, mais notre organisation, qui comprend des Juifs et des Arabes, des membres du peuple oppresseur et du peuple opprimé, ne peut pas se considérer comme étrangère à la lutte des socialistes palestiniens qui rêvent de libération nationale et sociale.

Nous pensons qu’il est possible de déterminer les objectifs d’une lutte en fonction des voies, des méthodes et des moyens utilisés pour les atteindre et, à cet égard, nous sommes en désaccord avec ceux qui, au sein du mouvement de libération palestinien, prétendent défendre la coexistence des Arabes et des Juifs, mais utilisent des voies, des moyens et des méthodes qui ne les rapprochent pas, ni ne nous rapprochent, de cet objectif.

C’est dans ce contexte que nous avons écrit la lettre ouverte suivante aux membres du Front démocratique populaire pour la libération de la Palestine. Ce n’était pas la première fois que nous écrivions au Front démocratique populaire. En 1969-1970, notre organisation a participé à un dialogue écrit ouvert avec le Front. Le dialogue entre nous a été publié dans son intégralité à l’époque dans les pages du Matzpen. Après le Septembre noir de 1970, la communication a été coupée et le dialogue a cessé en raison des changements dans la situation du Front démocratique populaire et dans ses positions.

Au milieu de l’année 1974, Naif Hawatmeh, le leader du Front, a adressé un appel aux gauchistes israéliens, par l’intermédiaire d’un journaliste américain, les invitant à entamer un dialogue entre les deux parties. Cet appel a été publié à l’époque dans le journal israélien Yediot Aharonot. Peu après, l’opération Ma’alot a été menée.

Trois combattants du Front démocratique populaire ayant franchi la frontière libanaise ont pris d’assaut un appartement dans la ville israélienne de Ma’alot et ont abattu des membres de la famille qui y vivait. Ils ont ensuite pris en otage des dizaines d’adolescents israéliens, garçons et filles, dans une école locale. Les combattants du Front ont exigé la libération d’un certain nombre de prisonniers politiques détenus dans les prisons israéliennes en échange de la libération des otages. Le gouvernement israélien a décidé de « ne pas répondre à leurs demandes » et l’armée israélienne a pris d’assaut le bâtiment scolaire. De nombreux otages ont été tués ou blessés au cours de l’opération. (Les trois Palestiniens ont également été tués.)

Lettre ouverte du Matzpen aux membres du Front populaire démocratique pour la libération de la Palestine :

Nous considérons qu’il est de notre devoir politique de nous adresser à vous publiquement et de dire ce que nous pensons de l’opération de vos hommes à Ma’alot ; une opération qui, plus que toute autre en Israël, dans les territoires occupés et dans le monde, a suscité de nombreux commentaires politiques, tant en ce qui concerne son caractère que ses auteurs.

Pourquoi ?

Parce que depuis environ cinq ans, depuis la scission du Front populaire de libération de la Palestine, votre organisation est considérée par beaucoup comme le foyer de gauche du mouvement palestinien, comme le pôle où se concentrent les forces révolutionnaires des organisations de résistance.

C’est pourquoi votre opération a suscité de si vives réactions en Israël, tant parmi les différents courants du camp sioniste que parmi les organisations révolutionnaires et l’opinion publique de gauche. Ce n’est pas un hasard si Golda Meir, chef du gouvernement qui, pendant des années, a exproprié, opprimé et massacré les Palestiniens, a réagi au-delà de ses habitudes et ne s’est pas contentée de ses épithètes habituelles, « assassins », etc., mais a ajouté : « C’est le même Hawatmeh qui essaie de nous attirer vers une cohabitation entre Juifs et Arabes ». Elle l’a fait, à notre avis, par crainte, bien que cachée, que les forces révolutionnaires palestiniennes possèdent une arme très dangereuse pour le sionisme : l’alternative internationaliste que les révolutionnaires palestiniens peuvent présenter aux masses juives israéliennes ; c’est le programme socialiste révolutionnaire qui peut rallier les masses des deux peuples : Arabes palestiniens et Juifs israéliens.

Le premier ministre israélien a tenu ces propos quelques heures seulement après le carnage de Ma’alot, lors d’une émission télévisée destinée à un large public. Son visage était sévère, comme si ce carnage avait été décrété par une force majeure inexorable, comme si elle n’avait rien à voir avec cet événement, comme si elle ne faisait pas partie de ceux qui ont condamné à mort les dizaines de victimes de Ma’alot. Mais sous son masque, il y avait la satisfaction que les événements de ce jour renforcent sa thèse fondamentale : « Tous les Arabes sont les mêmes… ils veulent tous nous exterminer… » etc. etc.

