Bétharram : un autre gendarme confirme les récits sous serment

lundi 21 avril 2025.
 

Ancien collègue de l’enquêteur Alain Hontangs et du juge Christian Mirande, le major de gendarmerie Robert Matrassou confirme dans un entretien à Mediapart que les deux hommes lui ont parlé en 1998 du rôle de François Bayrou dans une enquête pour viols à Bétharram.

https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250414-172615&M_BT=1489664863989

Petit à petit, le puzzle des pressions exercées sur l’enquête portant sur des viols commis par un prêtre influent de Notre-Dame-de-Bétharram en 1998 reprend forme. Un quart de siècle après ce qui est aujourd’hui dénoncé comme un fiasco judiciaire, le juge d’instruction Christian Mirande et le gendarme Alain Hontangs, qui avaient essayé de mener à bien des investigations sur le père Carricart (remis en liberté dans un contexte de forte mobilisation de notables locaux), ont confirmé sous serment devant une commission d’enquête de l’Assemblée nationale, jeudi 10 avril, les sollicitations de François Bayrou pendant l’affaire.

L’actuel premier ministre présidait à l’époque le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, notamment en charge des collèges et de la protection de l’enfance – des fonctions qu’il cumulait avec un mandat de député, après avoir été ministre de l’éducation nationale pendant quatre ans. Son épouse, Élisabeth Bayrou, était aussi en charge du catéchisme à Bétharram, où étaient également scolarisés plusieurs de ses enfants.

Mais depuis les révélations de Mediapart en février 2025, l’élu béarnais affirme sur tous les tons qu’il n’a « jamais » rien su des violences, a fortiori sexuelles, commises dans l’établissement catholique, aujourd’hui mis en cause par un collectif d’environ 200 plaignants. Sollicité ce vendredi 11 avril, François Bayrou a persisté dans ses dénégations, mettant en cause les témoignages devant la commission d’enquête. « Les juges et les gendarmes, ça se trompe comme les autres », a-t-il notamment soutenu.

Problème : un troisième témoin de l’époque confirme les propos d’Alain Hontangs et de Christian Mirande. Membre de la section de recherches (SR) de la gendarmerie de Pau pendant l’affaire Carricart, le major Robert Matrassou défend l’intégrité et la fiabilité des deux hommes.

Dans un entretien à Mediapart, le militaire à la retraite dit avoir recueilli leurs confidences à l’époque. Son témoignage correspond exactement à leurs déclarations sous serment devant l’Assemblée nationale. Robert Matrassou se dit lui aussi prêt à témoigner de son vécu auprès de la représentation nationale.

Mediapart : Devant la commission d’enquête, le gendarme Alain Hontangs a déclaré que le juge Mirande lui avait fait part d’une « intervention » de François Bayrou à l’issue de la garde à vue du père Carricart, le 28 mai 1998, au moment de sa présentation en vue d’une mise en examen. Il a aussi parlé de vous, qui travailliez avec lui depuis près d’une décennie, comme d’un potentiel témoin. Aviez-vous entendu parler de l’intervention évoquée par votre ancien collègue ?

Robert Matrassou : Oui, Hontangs m’a dit sur-le-champ après la présentation [du père Carricart en 1998] : « Bayrou est intervenu, Mirande me l’a dit. »

Le juge Christian Mirande a lui affirmé qu’il ne se souvenait pas de cet épisode, mais qu’en revanche François Bayrou s’était ensuite rendu à son domicile pour échanger sur l’affaire pendant plusieurs heures. Là aussi, en aviez-vous connaissance ?

Oui, quelques jours ou quelques semaines plus tard, le juge Mirande m’a dit que François Bayrou était énervé ou effaré, je ne me souviens plus du terme exact, de tout ce qu’il se passe à Bétharram. Il me l’a présenté comme cela, au cours d’un bavardage dans son cabinet, comme cela nous arrivait de le faire. Je le connaissais bien. Je n’ai pas demandé de précisions, je n’ai pas insisté.

