Racisme, négationnisme, homophobie... Jean-Marie Le Pen dans le texte

dimanche 26 janvier 2025.
 

La multiplication des hommages au fondateur du Front national passe sous silence la réalité de ses convictions. Bien plus que de simples « dérapages » ou « polémiques », le Breton a toujours assumé des prises de position haineuses qui lui ont valu de nombreuses condamnations en justice.

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CesCes dernières années, parler de Jean-Marie Le Pen à un député du Rassemblement national (RN) était un exercice périlleux. Les plus admiratifs du fondateur du Front national (FN) reléguaient au passé cette encombrante figure, avançant que ses prises de position racistes, antisémites, homophobes, sérophobes ou négationnistes n’étaient que des provocations d’un autre temps.

D’autres se permettaient d’aller plus loin, certain·es revendiquant même d’avoir manifesté en 2002 contre sa présence au second tour de l’élection présidentielle et répétant à qui voulait l’entendre qu’ils n’auraient « jamais adhéré au FN de Jean-Marie Le Pen ». L’ambiance a pourtant radicalement changé depuis la mort de l’intéressé, le 7 janvier.

Jordan Bardella, qui affirmait déjà en 2023 « ne pas croire » que Jean-Marie Le Pen était antisémite, a rendu hommage à un « tribun du peuple » qui a « toujours servi la France », tandis que de nombreux élu·es du parti ont salué les prétendues capacités d’anticipation du père de Marine Le Pen, affirmant qu’« il [avait] dénoncé avant tout le monde le chemin que prenait la France ».

Sur Sud Radio, Louis Aliot, le vice-président du RN et ancien gendre de Jean-Marie Le Pen, a répété qu’il n’avait « jamais pensé » que celui-ci était antisémite. Et dans les colonnes du JDNews, Marine Le Pen a pour sa part confié ses regrets quant à l’exclusion de son père du parti après d’énièmes propos négationnistes. « Je ne me pardonnerai jamais cette décision », a-t-elle indiqué.

En 1963, après une première carrière politique en tant que député poujadiste, Jean-Marie Le Pen crée la Serp, une maison d’édition de disques dont le catalogue compte des discours collaborationnistes et des hymnes nationaux. On y trouve aussi des chants du IIIe Reich édités sur un disque où l’on peut lire que le nazisme serait « un puissant mouvement des masses, somme toute populaire et démocratique, qui triompha à la suite de consultations électorales régulières, circonstances généralement oubliées ». Une publication qui lui vaut, dès 1968, une condamnation pour apologie de crimes de guerre, confirmée en 1971 par la Cour de cassation.

Quelques années plus tard, Jean-Marie Le Pen cofonde le FN, pour donner au groupuscule Ordre nouveau une structure politique plus présentable afin d’unir les différentes chapelles de l’extrême droite française. À ses côtés, Roger Holeindre, militant de l’OAS emprisonné après avoir créé un maquis pour lutter contre l’abandon de l’Algérie française, François Brigneau, ancien militant collaborationniste et membre de la Milice, ou Pierre Bousquet, officier de la Waffen-SS.

Antisémite et négationniste

Dans la lignée de ce compagnonnage, le fondateur du FN va multiplier tout au long de sa carrière politique les déclarations antisémites et négationnistes, qui lui vaudront de nombreuses condamnations en justice. En 1985, lors de la fête de son parti, Jean-Marie Le Pen est accueilli triomphalement et attaque quatre journalistes juifs : « Je dédie votre accueil tout spécialement à Jean-François Kahn, à Jean Daniel, à Ivan Levaï, à Elkabbach », lance-t-il à la tribune. Il sera condamné par la justice pour antisémitisme insidieux, et boycotté par la station Europe 1, dont les salariés avaient été nommément visés.

En 1987, invité à RTL, il assure que les chambres à gaz ne sont qu’un « point de détail dans l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale », ajoutant que « ce n’est pas une vérité éprouvée à laquelle tout le monde doit croire ». Ces propos négationnistes font scandale et lui valent une autre condamnation par la justice pour contestation de crime contre l’humanité – il va pourtant les réitérer à plusieurs reprises tout au long de sa vie politique. Dix ans plus tard, le Breton répète d’ailleurs cette phrase lors d’une conférence de presse organisée en Allemagne avec l’ancien Waffen-SS Franz Schönhuber.

En 2009, Jean-Marie Le Pen récidive dans l’enceinte du Parlement européen, prétendant que c’est « une évidence » que « les chambres à gaz sont un détail de l’histoire ». En 2015, sur le plateau de BFMTV, il persiste, assurant n’avoir « aucun regret » : « Ce que j’ai dit correspondait à ma pensée, les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de la guerre, je maintiens mes propos, je crois que c’est la vérité et ça ne devrait choquer personne. » Au cours de la même interview, il « met au défi quiconque de citer une phrase antisémite dans [sa] vie politique ».

En 1988 déjà, lors de l’université d’été de son mouvement au Cap-d’Agde (Hérault), Jean-Marie Le Pen avait suscité l’indignation en surnommant le ministre Michel Durafour « M. Durafour crématoire ». Un an plus tard, il dénonçait dans le journal catholique traditionaliste Présent « l’internationale juive » et son « esprit antinational ». En 2011, au moment de transmettre la présidence du FN à sa fille Marine Le Pen, il évoquait le passage à tabac d’un journaliste par le service d’ordre du parti en déclarant : « Il a dit que c’était parce qu’il était juif qu’il avait été expulsé. Ça ne se voyait ni sur sa carte de presse, ni sur son nez, si j’ose dire. »

En 2014, dans son « journal de bord » vidéo, il suggérait encore de faire « une fournée la prochaine fois » avec des artistes opposés au FN, parmi lesquels le chanteur Patrick Bruel, d’origine juive séfarade. Sans compter les nombreuses fois où il s’est affiché avec les antisémites Dieudonné ou Alain Soral, avec lesquels il a fêté ses 87 ans en 2015. En 2021, Jean-Marie Le Pen participait encore au « bal des quenelles » de Dieudonné en compagnie de Bruno Gollnisch, et en 2022, il prenait part au dîner des pétainistes du Parti de la France, aux côtés de l’écrivain antisémite Hervé Ryssen.

