Un professeur visé par une enquête pour agression sexuelle enseigne au collège privé Notre-Dame-de-Sion

lundi 14 avril 2025.
 

Un enseignant d’histoire-géographie passé par Stanislas avait été suspendu par le rectorat en février 2024 après une plainte pour agression sexuelle. Un an après, il a été réintégré dans les effectifs du collège parisien Notre-Dame-de-Sion alors que l’enquête est toujours en cours.

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C’étaitC’était en pleine affaire Stanislas. Les autorités se voulaient réactives et annonçaient suspendre un enseignant d’histoire-géographie visé par une plainte pour agression sexuelle. « Le rectorat a été informé d’un dépôt de plainte et d’un article 40 à son encontre pour agression sexuelle et avait immédiatement décidé de le suspendre le temps de l’enquête judiciaire », précisait Le Parisien en février 2024. P., le professeur en question, enseignant à mi-temps pour les élèves de cinquième dans les lycées parisiens Stanislas et Notre-Dame-de-Sion, était donc immédiatement écarté. L’École du Louvre, dans laquelle il intervenait pour des étudiant·es, l’avait déjà évincé après avoir également reçu des signalements.

La plaignante, inquiète de son statut d’enseignant, avait alerté toutes les écoles dans lesquelles travaillait le mis en cause de 63 ans avant de déposer plainte et de transmettre un document circonstancié au procureur de la République. L’agression sexuelle qu’elle dénonce aurait eu lieu en dehors d’un établissement en 2021.

Selon nos informations, la plaignante avait recueilli d’autres témoignages mettant en cause le comportement de l’enseignant, et une étudiante de l’École du Louvre avait déjà signalé des faits à la direction de son établissement, en 2019, lorsque P. était son professeur. Interrogé par Marianne en 2024, le lycée Stanislas disait tout ignorer mais reconnaissait avoir déjà dû rappeler à l’ordre ce même enseignant. « Il s’est fait remonter les bretelles à plusieurs reprises, ces dernières années, en raison de propos inappropriés tenus à l’égard d’élèves de l’établissement », révélait un membre de l’équipe enseignante.

Dans un communiqué, le directeur de Stanislas déclarait alors qu’il ne restait désormais qu’à « attendre les suites qui ser[aient] données par le rectorat à cette procédure ».

Réintégré malgré plusieurs signalements

Quatre mois après, le rectorat a finalement levé cette décision disciplinaire. Si le parquet de Paris précise que « l’enquête est toujours en cours », la plaignante n’ayant d’ailleurs pas encore été auditionnée, P. peut de nouveau enseigner. « Décision prise par le rectorat », explique le service communication de Notre-Dame-de-Sion. « Monsieur P. n’est plus suspendu, [cela est] confirmé aux établissements par la division des personnels de l’enseignement privé sous contrat du rectorat. Monsieur P. a donc repris son enseignement », assume l’institution privée sous contrat du VIe arrondissement de Paris.

Alors comment expliquer cette décision malgré cette plainte et ces signalements ? Auprès de Mediapart, le rectorat de Paris a livré plusieurs justifications. Interrogée une première fois, l’administration semblait d’abord reconnaître un dysfonctionnement. « À la suite de nouvelles informations transmises par le parquet, le rectorat de Paris réexamine avec attention la situation du professeur concerné, pour y donner toute suite utile », explique d’abord le rectorat.

Relancé pour connaître la teneur de « ces nouvelles informations », il a finalement changé ses arguments. « Au terme de sa suspension à titre conservatoire, et en l’absence de poursuites pénales vis-à-vis des agissements allégués hors cadre professionnel, ce personnel a été rétabli dans ses fonctions à la rentrée scolaire de septembre 2024, justifie-t-il. Les chefs d’établissement ont bien été informés de la situation et aucun incident n’a été depuis remonté au rectorat. »

Et de promettre : « L’enquête est en cours. Très vigilant quant à son avancement et aux nouveaux éléments qui pourraient lui parvenir, le rectorat prendra toutes les mesures adéquates pour assurer la sécurité et la sérénité des élèves et personnels. »

Questionnée enfin pour savoir si cette décision s’appuyait sur un texte ou une doctrine, l’administration a détaillé une gestion au cas par cas : « Le Rectorat et le Parquet échangent régulièrement et étroitement quant aux situations signalées impliquant nos personnels, précise l’académie de Paris contrainte de reconnaître que rien n’encadre ces situations. Chacun des cas étant examiné de manière individuelle, il ne peut y avoir de textes administratifs d’ordre général. »

La commission d’enquête révèle un grand flou

En pleine affaire Bétharram, la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires révèle justement les graves carences dans les contrôles et le suivi des signalements mettant en cause des professeurs.

