Source : Frustration magazine.
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Ce 1er janvier, la réforme du RSA, expérimentée jusqu’à présent dans certains territoires, a été généralisée à l’ensemble du pays. Concrètement, les allocataires du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant, pour rappel) vont être inscrits d’office à France Travail, ex-Pôle Emploi, et devront réaliser obligatoirement 15h d’activités par semaine, qui vont de l’atelier réalisation de CV à de « l’immersion en entreprise », c’est à dire du travail gratuit. S’ils ne font pas leurs heures, les Conseils Généraux, qui versent le RSA, pourront le suspendre et, concrètement, laisser ces gens déjà très pauvres crever de faim. Que l’on ne s’y trompe pas : la réforme du RSA est une mesure de mise au pas de toute la société, en terrorisant les plus pauvres et en faisant peur aux autres.
L’objectif de faire travailler les gens en contrepartie du RSA, n’est pas juste celui, parfaitement ignoble, d’humilier les ultra-pauvres, les précaires, les chômeurs sans droits, les SDF, les jeunes, les gens fracassés par la vie qui ne sont plus en mesure de travailler. Il n’a pas pour simple vue de conforter les fractions les plus ignares des franges bêtement droitières et bourgeoises de la population dans leur vision stéréotypée et facile d’allocataires du RSA fumant des joints devant des documentaires animaliers, grassement nourris et logés sur l’argent du contribuable.
Il poursuit un second objectif, tout aussi grave que le premier : réduire le prix du travail à des niveaux en-dessous du seuil de subsistance. Car faire travailler en échange d’une allocation, ce n’est plus une aide sociale, c’est un nouveau type de contrat de travail, un contrat où l’on fera travailler les gens à des salaires qui ne leur permettent même pas de manger et de se loger. On a donc ici une des plus offensives les plus violentes de la bourgeoisie depuis au moins un siècle.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis le 19 décembre dernier. Cet avis devrait alerter tous les défenseurs de la démocratie puisqu’elle estime que la réforme du RSA « porte atteinte aux droits humains ». Elle dénonce notamment un « dispositif qui subordonne le versement d’un revenu minimum de subsistance à la réalisation d’une contrepartie », d’autant que le montant actuel du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant) « ne permet, par ailleurs, pas de vivre de façon digne ».
La CNCDH « alerte également sur la régression du droit à l’accompagnement social s’il se transforme en un contrôle sur l’effectivité de la remise au travail. Il risque en effet de contribuer à la maltraitance institutionnelle – tant auprès de la population ayant besoin de cette protection et y ayant droit que du côté des agents des administrations chargés d’appliquer des règles imprécises et/ou incomprises. »
Car dans un pays qui connaît un chômage de masse (environ 7,4%, auxquels il faudrait rajouter les nombreux radiés injustement) en raison des politiques lamentables de Macron, de sa clique de bourgeois, et de ses prédécesseurs du Parti Socialiste, faire travailler de force pour des tarifs grotesques (moins de 7 euros de l’heure donc) les ultra-pauvres remplit une fonction : remplacer les emplois nécessitant peu ou pas de diplôme, normalement payés au SMIC, par des faux emplois, se rapprochant du travail forcé que l’on retrouve dans les dictatures très archaïques.
On retrouve un peu ce genre de dynamiques avec les stages étudiants : alors que l’on fait croire qu’ils sont censés bénéficier aux étudiants, ils permettent de remplacer et de mettre en concurrence les jeunes arrivants sur le “marché du travail” par des stagiaires dociles, sous payés, à qui l’on apprend que se faire exploiter est une chance et une opportunité. Cela permet donc de faire drastiquement baisser les salaires à l’embauche de ces jeunes, ainsi que leur capacité de négociation et d’exigence, et donc, à moyen terme, de faire baisser le revenu des travailleurs en général.
Même chose pour les services civiques, dispositif créé en 2010 par Martin Hirsch sous Nicolas Sarkozy, censé favoriser “l’engagement de citoyenneté” des “jeunes de 16 à 25 ans” mais qui font en réalité passer pour du volontariat la situation de jeunes qui, ne trouvant pas de travail (comment en trouver si les postes ont été transformés en stages et en service civiques ?), n’ayant même pas encore l’âge pour toucher le RSA, sont donc obligés d’accepter de travailler pour 473 euros par mois.