Nous devons être francs : votre opération à Ma’alot a intensifié et approfondi l’inimitié entre les masses des deux peuples et – comme nous le savons bien par notre expérience quotidienne – a servi le sionisme. L’opération à Ma’alot a suscité une forte opposition et des critiques acerbes non seulement de la part de membres de notre organisation, mais aussi de membres d’autres organisations révolutionnaires. Nous pouvons également attester que votre opération a porté un coup sévère à de nombreux membres du camp sioniste de gauche, des membres sincères de la base. Les événements récents – la guerre d’octobre et le choc qui l’a suivie – les avaient conduits à une meilleure compréhension et à une plus grande volonté de chercher des alliés parmi le peuple arabe palestinien. Ils étaient prêts à prêter l’oreille à différentes voix dans le monde arabe en général et au sein du peuple arabe palestinien en particulier, et certains d’entre eux avaient évolué vers des positions révolutionnaires tout en étant prêts à abandonner les positions sionistes. Votre existence a joué un rôle dans cette évolution. C’est pourquoi le fait de savoir que votre organisation est responsable de l’opération de Ma’alot a été pour eux une gifle retentissante.

Mais ce n’est pas tout.

L’histoire de notre époque regorge d’exemples d’éruptions spontanées de masses opprimées, se soulevant et tuant leurs oppresseurs. L’opération de Ma’alot n’est pas de ce type. Elle n’était pas spontanée. Elle était planifiée et calculée. C’est pourquoi nous ne pouvons pas dire, comme beaucoup le font souvent, que telle est la logique de la lutte et qu’il ne faut pas y mêler les émotions humaines. Dans votre opération Ma’alot, vous avez ignoré les principes moraux élémentaires. Cette méconnaissance ne peut se cacher derrière l’affirmation – certes courante – qu’il s’agit de principes bourgeois. Nous ne pouvons pas accepter cette affirmation, car les normes qui s’appliquent à une explosion spontanée d’une masse opprimée, ou à des combattants de la libération nationaliste, ne sont pas appropriées aux combattants qui portent des armes au nom de la révolution socialiste.

Voici ce que vous avez dit dans votre déclaration à l’ambassadeur de France (Ha’olam Haze numéro 1917) : « Nous ne sommes pas des tueurs. Nous sommes des soldats d’un mouvement de libération… Nous croyons au marxisme-léninisme et au droit à l’autodétermination des peuples dans leur pays, et c’est pour cela que nous nous battons… »

Vous devez résoudre cette contradiction, devant les masses palestiniennes et les masses israéliennes.

L’opération de Ma’alot a un autre aspect. Les habitants de cette ville sont pour la plupart des travailleurs pauvres, parmi les plus exploités et les plus opprimés de la société israélienne, chair à canon de la politique israélienne, ils n’en sont pas responsables et n’en bénéficient pas. Pour les habitants de Ma’alot, votre opération implique que le sionisme est leur dernier refuge. Si le mouvement palestinien ne leur offre pas une alternative de vie sans sionisme, ils préféreront toujours le sionisme malgré tous ses dangers et malgré le prix élevé à payer pour lui. Ils préféreront l’« unité nationale » interclassiste avec leurs exploiteurs nationaux s’ils n’ont pas la possibilité de mener une lutte commune et de vivre ensemble entre Juifs et Arabes.

Dans votre opération Ma’alot, vous avez trahi la tâche que vous avez entreprise : développer une telle alternative et la présenter aux masses en Israël. L’interview de Naif Hawatmeh, publiée dans Yedioth Ahronoth, et l’opération de Ma’alot se contredisent clairement. Et comme on le sait, lorsqu’il y a contradiction entre la parole et l’acte, le second annule la première. Nous notons cela avec regret, indépendamment des désaccords entre nous et la personne interrogée, qui sont apparus avant l’opération de Ma’alot mais qu’il n’est pas nécessaire de détailler ici.

Nous savons que, tout naturellement, l’opération de Ma’alot n’est pas passée comme ça, sans que personne ne la conteste au sein de la gauche révolutionnaire palestinienne. C’est pourquoi nous rendons publics certains de nos sentiments, afin d’encourager et de contribuer à promouvoir un débat entre tous les révolutionnaires de notre région, un débat qui, selon nous, doit transcender cette question spécifique et englober toutes les questions théoriques, politiques, stratégiques et tactiques auxquelles sont confrontées les forces révolutionnaires du monde arabe et d’Israël.

Nous sommes bien sûr conscients des nombreux arguments qui nous seront opposés, tels que l’état actuel du mouvement palestinien, dans le contexte des « accords » actuellement élaborés par les grandes puissances et les gouvernements de la région ; et le fait que le camp révolutionnaire en Israël est petit et faible, incapable d’encourager le développement et l’avancée des forces révolutionnaires internationalistes dans le monde arabe.

Nous n’avons pas abordé ces questions ici ; nous les traitons dans un autre document, qui sera également publié dans notre journal Matzpen. Les présentes lignes ont été écrites dans un seul but : clarifier publiquement et sans équivoque notre opinion selon laquelle l’opération Ma’alot nuit à la lutte révolutionnaire et transforme toute bonne terre en un désert desséché, où les épines du nationalisme abondent et les fleurs du socialisme se fanent.

L’Organisation socialiste israélienne (Matzpen)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message