« Mayotte debout », le plan qui risque de faire pschitt

jeudi 9 janvier 2025.
 

Lors de son déplacement à Mayotte lundi, François Bayrou a annoncé une longue liste de mesures pour répondre à l’urgence après le passage du cyclone Chido. Cet inventaire à la Prévert laisse dubitatifs nombre de responsables politiques et syndicaux, qui se méfient des effets d’annonce.

Pas de grand discours ni de belles phrases. C’est une simple liste, presque un inventaire à la Prévert, que François Bayrou a dressé lundi en fin de journée devant les élu·es de Mayotte. Une sobriété probablement calculée, alors que la colère est grande sur l’île, seize jours après le passage dévastateur du cyclone Chido, et que la défaillance de l’État est pointée du doigt.

Dans l’hémicycle du conseil départemental, le premier ministre, qui s’était auparavant rendu à l’usine de dessalement de Petite-Terre, puis dans un collège de Mamoudzou, à l’hôpital de campagne et enfin dans les locaux du rectorat – mais qui n’est allé ni au-delà du chef-lieu ni dans un bidonville sinistré –, a égrené plusieurs dizaines de dispositions censées répondre tout à la fois à l’urgence de la situation et à des problématiques plus profondes.

Baptisé « Mayotte debout », ce plan, a-t-il précisé, a « une seule ligne directrice » : « Des décisions concrètes et précises, des engagements concrets et précis. » Mais certains y voient surtout des promesses de Gascon.

Au chapitre des urgences, François Bayrou a promis le rétablissement de l’électricité « dans chaque foyer d’ici fin janvier ». Pour ce faire, Électricité de Mayotte (EDM) recevra un renfort de 200 agents. En attendant, 200 groupes électrogènes seront envoyés sur l’île. Pour l’heure, selon la préfecture, un client d’EDM sur deux a de l’électricité (mais ce chiffre n’inclut pas les milliers de foyers qui n’étaient pas branchés sur le réseau avant le cyclone).

Autre urgence : l’eau, qui ne coule que par intermittence dans les robinets, et qui, selon plusieurs sources sanitaires, serait impropre à la consommation. Avec l’appui de l’armée, le volume de production d’eau potable d’avant Chido (soit 38 000 mètres cubes par jour) sera atteint « avant le 6 janvier », a annoncé le premier ministre. Et d’ici au 30 juin, il sera porté à 40 000 m³. Ce sera toujours insuffisant, puisque l’île a besoin de 46 000 m³ par jour, et que sa consommation quotidienne augmente de 3 000 m³ chaque année.

François Bayrou a également annoncé la construction d’une deuxième usine de dessalement et l’accélération de la création d’une troisième retenue collinaire – deux projets de longue date –, mais il n’a donné aucun échéancier ni aucun montant.

La rentrée scolaire à partir du 13 janvier, une annonce jugée irréaliste

Le premier ministre a en outre promis le rétablissement du réseau téléphonique (déploiement dans l’urgence de 200 satellites Starlink, le fournisseur d’accès à Internet de SpaceX, et de la 5G sur tout le territoire d’ici à la fin juin 2025), dont sont encore privés de nombreux villages, la mise hors d’eau des maisons et des bâtiments publics (livraison de 140 tonnes de bâches et financement par des prêts garantis par l’État pour les particuliers), l’envoi de renforts de gendarmerie, la réouverture de l’aéroport aux vols commerciaux le 1er janvier et plusieurs mesures visant à soutenir les entreprises.

Le patron du MoDem a également annoncé la mobilisation de la réserve sanitaire de Santé publique France et des mesures visant à rendre plus attractif le territoire, sans en donner les détails. Mayotte manque cruellement de médecins, de sages-femmes, de pédiatres ou encore de manipulateurs radio. Les responsables du centre hospitalier de Mayotte se creusent la tête pour les faire venir, multipliant les primes et les avantages qui se rapprochent de ce qui est proposé aux expatrié·es. Sans grand succès…

Le premier ministre, qui était accompagné, entre autres, par la ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, a en outre annoncé un « plan écoles ». « La rentrée ne pouvant se faire dans des conditions normales, elle aura lieu selon des modalités adaptées, établissement par établissement, à partir du 13 janvier », a-t-il indiqué. C’est-à-dire à la date prévue avant le cyclone.