De la même manière : faire travailler les gens au RSA, c’est mécaniquement mettre beaucoup plus de gens au RSA. Car pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ? Comme le soulignait à raison un internaute, faire travailler 20h par semaine le 1,95 million d’allocataires du RSA revient à trouver chaque mois 160 millions d’heures de travail. Où sont-elles alors que partout on cherche du boulot ? La réponse est simple : chez ceux et celles qui travaillent déjà.
Il permet également un net renforcement du rapport de force favorable à la bourgeoisie en rendant quasi-impossible la démission, déjà très compliquée en temps normal. Macron avait promis que nous pourrions toucher le chômage en cas de démission, ce n’est évidemment pas le cas (ou du moins il faut lire les astérisques pour comprendre les conditions délirantes dans lesquelles cela est possible). Le RSA est donc la seule garantie de pouvoir éventuellement subvenir à ses besoins vitaux si vous avez besoin de démissionner face à une situation insupportable. Avec cette mesure, vous saurez désormais que si vous démissionnez, vous ne quitterez votre travail que pour en trouver un autre, ou vous serez également exploités mais cette fois pour moins de 500 euros par mois.
En dépit d’un fantasme droitier où le chômage et le RSA seraient un loisir de oisif, beaucoup de gens cherchent du boulot et n’en trouvent pas. Trouver un travail dans ce pays où la bourgeoisie règne en maître, impose toutes ses règles, tient du parcours du combattant et ce, à tout âge et presque à tous niveaux de diplôme.
La réforme renforce le flicage sur les chômeurs en se mêlant de tous les aspects de leur vie, et surtout de la façon dont ils occupent leurs journées. C’est pourquoi, dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme estime que la réforme menace les libertés individuelles : « En renforçant le contrôle de l’emploi du temps des personnes sommées de s’investir pour un nombre d’heures donné dans une recherche professionnelle, certaines dispositions de la réforme renforcent les risques d’intrusion disproportionnée dans la vie privée des allocataires et de leur famille, du fait du partage de données personnelles sensibles à grande échelle. »
C’est évidemment quelque chose que les bourgeois et les macronistes (ce sont les mêmes) font semblant d’ignorer puisqu’ils n’ont jamais eu besoin de se bouger pour trouver un emploi : ça leur tombe dans les mains grâce au piston (on dit “réseau” chez eux) depuis qu’ils ont 20 ans.
Donc chercher un boulot, à considérer qu’on soit apte au travail, et ce n’est pas toujours le cas lorsque l’on est au RSA (pas seulement pour des raisons physiques, qui semblent être les seules parfois acceptées par les droitards) est un travail à plein temps. Car oui : écrire et envoyer des lettres de motivations et des CV (surtout lorsqu’on est pas à l’aise avec l’informatique), passer des tas d’entretiens humiliants, faire des tonnes de rendez-vous inutiles de flicage au Pôle Emploi et des formations abrutissantes, se déplacer en direct dans les entreprises pour quémander un emploi…tout ça prend un temps et une énergie folle, que l’on a pas si l’on travaille en plus 20 heures par semaine.
La vision du chômage comme un choix individuel montre bien le désintérêt complet et la parfaite nullité des bourgeois dans le domaine de l’économie (qu’ils confondent avec le “business”). Ou à minima leur profonde mauvaise foi. Le niveau de chômage d’un pays dépend évidemment de tendances macroéconomiques lourdes, de politiques économiques et de rapports de force entre les travailleurs et le capital. Quand après 2008 le chômage explose, sans d’ailleurs jamais retrouver depuis son niveau antérieur, ce n’est pas parce que la crise des subprimes aurait subitement déclenché chez les gens une immense vague de flemme et de fainéantise. Et lorsque les Grecs furent touchés de plein fouet avec d’un coup plus de 50% de chômage chez les jeunes ce n’est pas parce qu’ils avaient tous collectivement décidé de prendre une année sabbatique ! A quel degré de bêtise faut-il être pour penser ça ?
Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minimas sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Le taux de chômage et le nombre d’allocataires du RSA a autant à voir avec la motivation de ces derniers que le prix de l’essence à la pompe en a avec la vôtre quand vous allez à la station-service : on ne rend pas responsable un individu victime d’une situation économique nationale ou mondiale.
Dans cette logique, la transformation, en 2009 du RMI (le Revenu Minimum d’Insertion, créé sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988) en RSA (Revenu de Solidarité Active) c’est-à-dire un an après le début d’une crise économique gravissime, avait déjà porté un premier coup de semonce à cette aide sociale, en renforçant le flicage des allocataires (obligations de pointage à Pôle Emploi, de s’inscrire à des formations inutiles etc.), rendant les concernés responsables de leur situation.
