Trump impose la peur et l’arbitraire

mardi 8 avril 2025.
 

L’administration états-unienne a lancé une vague de répression contre les étudiants étrangers qui se sont mobilisés pour la Palestine, multipliant les arrestations en vue de les expulser. Leurs avocats dénoncent des atteintes graves à la liberté d’expression.

LaLa vidéo est glaçante. Elle montre une arrestation en pleine rue. On se dit qu’elle a eu lieu au Bélarus ou en Russie, sous un régime autoritaire. Elle s’est pourtant produite à Somerville, près de Boston (Massachusetts), dans les États-Unis gouvernés par Donald Trump.

Les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux proviennent d’une caméra de vidéosurveillance mais aussi d’un téléphone portable d’un voisin. On y voit une trentenaire de nationalité turque, Rumeysa Öztürk, être appréhendée, mardi 25 mars, en pleine rue, par des agent·es des services de contrôle de l’immigration (ICE, Immigration and Customs Enforcement, une agence du département de la sécurité intérieure), avant d’être menottée puis poussée dans un SUV, en direction d’un centre de détention. Sans aucune explication.

Rien ne permet de dire que ce sont des fonctionnaires de police, car les personnes qui encadrent la jeune femme voilée, qui se rendait à un centre interconfessionnel pour la rupture du jeûne du ramadan, sont habillées en civil. Beaucoup ont le visage caché par un cache-col. Lorsqu’un premier agent l’aborde, l’étudiante de l’université Tufts pousse un cri de frayeur, avant qu’il ne lance : « Nous sommes de la police. »

Son avocate, Mahsa Khanbabai, a dénoncé un kidnapping. « Nous devrions tous être horrifiés de la manière dont [le département de la sécurité intérieure] a enlevé Rumeysa en plein jour », a-t-elle dit dans un communiqué, ajoutant : « Cette vidéo devrait ébranler tout le monde. » Sa cliente, explique-t-elle, est une étudiante boursière, « diplômée résidant dans le Massachusetts avec un visa d’étudiante en cours de validité ».

« Rumeysa, comme nous tous en Amérique, a le droit d’exprimer librement ses opinions, dit son avocate. Aujourd’hui, elle est illégalement ciblée par l’administration Trump, simplement parce qu’elle a coécrit une tribune appelant à ce que les Palestiniens aient des droits humains fondamentaux. » Dans ce texte, publié en mars 2024 par The Tufts Daily, le journal de l’université, les signataires appelaient notamment l’établissement à « reconnaître le génocide palestinien » et à « retirer ses investissements des entreprises ayant des liens directs ou indirects avec Israël ». « Il semble que la seule chose pour laquelle Rumeysa est visée soit son droit à la liberté d’expression », dénonce Mahsa Khanbabai.

Des libertés « étouffées »

Sur son compte Instagram, la représentante démocrate du Michigan, Rashida Tlaib, a mis en garde contre une escalade dans la répression. « L’administration Trump enlève des gens dans la rue, a-t-elle écrit. Ils commencent par les personnes qui défendent les Palestiniens et les droits humains… mais ils ne s’arrêteront pas là. Les prochains seront les défenseurs de la justice environnementale et de l’avortement, ceux qui luttent contre la cupidité des entreprises, les syndicalistes et les autres personnes qui résistent au “Projet 2025” », la feuille de route ultraconservatrice qui inspire le président républicain pour son second mandat.

Mercredi 26 mars, alors qu’un tribunal fédéral avait ordonné que Rumeysa Öztürk ne soit pas expulsée du Massachusetts, son avocate a appris qu’elle avait été envoyée en Louisiane. Une situation qui ressemble à celle vécue par Mahmoud Khalil, cet étudiant palestinien né en Syrie, diplômé de la prestigieuse université de Columbia, le premier à avoir été interpellé en vue de son expulsion, accusé d’avoir été l’un des meneurs des mobilisations propalestiniennes de l’année dernière sur le campus new-yorkais.

