Donald Trump : 50 ans de relations avec la Russie

vendredi 14 mars 2025.
 

À peine revenu au pouvoir, le nouveau président américain a décidé de se saisir du dossier ukrainien. Mi-février, Donald Trump a appelé son homologue Vladimir Poutine, afin de lancer des négociations « immédiates » pour trouver une « solution de long terme ». Celle-ci semble largement se faire au bénéfice de Moscou. Comment expliquer ce qui semble être un tropisme prorusse du locataire de la Maison-Blanche ?

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Dans Notre homme à Washington (Grasset), le journaliste Régis Genté, qui vit depuis vingt-deux ans à Tbilissi, en Géorgie, a enquêté sur les liens qu’entretient depuis les années 1970 Donald Trump avec la Russie. Des relations qui éclairent peut-être sa pensée géopolitique. Entretien.

Marianne : Les premiers contacts de Trump avec la Russie ont lieu à la fin des années 1970. Pouvez-vous revenir dessus ?

Régis Genté : Oui, c’est une vieille histoire. Il est repéré assez vite. Il est d’abord repéré lors de son mariage avec sa première épouse, Ivana, qui est une citoyenne tchécoslovaque. La Tchécoslovaquie est un pays socialiste, une dictature et un pays satellite de l’URSS. La STB, la Sûreté de l’État, les services de sécurité tchécoslovaques, est une sorte de petite sœur du KGB. À l’époque, s’il n’est pas encore très connu, Trump est quand même assez important et riche. Il est repéré par des anciens espions, qui l’ont raconté dans la presse tchèque ces dernières années.

Il y a ensuite d’autres contacts, notamment par le biais d’un magasin qui vendait de l’électronique, sur la Cinquième avenue à New York, où vivait Trump. Le magasin était très fréquenté par les services de sécurité soviétiques de l’ambassade. Il vendait des produits, comme des walkmans ou des enregistreurs, très rares en URSS.

Mais le vrai premier contact avec le KGB a sans doute lieu au moment de son premier voyage à Moscou, en juillet 1987. Il a été approché par la fille de l’ambassadeur à New York de l’époque, qui était une représentante du KGB sous couverture à l’ONU. Après ce voyage, certains milieux un peu prorusses aux États-Unis pensent que Trump ferait un très bon présidentiable. Il est encore jeune et pas vraiment politique.

Vous évoquez une « mafia rouge » qui investit les États-Unis dans les années soixante-dix. C’est d’ailleurs elle qui aurait approché Trump, selon vous. De quoi s’agit-il exactement ?

Trump n’était pas un agent, mais plutôt ce qu’on appelle un « contact confidentiel ». Il ne s’agit pas de lui donner de l’argent, mais de le courtiser, de le flatter, de l’aider dans son parcours personnel et professionnel. Dans l’ancien espace soviétique, les mafias sont complètement greffées à l’État. Ce sont des émanations du Goulag. Dans les années 1970, beaucoup de mafieux, notamment des juifs, se sont installés aux États-Unis, en particulier dans le quartier new-yorkais de Brighton Beach.

Trump a des contacts avec eux, notamment par le biais de Michael Cohen, qui est son avocat de 2006 à 2018 et qui est lié aux mafieux de Brighton Beach. Ils l’aident dans ses projets immobiliers, en particulier pour la célèbre Trump Tower, et blanchissent de l’argent dans ses casinos. Certains lui filent un coup de main lorsqu’il est au bord de la faillite. Ces mafieux n’agissent pas forcément dans l’intérêt de l’État soviétique, mais aussi dans leurs propres intérêts. Mais on se rend aussi compte que des gens très haut placés dans la mafia sont en contact avec des gens très importants dans la hiérarchie des services de sécurité soviétiques puis russes.

Comment la mafia rouge aide-t-elle Trump dans ses projets immobiliers ?

Ils investissent directement. L’un d’entre eux, par exemple, achète cinq appartements. Cet argent sera très utile au président dans la suite de son parcours.

En quoi ces contacts expliquent la pensée géopolitique de Trump ?

Je pense que Trump a son propre ADN politique, son histoire et que ses contacts ne l’expliquent pas. Certes, un moment, il a voulu être le candidat des démocrates, sans succès, et il a été très ami avec les Clinton. Mais c’est quelqu’un qui, étant donné son histoire, est plutôt proche des Républicains, de l’isolationnisme, qui n’est pas très amoureux de la démocratie, etc. C’est également quelqu’un qui a été cultivé par les services soviétiques, puis russes, et dont l’ADN est plutôt compatible avec ce qu’on peut penser dans certains cercles à Moscou.

Et comment expliquer son isolationnisme sur le plan international ?

Trump dit souvent : « I hate nice people ». Il n’aime pas les bien-pensants, il n’aime pas les démocrates, les intellos, les gens qui ont des valeurs démocratiques, etc. Ce n’est pas son monde. Ce n’est pas le monde des promoteurs immobiliers, on pourrait dire. Il s’est sûrement senti plus à l’aise avec des mafieux russes. Il a un certain attrait pour les pratiques mafieuses.

Quand Trump était simplement promoteur immobilier, il avait des pratiques très mafieuses. Si, pour obtenir un terrain à New York, il faut offrir au fils du maire une prostituée, il le fait. S’il faut offrir un appartement à un journaliste qui pose trop de questions, idem. Trump se fiche du monde démocratique, du monde libéral, de ses règles, de la loi, etc. Finalement, il a un peu le même adversaire que Poutine, à savoir le monde occidental libéral. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y a une identité idéologique : il ne vit pas dans le même monde que les Russes.

N’y a-t-il pas néanmoins un paradoxe : Trump noue des contacts avec l’URSS, alors qu’il n’est pas du tout communiste, mais économiquement très libéral ?

Il va en URSS très tard, en 1987 : c’est déjà la perestroïka. Deux ans plus tard, le mur de Berlin chute. C’est une URSS qui s’ouvre au capitalisme. Ensuite, il n’a pas de fantasme sur la Russie. Par exemple, il ne parle jamais de l’âme russe. Je pense que ce qu’il aime avec la Russie, c’est l’impérialisme, la force, l’idée que c’est un grand État.

Mais ce qui attire Trump, c’est l’ascension. Il veut être reconnu dans le grand monde de la politique à Washington. Un de ses conseillers, le fameux avocat Roy Cohn, qu’on voit dans le film The Apprentice, lui dit qu’il devrait essayer de devenir le négociateur en chef sur le désarmement nucléaire de Reagan. Il essaye donc de le faire. Il donne à ce sujet une interview très sérieuse dans Playboy.

Trump fixe un rendez-vous au journaliste dans un night-club pour parler de cette question très importante. Le journaliste lui demande comment il compte s’y prendre. En gros, il a expliqué que les grands États, c’est-à-dire son pays et l’URSS, allaient conserver leur arsenal, peut-être le réduire un peu, et qu’il mettrait la pression aux petits, comme le Pakistan ou la France, pour qu’ils se désarment. C’est pour cela que j’ai toujours pensé que le président américain négocierait la paix en faveur de Moscou et au détriment de l’Ukraine.

Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes, Régis Genté, Grasset, 224 p., 20 €.


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