Une annonce qui semble irréaliste aux yeux de plusieurs enseignant·es contacté·es par Mediapart. Rivomalala Rakotondravelo, cosecrétaire départemental du SNUipp-FSU, estime que « ça va être très violent ». Il rappelle que la moitié des établissements scolaires (220 écoles, 20 collèges et 10 lycées) ne sont pas en état de recevoir des enfants, et qu’avant même Chido il manquait 1 200 salles de classe pour répondre aux besoins. Nombre d’écoles fonctionnent sur le système de la rotation (des enfants ont cours le matin, et d’autres l’après-midi). Et la plupart des collèges et des lycées sont surchargés.

Avant Noël, les services de l’Éducation nationale précisaient que 40 % des bâtiments avaient été endommagés par le cyclone. Mais il ne s’agissait que d’une estimation, et celle-ci est probablement en deçà de la réalité, estime le syndicaliste. Dans son école, sur quinze salles, neuf n’ont plus de toit. Comment faire classe dans ces conditions ? « Je n’accepterai pas de reprendre le travail dans une école qui n’assure pas ma sécurité », affirme-t-il.

Le premier ministre a parlé d’une « réparation la plus rapide possible des classes touchées » et a évoqué une « prise en charge par l’État sur vérification des factures » – une revendication du SNUipp-FSU-Mayotte, les communes ne disposant pas de moyens suffisants. Mais Rivomalala Rakotondravelo s’interroge : les entreprises pourront-elles répondre à la demande ? Pas sûr, alors que des milliers de maisons ont perdu leur toit.

Plusieurs collèges et lycées ont également été endommagés. Certains ont été pillés, ou simplement détériorés, comme le collège de Kawéni où se sont rendus les membres du gouvernement en milieu de matinée. « Le CDI a été vandalisé, le gymnase, la salle informatique et la salle de profs aussi », peste Valentin Moustard, un professeur d’EPS.

Selon lui, cela aurait pu être évité : « Une semaine après le cyclone, l’établissement était relativement préservé. Mais depuis, il a été ravagé par des délinquants. On savait tous que ça finirait par arriver. Mais personne n’a pensé à le sécuriser. Quelques militaires auraient suffi », estime-t-il. François Bayrou a annoncé la sécurisation des établissements scolaires dans le cadre d’un « plan vigilance », mais pour nombre d’enseignant·es, c’est déjà trop tard.

De toute évidence, ce plan a été pensé dans l’urgence, sans prendre en compte les réalités du terrain.

Un fonctionnaire basé à Mayotte

Que faire des sinistrés abrités aujourd’hui dans des bâtiments publics ?

Un autre problème se pose à l’État : certains de ces établissements servent d’abris aux sinistré·es (des femmes et des enfants pour la plupart) depuis le 13 décembre. À la demande des élu·es, François Bayrou a évoqué leur évacuation prochaine. Le maire de Mamoudzou l’a annoncé pour ce 31 janvier. Mais les bénévoles qui s’occupent de ces sites s’interrogent : pour les mettre où ? « Il n’y a aucun lieu de disponible », souffle un fonctionnaire qui a requis l’anonymat.

Le premier ministre a annoncé que les personnes en situation irrégulière seraient reconduites à la frontière – un moyen de les faire fuir avant la date fatidique… L’Unicef a exprimé dans un communiqué « sa profonde inquiétude quant à l’absence de mesures […] pour garantir la protection de tous les enfants de Mayotte » et a dénoncé « la priorité accordée à la reconduite à la frontière des familles étrangères hébergées dans les abris d’urgence et la fermeture des centres au détriment d’une mise à l’abri pérenne pour l’ensemble des familles ».

