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Actuelle numéro deux du ministère de l’éducation, Caroline Pascal a affirmé à plusieurs reprises que son institution n’avait pas recueilli de témoignages sur l’homophobie à Stanislas. Le député Paul Vannier lui a opposé plusieurs documents inédits qui démontrent tout l’inverse.
Lundi 31 mars, c’était au tour de Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire, de passer au gril de la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires, à l’Assemblée nationale. L’enjeu ? Examiner le degré de contrôle et de surveillance auquel est soumis en France l’enseignement privé sous contrat, de la part de la force publique.
« Vous êtes sous serment », a bien rappelé Paul Vannier, l’un des deux corapporteur·es de cette commission lancée à la suite de nos révélations sur Notre-Dame-de-Bétharram, à l’adresse de Caroline Pascal. Ce qui n’a pas empêché la haute fonctionnaire d’accumuler les contre-vérités, sur un autre établissement notoirement hors des clous, le groupe scolaire Stanislas.
En 2024, Caroline Pascal est encore cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, de la recherche et du sport (Igers). Son institution est saisie en mai 2023 par le ministre de l’éducation d’alors, Pap Ndiaye, pour établir un rapport sur l’établissement parisien, pointé du doigt dans plusieurs enquêtes journalistiques comme un lieu d’entre-soi sexiste et homophobe, où s’exercent diverses atteintes à la laïcité.
Documents et témoignages à l’appui, Mediapart en particulier a montré comment l’homophobie à Stanislas était omniprésente, des élèves y ont raconté en détail les injures qu’ils subissaient ou la promotion de thérapies de conversion au sein de l’établissement. Des enregistrements sonores révélaient aussi les discours contraires à la loi tenus par certains intervenants.
Ce rapport de l’inspection générale, resté non public pendant des mois, a fini par être révélé par Mediapart en janvier 2024, dans la tourmente de l’affaire Oudéa-Castéra.
Interrogée quelque temps plus tard dans une émission de France 2 sur le sujet, Caroline Pascal minimisait alors la portée du rapport mené par ses collègues. Elle affirmait notamment ceci : « Dans l’ensemble de ces témoignages, nous n’avons extrait aucun élément caractérisé qui permettait de dire que l’établissement avait un comportement homophobe, sexiste ou autoritaire. »
Et poursuivait : « Nous n’avons eu aucun témoignage d’élèves nous disant qu’ils avaient été eux-mêmes stigmatisés ou victimes d’homophobie. Nous avons eu des témoignages d’élèves qui nous disaient qu’ils connaissaient des élèves qui dans l’établissement étaient homosexuels et qui ne s’en plaignaient pas. »
« Confirmez-vous ces déclarations ? », a demandé Paul Vannier, devant la représentation nationale, lundi. « Oui », répond la haute fonctionnaire, qui évoque seulement un signalement auprès du procureur, réalisé après la venue des inspecteurs à Stanislas, concernant un parent d’élève chargé de la catéchèse qui tenait « des propos homophobes ».
« Les inspecteurs généraux ont entendu une centaine de témoins, ils n’ont pas repéré d’homophobie systémique, ajoute Caroline Pascal. Les nombreux témoignages ne les mentionnaient pas. Je le regrette si les élèves n’ont pas osé dire aux inspecteurs généraux ce qu’ils ont dit aux journalistes. »
Mais Paul Vannier sort de sa manche des pièces obtenues dans le cadre des pouvoirs d’investigation que confère une commission d’enquête parlementaire. Il s’agit des comptes rendus d’auditions d’élèves réalisées par l’inspection générale, mais aussi de parents d’élèves de Stanislas, en préparation du fameux rapport. Le député insoumis les détaille et rappelle qu’ils évoquent divers niveaux « de l’encadrement ».
Celui de « C, une élève », d’abord : « L’année dernière [2022 – ndlr], mon préfet [un surveillant en chef – ndlr] a fait une fixation sur mon pull coloré, considérant que c’était de la propagande LGBT. À toutes les récréations j’ai entendu l’insulte pédé, sans que les élèves soient repris. » Puis de « D., parent d’élève » : « Il [son fils – ndlr] nous a raconté une anecdote, un groupe de garçons assis, et un préfet leur a dit “on n’est pas dans le Marais ici”. »
Une certaine « A., élève », dit aussi ceci : « Dans le cours de l’une de mes amies, l’aumônier a demandé à une fille qui portait un masque bariolé pourquoi elle portait un masque d’homosexuel et des [pantalons aux] ourlets extérieurs, signe homosexuel. » Et enfin au moins deux parents, qui rapportent des éléments d’un cours de catéchisme : « Quand on est catholique, on ne peut pas être homosexuel, ça se soigne. »
Face à ce déluge, Caroline Pascal reste inflexible et argumente : l’histoire de la jeune fille au « pull bariolé » figure bel et bien dans le rapport de l’Igers, mais elle se serait bien terminée, selon ses dires : « Le préfet s’est excusé, il a montré ensuite une attention à cette élève. »
Ce qui est faux, puisque cette jeune fille n’a pas été « gardée en terminale », en raison de sa « conduite », un sujet sur lequel revient d’ailleurs assez longuement le rapport, mais sous l’angle d’une « rupture douloureuse » entre le lycée et une famille. Selon nos informations, Gabriel Attal (ancien ministre de l’éducation nationale) a même lui aussi été directement alerté et sollicité par un parent d’élève de Stanislas sur ce sujet en particulier, comme nous le racontions.
Au lieu de ces divers témoignages recueillis lors des auditions, le rapport a préféré s’appuyer sur cette phrase d’un élève : « Je n’ai pas eu de connaissance d’homophobie, je connais des gens homosexuels dans ma promo, ils ne sont pas embêtés. » Une citation, « une des rares du rapport, qui blanchit l’établissement », enfonce Paul Vannier. Caroline Pascal s’arc-boute sur sa version : « Les inspecteurs sont libres, leur analyse est qu’il n’y avait pas à Stanislas d’homophobie institutionnelle. »
L’effet de cet échange, au sein de l’Assemblée nationale, est déflagratoire, alors que la polémique enfle depuis des semaines sur l’éventuel laisser-faire de l’administration de l’éducation nationale et des politiques vis-à-vis des établissements scolaires privés sous contrat, voire une forme de complaisance.
Dans la même émission de France 2, Caroline Pascal avait d’ailleurs été tout aussi peu loquace sur l’éducation à la sexualité et la promotion de la chasteté pour les filles à Stanislas. « Dès lors que c’est fait en respectant la liberté de conscience des élèves et des enseignants d’une part, et sans enfreindre la loi bien entendu et les valeurs de la République que nous sommes tous censés partager, après cela ne nous regarde pas », balayait l’ex-patronne de l’inspection générale, avant de prétendre ne pas pouvoir agir : « Nous ne pouvons pas intervenir, si ce n’est pour alerter sur le fait que ça doit être conforme aux valeurs de la République et à la loi. »
Le rapport a d’ailleurs seulement donné lieu à des préconisations portées à la connaissance de l’établissement, sans que jamais ne soit remis en cause le contrat d’association qui lie depuis des années cet établissement huppé à l’État, qui lui assure pourtant la plus large part de son financement.
Mathilde Goanec et David Perrotin
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