En 2005, dans un entretien à l’hebdomadaire négationniste Rivarol, le fondateur du FN avançait qu’en France, « l’occupation allemande n’[avait] pas été particulièrement inhumaine », évoquant simplement quelques « bavures ». Une relecture de l’Occupation et du régime de Vichy qu’il a réitérée à plusieurs reprises, considérant en 2014 que « bien sûr, Vichy [était] excusable » ou affirmant en 2015, toujours dans Rivarol, n’avoir « jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître ».

Raciste, homophobe et sérophobe

Outre ses multiples expressions antisémites ou négationnistes, Jean-Marie Le Pen a aussi distillé ses propos racistes, islamophobes ou homophobes tout au long de ses soixante ans de vie politique. Dès 1984, sur le plateau de « L’Heure de vérité » sur Antenne 2, il s’inquiétait de « l’hégémonie tenant à l’explosion démographique du tiers-monde et en particulier du monde islamo-arabe qui actuellement pénètre notre pays, qui progressivement [est] en train de le coloniser ». Douze ans plus tard, il affirmait au cours des universités d’été du parti : « Je crois à l’inégalité des races, oui bien sûr, toute l’histoire le démontre, elles n’ont pas la même capacité ni le même niveau d’évolution historique. »

En 2003, l’ancien président du FN était condamné pour incitation à la haine après ses propos sur les musulman·es : il avait alors assuré que « le jour où nous aurons en France non plus 5 millions mais 25 millions de musulmans, ce sont eux qui commanderont ». En 2010, dans un documentaire, il affirmait aussi à propos de son déménagement en banlieue parisienne : « J’ai acheté une maison de campagne pour permettre à mes enfants, qui habitaient le XVe, de voir des vaches au lieu de voir des Arabes. »

Quelques années plus tard, Jean-Marie Le Pen déclarait à propos de la crise démographique en Afrique : « Monseigneur Ebola réglera ça en trois mois », avant de s’étendre, dans un entretien à Rivarol, sur la nécessité de s’entendre « avec la Russie pour sauver l’Europe boréale et le monde blanc ». En parallèle, il multipliait les déclarations illustrant son antitsiganisme, considérant en 2012 que « comme les oiseaux », les Roms « volent naturellement » – propos pour lesquels il sera condamné une nouvelle fois. Un an plus tard, il décrivait dans Nice-Matin la « présence urticante et disons... odorante » des Roms dans la commune azuréenne.

Tout au long de sa carrière, le président fondateur a également répété des propos homophobes et sérophobes, affirmant dès 1984 que « l’homosexualité est de toute évidence comme une anomalie biologique et sociale ». Trois ans plus tard, il se livrait sur RTL à une violente charge contre les personnes séropositives, accusées de menacer la nation : « Les sidaïques, en respirant du virus par tous les pores, mettent en cause l’équilibre de la nation. Le sidaïque est contagieux par sa transpiration, sa salive, son contact. C’est une espèce de lépreux. »

En 1997, lors d’un déplacement à Mantes-la-Jolie (Yvelines) dans le cadre d’une campagne législative pour laquelle sa fille Marie-Caroline était candidate, le président du FN s’était battu avec des militants de gauche et avait agressé la candidate socialiste et maire de la commune voisine, Annette Peulvast-Bergeal. Quelques minutes plus tard, entouré de caméras, il lançait à un militant : « Je vais te faire courir, moi, tu vas voir, le rouquin, là-bas. Hein ? Pédé ! » En 2016, dans une vidéo du Figaro, il considérait que les homosexuels étaient « comme le sel dans la soupe : s’il y en a trop, c’est imbuvable ».

Un peu plus tôt la même année, il assimilait l’homosexualité à la pédophilie : « Je crois que la pédophilie, qui a trouvé ses lettres de noblesse… interdites, mais tout de même, dans l’exaltation de l’homosexualité, met en cause toutes les professions qui approchent l’enfance et la jeunesse. » Un an plus tard, il regrettait que, lors de l’hommage à Xavier Jugelé, un policier tué sur les Champs-Élysées à Paris par un terroriste, « on rendait plutôt hommage à l’homosexuel qu’au policier ».

Farouchement anti-avortement, Jean-Marie Le Pen a également étalé son sexisme au grand jour tout au long de sa vie politique. En 1988, il expliquait être « chrétien, donc, par principe, contre l’avortement ». En 1996, il déclarait au Parisien que « l’affirmation que votre corps [celui des femmes – ndlr] vous appartient est tout à fait dérisoire », ajoutant : « Il appartient à la vie et aussi, en partie, à la nation. » Quelques années plus tard, il expliquait à un journaliste qu’il ne cuisinait pas car il avait « une femme et une bonne » avant d’exposer que « dans notre tradition nationale et familiale, ce sont les femmes qui s’occupent des filles, pas les hommes ».

En 2011, au moment de devenir présidente du FN, Marine Le Pen avait évoqué ce lourd héritage politique, affirmant : « Comme pour l’histoire de mon pays, je prends l’ensemble de l’histoire de mon parti et j’assume tout. » Avant de regretter, quatorze ans plus tard, sa décision d’exclure son père du parti, malgré les immondices qu’il n’aura jamais cessé de déverser dans le débat public.

Youmni Kezzouf


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