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Dans notre série d’articles sur la domination idéologique et le contrôle des processus mentaux à distance pour se représenter le monde, nous abordons ici la question de la normalisation.
Le concept de normalisation ou d’hyper-normalisation dans le cadre du contrôle des esprits désigne des processus par lesquels certaines idées, comportements ou croyances sont rendus normatifs au sein d’une société, souvent par des moyens subtils ou insidieux. Ces processus cherchent à réduire la diversité des opinions et des pratiques en imposant une vision standardisée de ce qui est considéré comme acceptable ou "normal".
La normalisation correspond à l’idée que les individus sont poussés, par des pressions sociales, culturelles ou politiques, à se conformer à des normes définies par un groupe dominant ou des institutions. Ce processus est souvent associé à :
La création de règles ou de conventions implicites ou explicites.
L’imposition de sanctions sociales ou institutionnelles pour ceux qui s’écartent des normes.
La légitimation de ces normes par des discours médiatiques, scientifiques ou politiques.
: Michel Foucault
Foucault, dans des œuvres comme Surveiller et punir ou L’Histoire de la sexualité, explore la normalisation comme un outil de pouvoir. Il décrit comment les institutions modernes (écoles, prisons, hôpitaux) façonnent les comportements par des mécanismes de discipline et de régulation. La normalisation est ici liée à l’idée de biopouvoir, où les corps et les esprits sont gouvernés par des normes "scientifiques" ou "rationnelles".
Le terme "hyper-normalisation" a été popularisé par le documentaire de Adam Curtis (HyperNormalisation, 2016). Il décrit un état où des systèmes politiques et culturels deviennent si artificiels et absurdes qu’ils ne correspondent plus à la réalité vécue par les individus, mais où tout le monde prétend collectivement que ces systèmes fonctionnent.
Ce concept suggère une situation où :
La complexité et l’incertitude du monde sont masquées par des récits simplifiés. Les systèmes en place créent une fausse normalité, acceptée par la majorité, car les alternatives semblent impossibles ou inconcevables. L’hyper-normalisation peut s’appuyer sur des moyens de contrôle des esprits tels que la saturation médiatique ou la manipulation des perceptions. Origines conceptuelles :
Bien que Curtis ait popularisé le terme, le concept est inspiré des travaux sur le système soviétique de l’anthropologue Alexei Yurchak (Everything Was Forever, Until It Was No More, 2005). Yurchak montre comment, dans les dernières années de l’Union soviétique, les gens savaient que les idéologies officielles ne reflétaient pas la réalité, mais continuaient à s’y conformer faute d’alternative.
On peut indiquer par ailleurs des auteurs que j’ai mentionnés dans mon précédent article : De la réalité factuelle à la construction et la perception d’un réel fictif. https://www.gauchemip.org/spip.php?...
Herbert Marcuse (L’Homme unidimensionnel, 1964) : Il critique la société industrielle avancée pour sa capacité à absorber et à neutraliser les oppositions, créant un conformisme de masse.
Noam Chomsky : Dans ses analyses des médias (Manufacturing Consent), il démontre comment les discours médiatiques façonnent les perceptions collectives de ce qui est "normal". Guy Debord (La société du spectacle, 1967) : Il met en lumière le rôle des images et des narrations dans le contrôle des perceptions et des désirs.
Jean Baudrillard (Simulacres et simulation, 1981) : Baudrillard explore comment les simulacres remplacent la réalité, créant une hyper-réalité acceptée comme "normale". En somme, la normalisation et l’hyper-normalisation illustrent des processus où la conformité, souvent imposée ou acceptée inconsciemment, devient un outil puissant de contrôle des esprits. Ces concepts sont au cœur des réflexions critiques sur le pouvoir, les médias et la culture.
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Après ces considérations théoriques, qu’en est-il de la situation actuelle ? Pour qu’un système de domination économique et idéologique se maintienne au pouvoir d’une manière relativement stable, il faut que les dominants et les dominés partagent en commun le même système de représentation du monde, pour une grande part. Par exemple les bienfaits de la croissance économique, les valeurs de la république, un état de droit certes imparfait mais que les uns et les autres font des efforts pour le respecter. Or ces 20 dernières années et notamment depuis le règne de Macron, ce système de représentation sociale commun à voler en éclats annonçant ainsi un chaos politique. En cette période, trois grands groupes politiques se retrouvant dans la population électorale mais en concurrence trois systèmes de représentation : une représentation réaliste de la réalité avec ses imperfections, ses souffrances sociales résultant des politiques néolibérales et se tournant vers l’avenir en proposant un projet de société, encore en gestation, de nature démocratique et écho socialiste : c’est, grosso modo, celui de la gauche radicale. Le second groupe politique libéral ou néolibéral développe un système de représentation non pas de la réalité mais d’une réalité fictive d’une société qui marche plutôt bien qui découle de la croyance à l’utopie néolibérale du tout marché . Et ce par de la modernité en promouvant des valeurs sociétales progressistes et l’usage des hautes technologies. Le troisième groupe a une perception relativement réaliste, moins idéalisé que le second mais partage avec celui-ci l’idée que sur le fond, le monde n’a pas besoin d’être transformé sur le plan économique. Il construit une réalité fictive s’appuyant sur des valeurs morales et politiques traditionnelles et conservatrices et pour certains monarchiste.
Dans ce contexte, la normalisation à l’initiative du second groupe, au service de la classe dominante, consiste à faire partager par le plus grand nombre sa représentation fictive du monde par une utilisation intensive des médias dominants. Cela se manifeste notamment par une quasi absence de débat d’idées contradictoires et par une stigmatisation de toutes les idées ne se fondant pas dans cette représentation fictive de la réalité.
La représentation du second groupe étend en très grand décalage avec la réalité sociale, on peut alors parler d’hyper normalisation des esprits. Sur le plan de la politique extérieure, cette hyper normalisation se traduit par un alignement total sur la politique nord américaine dans sa composante la plus néo conservatrice. Le narratif construit par le soft Power nord américain est de nature quasi Orwell iellienne par exemple, dans le conflit Rousso – – ukrainien ou otanien, il faut tout inverser pour retrouver une représentation réaliste du conflit depuis 2014. Il faut avoir recours à des sites alternatifs Internet de qualité non alignée sur l’OTAN pour échapper à cette hyper normalisation de haute intensité sur le plan géopolitique.
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Le film documentaire d’Adam Curtis sur l’hyper normalisation est visible sur Internet en langue anglaise : https://www.youtube.com/watch?v=Gr7...
Il existe d’autres adresses Internet pour accéder à ce documentaire : la version en français oral ne semble pas exister. **
Annexe
j’ai découvert la notion d’hyper normalisation grâce a une interview de Slobodan Despot, fondateur du site et journal numérique « L’anti presse » (Suisse). sur le site « Juste milieu » en se référant notamment aux documentaires d’Adam Curtis. Il traite de cette question dans l’interview en relation avec le totalitarisme idéologique des médias actuels. https://www.youtube.com/watch?v=m3J...
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Hervé Debonrivage
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