Pour Elizabeth Warren, sénatrice démocrate du Massachusetts, la détention de Rumeysa Öztürk est la « dernière en date d’un schéma alarmant visant à étouffer les libertés civiles ». « L’administration Trump cible les étudiants ayant un statut légal et arrache des personnes à leur communauté sans procédure régulière. Il s’agit d’une attaque contre notre Constitution et nos libertés fondamentales – et nous allons riposter », a-t-elle déclaré.

Actuellement, il existe un climat de peur fou dans les universités, et en particulier à Columbia.

Ranjani Srinivasan, doctorante indienne

Le même jour, un juge fédéral a ordonné à l’administration Trump de mettre fin à ses efforts pour expulser et arrêter une autre étudiante de Columbia, Yunseo Chung. Cette jeune femme de 21 ans, originaire de Corée du Sud, est arrivée aux États-Unis alors qu’elle était une enfant et dispose d’une résidence permanente légale. Elle se cache désormais pour éviter son arrestation.

Saisie par Yunseo Chung, qui dénonce le fait que le gouvernement « tente d’utiliser les réglementations de l’immigration comme une matraque pour réprimer les discours qu’il n’apprécie pas », la juge Naomi Reice Buchwald a estimé que les accusations à son égard n’étaient pas suffisamment étayées, lui accordant une protection temporaire et interdisant également au gouvernement de la transférer hors de New York. « Pas de voyage en Louisiane ici », a déclaré la juge, selon le New York Times.

Momodou Tala, doctorant à l’université Cornell (un des huit prestigieux établissements de l’Ivy League), qui possède la double nationalité gambienne et britannique, s’est joint à une plainte collective contre l’administration Trump après avoir été convoqué par l’ICE. Quelques jours plus tard, le ministère de la justice a annoncé que son visa d’étudiant avait été révoqué par le département d’État, en raison de « manifestations perturbatrices » et de la « création d’un environnement hostile pour les étudiants juifs », selon The Intercept. Dans leur plainte, souligne le site, les plaignants déclarent que « le premier amendement protège les personnes et pas seulement les citoyens. Cela inclut les non-citoyens [états-uniens - ndlr] vivant aux États-Unis ».

Touristes, migrants, résidents : tous visés

Pas un jour ne passe sans que l’on apprenne de nouvelles arrestations de personnes accusées d’avoir participé à des manifestations propalestiniennes, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme.

Ranjani Srinivasan, doctorante indienne à la Graduate School of Architecture, Planning and Preservation de Columbia, a décidé de partir d’elle-même. Interrogée depuis le Canada par « CBS Mornings », elle a jugé « absurdes » les accusations de soutien au terrorisme qui la visent, ajoutant : « Je suis venue aux États-Unis pour la liberté académique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Mais actuellement, il existe un climat de peur fou dans les universités, et en particulier à Columbia. »

Cette vague de répression touche également les migrant·es sans papiers, cette fois souvent sous le prétexte de lutter contre les organisations criminelles, mais aussi des touristes ou des résident·es qui n’ont rien à voir avec la mobilisation anti-israélienne ou les gangs latino-américains.

Des témoignages d’étrangères et d’étrangers, soit des résident·es pensant être en règle, soit des touristes, arrêté·es au passage de la frontière et envoyé·es dans des centres de détention privés par l’ICE, se multiplient.

Après avoir été relâchée et avoir rejoint le Canada, Jasmine Mooney a fait le récit pour le Guardian de ses douze jours de détention, sous le titre « Je suis la Canadienne qui a été détenue par l’ICE pendant deux semaines. J’ai eu l’impression d’avoir été kidnappée ».

« Il n’y a eu aucune explication, aucun avertissement, écrit cette entrepreneuse et actrice. Un instant, j’étais dans un bureau de l’immigration en train de parler à un agent de mon visa de travail, qui avait été approuvé des mois auparavant et qui me permettait, en tant que Canadienne, de travailler aux États-Unis. L’instant d’après, on m’a demandé de mettre mes mains contre le mur et on m’a fouillée comme une criminelle avant de m’envoyer dans un centre de détention ICE sans que je puisse parler à un avocat. »

Aucune des femmes avec lesquelles elle s’est trouvée n’avait de casier judiciaire, mais elles étaient privées de liberté pour avoir dépassé la durée de validité de leur visa. « Leur frustration ne résidait pas dans le fait d’être tenues responsables, mais dans le vide bureaucratique interminable dans lequel elles étaient piégées », souligne-t-elle.