Ne pas être apte à travailler, ou ne pas pouvoir gagner sa vie grâce à son travail, ce n’est pas être un fainéant L’idée répandue par des bourgeois sans aucun vécu, qui gagnent leur vie en faisant bosser les autres, que les allocataires du RSA seraient des “fainéants” ne résiste pas deux secondes à l’épreuve de la réalité.
Voici quelques exemples, parmi des milliers d’autres, où l’on peut être au RSA :
Vos enfants en bas âge viennent de mourir dans un accident de voiture. Les macronistes avaient voulu faire baisser le congé deuil d’un enfant de 12 à 5 jours avant de se rétracter devant le tollé. Dans le réel, endurer un deuil ne prend ni 12, ni 5 jours. Vous “décidez” alors de démissionner – vous ne toucherez pas le chômage, puisqu’on le touche pas quand on démissionne. Vous êtes donc au RSA. Est-ce qu’il est normal de vous forcer à bosser ?
Les SDF, 300 000 en France, on les force à bosser ? Les personnes qui ont eu un problème avec la drogue et qui essayent doucement d’en sortir, on les force à bosser ?
Les femmes harcelées sexuellement au travail, qui savent qu’elles n’ont aucune chance aux prud’hommes et qui décident donc de poser leur démission, on les force à bosser ?
Les agriculteurs qui bossent 80 heures par semaines mais qui gagnent pas un rond, on les fait bosser 20 heures de plus ? Les personnes qui ont un problème de santé (environ 40% des bénéficiaires du RSA) ou un problème de dépression (environ 36% des bénéficiaires du RSA), on les force à bosser ?
Et les plus âgés en fin de droits ? Ceux qui n’ont pas encore 64 ans si la réforme des retraites est maintenue et qui ne trouveront quand même plus de boulot parce que les employeurs leur riront au nez et qu’ils sont épuisés, on les force à bosser ?
J’ai moi-même été au RSA quelques mois. Je venais de finir mes études, et je n’avais plus droit à rien, si ce n’est à rembourser mon prêt étudiant. Au bout d’un mois et demi j’avais trouvé un job (ce qui est une chance). Sauf que paf, nous sommes en mars 2020 : Macron annonce le confinement généralisé. Mon employeur décale mon entrée jusqu’à nouvel ordre – 3 mois donc. Qu’est ce que j’étais censé faire selon les bourgeois ? Demander le RSA a-t-il fait de moi un fainéant ? J’aurais dû manger des racines pendant 3 mois et déménager dans un carton ? Ou bien aller à leurs travaux forcés et me mettre en danger ainsi que mes proches ?
Voilà les réalités derrière les a priori moisis de cette bourgeoisie cruelle, ignare, hors-sol, cynique à en crever.
Mais allons plus loin. Quand bien même une minuscule minorité “profiterait” du RSA, refusant de se tuer à la tâche pour le capital, de faire des jobs pourris, inintéressants, nuisibles pour l’environnement et pour l’intérêt commun, et alors quoi ? 500 euros c’est peu dire que ce n’est pas la grande vie : on sait que cet argent sera entièrement dépensé et donc réinjecté dans l’économie. En quoi cela serait si grave ? Leur absence de travail – et encore faudrait-il accepter la définition capitaliste du travail qui ne valorise que ce qui a une valeur marchande, c’est-à-dire une valeur pour le capital, car donner de son temps pour des associations c’est du travail, le travail domestique c’est du travail, écrire pour Frustration c’est du travail… – ne serait pas “récompensée”, on donnerait simplement à ces derniers de quoi se nourrir !
En quoi cela serait plus grave que le fonctionnement du capitalisme où les riches ne gagnent de l’argent ni par leur travail, ni par leurs efforts ou leur “mérite” mais par leur propriété, c’est-à-dire en faisant bosser les autres et en volant le fruit de leur travail ? Bernard Arnault cumule plus de 150 milliards d’euros, soit 25 millions d’années de RSA, et le problème ce serait des personnes qui n’ont pas de quoi se nourrir et se loger et à qui on donne 500 euros par mois ?
Il est plus qu’urgent que nous leur fassions changer de priorité.
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Annexe
loi sur le plein-emploi du 18 décembre 2023. Source 1 : vie publique https://www.vie-publique.fr/loi/289...
Source 2 : Léjifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf... résultats du vote du 14 novembre 2023 sur ce projet de loi : https://datan.fr/votes/legislature-...
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HD
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