Alain Hontangs et Christian Mirande vous parlaient-ils de la même sollicitation de François Bayrou, ou de deux choses distinctes ?

Ça, je ne sais pas. Quand j’essaie de restituer dans le temps, je ne sais pas et je ne veux pas parler de ce dont je ne suis pas sûr, ni faire d’amalgame entre les deux événements.

Le premier ministre a réagi ce vendredi en affirmant que « les juges et les gendarmes, ça se trompe comme les autres ». Alain Hontangs et Christian Mirande sont-ils des personnes fiables ?

[Rires] Sur une échelle de 1 à 100, je dis 120. Hontangs, il était capable de rabrouer un magistrat ou n’importe qui si cela ne lui plaisait pas, c’est certain. Il n’est pas dans une démarche vindicative, il est outré, il veut que la vérité sorte.

Et quand le juge Christian Mirande vous parle en 1998 de la réaction de François Bayrou, ce n’est pas une invention ?

Ah non, non, non. Mirande, je l’ai côtoyé pendant longtemps. C’était quelqu’un que je connaissais, que j’appréciais. Il est tout à fait crédible, c’est un gars inflexible. C’était le juge Michel de Marseille. Pour l’influencer sur les procédures, il fallait se lever tôt.

Vous n’étiez pas directement sur l’affaire, mais comment avez-vous vécu la libération du père Carricart, quelques jours après sa mise en examen pour des viols ?

C’est une affaire qui m’a interpellé. Elle m’a fortement déçu. La justice m’a fortement déçu. Les juges de la cour d’appel ont pris leur décision [de remise en liberté] avec des réquisitions du procureur général [aujourd’hui décédé – ndlr] qui manifestement était pro-Carricart. C’est sur la base de ses réquisitions que Carricart a été libéré, puis que son contrôle judiciaire a été allégé [l’année suivante, en 1999, pour que le religieux puisse aller à Rome – ndlr]. Ça, c’était grotesque. Parce qu’à ce moment-là, quand ils ont élargi le contrôle judiciaire, le dossier était encore plus béton.

L’enquête a ensuite progressé plus lentement, d’après le juge Mirande...

C’est une catastrophe judiciaire pour moi. Parce qu’une décision judiciaire, elle impacte quand même la croyance des gens. Quand on parle de Carricart qui aurait violé un enfant, puis qu’il est remis en liberté sous contrôle judiciaire après quelques jours de détention, et qu’il est autorisé à résider à Rome, dans un pays étranger… De qui se moque-t-on ?

À partir du moment où on l’a relâché, des victimes potentielles se sont bloquées, j’en suis persuadé. Et l’enquête a fini en queue de poisson [le dossier a été classé avec le suicide du père Carricart à Rome en 2000, à la veille d’une nouvelle mise en examen – ndlr].

Ressentiez-vous directement des pressions sur la section de recherches de la gendarmerie de Pau pendant l’enquête ?

Cela ne nous impactait pas beaucoup. Je pense que l’affaire faisait plus peur aux magistrats. Cela touchait l’école des cadres béarnais, de professions libérales, d’avocats, etc. Beaucoup étaient là-bas. Les pères de Bétharram, ils avaient une renommée extraordinaire sur le plan scolaire, et la discipline. Avec la complicité des parents. Je suis persuadé que des enfants ont parlé à leurs parents des violences sexuelles, mais qu’ils ne les ont pas crus. Cela touchait en plus des religieux, et au-delà même, la religion.

Alain Hontangs, la première pression qu’il a eu, c’est avec l’avocat Serge Legrand. C’était l’ancien bâtonnier, l’avocat des institutions religieuses [par ailleurs membre de l’UDF de François Bayrou – ndlr]. Lors de la garde à vue de Carricart, il a quand même promis à Hontangs qu’il allait entendre parler de lui.

Et au niveau de la gendarmerie, Alain Hontangs nous a affirmé qu’il n’avait pas eu de pression de la hiérarchie.

Je confirme.

David Perrotin et Antton Rouget


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