Enfin, il reste un dernier obstacle à la réouverture des écoles : l’absence des enseignant·es, notamment dans le second degré, où l’on compte une majorité de « métropolitain·es » n’ayant pas d’attaches à Mayotte. Beaucoup ont déjà quitté l’île, et elles et ils sont encore nombreux à attendre un avion. « On a tout perdu, nos affaires, notre maison. Pourquoi voulez-vous qu’on reste ? », témoigne un professeur de mathématiques qui a requis l’anonymat.

Comme d’autres, il attend désespérément de pouvoir être « rapatrié » et il critique l’opacité de la sélection qui est faite au niveau de la préfecture. Reviendra-t-il ? Il dit que « oui », qu’il a juste besoin de se « ressourcer en famille ». Mais d’autres risquent de rester en France hexagonale.

Valentin Moustard, qui, avec d’autres bénévoles, a entrepris de donner des vivres aux sinistré·es, et qui affirme être attaché à Mayotte où il vit depuis cinq ans, se dit pour sa part « choqué » par le choix de cette date : « On n’a plus d’eau, plus d’électricité, plus de maison, c’est difficile de s’alimenter et de se déplacer, les journées sont surchargées, on est épuisés. Et on nous demande de reprendre le 13 janvier ? C’est incompréhensible. » Comme d’autres, il attend un vol pour retourner quelques jours auprès de ses proches.

Les plans se sont succédé ces dernières années à Mayotte (« Mayotte en 2025 » en 2015, « Plan pour l’avenir de Mayotte » en 2018), avant d’être petit à petit oubliés.

Pour faire face à une probable déflation du corps enseignant, François Bayrou a indiqué qu’il serait fait appel « à des étudiants, des retraités, des enseignants volontaires ». Mais qui voudra venir, alors que l’État avait déjà du mal à recruter et que près de six enseignants sur dix sont, dans le second degré, des contractuels ? Et surtout, où seront logé·es les volontaires ?

« De toute évidence, ce plan a été pensé dans l’urgence, sans prendre en compte les réalités du terrain », estime un fonctionnaire qui a requis l’anonymat. Un exemple : Bayrou a annoncé vouloir « interdire et empêcher la reconstruction des bidonvilles ». Or ceux-ci ont déjà en partie été reconstitués : leurs habitant·es n’ont pas attendu l’autorisation de l’État pour se fabriquer un abri de fortune. Un autre fonctionnaire d’une collectivité locale s’interroge : « Il n’y a pas de réel échéancier ni de modalités d’évaluation prévues. Quelles sont les garanties d’une véritable mise en œuvre ? »

Craignant des effets d’annonce, il rappelle que les plans se sont succédé ces dernières années à Mayotte (« Mayotte en 2025 » en 2015, « Plan pour l’avenir de Mayotte » en 2018), avant d’être petit à petit oubliés. Il note en outre un oubli majeur : l’absence de pistes pour développer la coopération régionale et ouvrir le marché local aux voisins. La députée (Liot) Estelle Youssouffa dénonce pour sa part des mesures « imprécises » et se plaint de n’avoir pas été consultée en amont. Nombre d’élu·es qui se disent relativement satisfait·es par les annonces, parmi lesquels le sénateur macroniste Saïd Omar Oili, précisent qu’ils demandent à voir sur la durée.

Outre une loi d’urgence qui sera présentée en conseil des ministres vendredi, qui doit permettre à l’État de s’émanciper d’un certain nombre de règles (et du vote du Parlement) pour reconstruire l’île, le premier ministre a annoncé la création d’un établissement public de refondation de Mayotte, sur le modèle de Notre-Dame de Paris, sans donner plus de détails, ni sur son fonctionnement ni sur ses moyens financiers.

Rémi Carayol


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