Un business de la détention

Jasmine Mooney tient à préciser qu’elle bénéficiait d’une position privilégiée par rapport à nombre de ses compagnes d’infortune. « J’avais un passeport canadien, des avocats, des ressources, l’attention des médias, des amis, de la famille et même des politiques qui défendaient mes intérêts. Pourtant, j’ai quand même été détenue pendant près de deux semaines. Imaginez ce que ce système représente pour chaque personne qui se trouve là-bas. »

Il ne s’agit pas seulement d’un « cauchemar bureaucratique », a-t-elle compris, mais aussi d’un « business » : « Ces centres sont privés et gérés dans un but lucratif. Des entreprises comme CoreCivic et GEO Group reçoivent des financements gouvernementaux en fonction du nombre de personnes détenues, ce qui explique pourquoi elles militent pour des politiques d’immigration plus strictes. C’est un business lucratif : CoreCivic a engrangé plus de 560 millions de dollars [près de 520 millions d’euros – ndlr] grâce aux contrats ICE en une seule année. En 2024, GEO Group a engrangé plus de 763 millions de dollars grâce à ces contrats. Plus il y a de détenus, plus ils gagnent d’argent. Il va de soi que ces entreprises n’ont aucun intérêt à libérer les gens rapidement. »

Début mars, un chercheur français du CNRS a été refoulé alors qu’il se rendait à une conférence dans le domaine spatial. Il a été retenu plus d’une journée à l’aéroport avant de pouvoir repartir, laissant sur place son ordinateur professionnel et son téléphone portable. Le ministre français de l’enseignement supérieur et de la recherche, Philippe Baptiste, a déploré, auprès de l’Agence France-Presse (AFP), une mesure « prise par les autorités américaines parce que le téléphone de ce chercheur contenait des échanges avec des collègues et des relations amicales dans lesquels il exprimait une opinion personnelle sur la politique menée par l’administration Trump en matière de recherche ».

Washington a démenti cette version, expliquant que le scientifique « était en possession d’informations confidentielles sur son appareil électronique provenant du laboratoire national de Los Alamos [Nouveau-Mexique – ndlr] – en violation d’un accord de confidentialité –, qu’il a admis avoir récupérées sans autorisation et qu’il a tenté de dissimuler ».

Plus personne ne semble à l’abri, ce qui suscite des craintes à l’étranger. Plusieurs pays européens, parmi lesquels l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Danemark et la Finlande, ont émis des recommandations de prudence à l’attention de leurs ressortissant·es voulant se rendre aux États-Unis.

L’Allemagne, le Danemark et la Finlande ont également appelé les personnes trans à contacter l’ambassade des États-Unis avant tout voyage, pour se renseigner. Donald Trump a signé des décrets présidentiels statuant que son pays ne reconnaît que deux genres, masculin et féminin, et excluant les trans de l’armée américaine, limitant leur accès au sport et restreignant les procédures de transition de genre pour les moins de 19 ans.

Roland Lescure, député Ensemble pour la République des Français établis hors de France, a sondé les Français·es expatrié·es aux États-Unis et au Canada sur leur sentiment depuis le retour de Donald Trump au pouvoir. Mercredi sur France Inter, il a rendu compte d’une anxiété massive, qui touche particulièrement les chercheuses et les chercheurs, les étudiant·es et les diplomates, résumant en une phrase la situation : « C’est probablement la fin de l’American Dream. »

Dans le Guardian, la journaliste Arwa Mahdawi, britannico-palestinienne, résidente à Philadelphie, a eu ce cri du cœur : « Ne visitez pas les États-Unis : cela ne vaut tout simplement pas la peine de prendre des risques en ce moment. » « Oubliez le respect des règles, écrit-elle. Ne venez tout simplement pas ici. Pourquoi dépenser votre argent aux États-Unis, qui menacent d’annexer leurs voisins et sombrent rapidement dans l’autoritarisme ? »

François Bougon


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