Auditionné mercredi 2 avril, le secrétaire général de l’enseignement catholique Philippe Delorme a expliqué n’être pas en mesure de suivre les signalements mettant en cause le personnel. « Aujourd’hui, nous n’avons pas ni les outils ni les informations qui remontent clairement, donc c’est un point d’amélioration, a-t-il expliqué, avant de se défausser sur le rectorat. Je sais que dans le passé, il y a eu des déplacements d’enseignants opérés par l’Éducation nationale avec toujours cette difficulté quand il n’y a pas eu de condamnation. Qu’est-ce qu’on fait ? On sait qu’il y a des faits qui sont répréhensibles, mais la justice n’a pas condamné. Que fait-on ? Là, c’est une vraie question. Et vous savez que le licenciement d’un enseignant n’est pas de notre ressort. »

L’audition des représentants du ministère de l’éducation nationale n’a pas aidé à y voir plus clair. Interrogé sur le cas des enseignants mis en cause, Boris Melmoux-Eude, patron de la direction générale des ressources humaines (DGRH), a expliqué que tout recteur pouvait « prendre des mesures conservatoires » et décider d’une suspension. « Elle ne peut pas excéder quatre mois, sauf dans l’hypothèse où une procédure pénale est engagée », a-t-il précisé tout en rappelant que l’administration pouvait décider d’une sanction en toute indépendance lorsque la justice est saisie.

Pour les enseignants du privé sous contrat qui sont également des agents du ministère, nous avons un processus un petit peu moins élaboré.

La directrice des affaires financières de l’éducation nationale Interrogé par la présidente de la commission d’enquête, Fatiha Keloua Hachi, le chef du service de défense et de sécurité du ministère de l’éducation, Christophe Peyrel, a ensuite été incapable de répondre sur le suivi des signalements dans le public. « L’organisation du ministère ne permet pas aujourd’hui d’assurer un tel suivi, ni l’organisation, ni d’ailleurs la façon dont fonctionne la seule application dont on dispose, l’application “faits établissements”. »

Le directeur général des ressources humaines a ensuite listé le nombre de sanctions prises contre le personnel du public et a été contraint d’admettre qu’il n’avait aucun regard ni aucune donnée pour les établissements privés : « La direction générale des ressources humaines n’étant compétente que sur les personnels de l’enseignement public. »

« Pour les enseignants du privé sous contrat qui sont également des agents du ministère, nous avons un processus un petit peu moins élaboré que celui de la DGRH et nous procédons par enquête. Donc une enquête est en cours auprès des académies pour recenser les procédures disciplinaires contre les agents des établissements privés sous contrat et on leur a demandé également le nombre d’articles 40 qui avait été enclenché, a précisé la directrice des affaires financières Marine Camiade. La spécificité pour l’enseignement du privé, c’est que l’ensemble de la procédure disciplinaire est calée exactement sur les mêmes règles que celles du public en termes de consignes, (l’instruction de 2016 à la suite de l’affaire Villefontaine avec des sanctions dures en cas de violences contre des enfants). En revanche la gestion des cas est entièrement déconcentrée… »

Lors de cette audition, les responsables de l’Éducation nationale ont également reconnu n’avoir mis en place aucun suivi central des signalements et des suivis de ces signalements lorsqu’un agent est mis en cause. Ils ont aussi expliqué que la communication entre le ministère de l’éducation et le ministère de la justice, lorsqu’il y avait par exemple des enseignants condamnés, n’était pas automatique. « Ce que je me dois également de vous dire, c’est que cette fluidité entre les parquets et l’institution, que ce soit au niveau national ou académique, n’est pas systématique, et il y a des cas où c’est plus fluide que dans d’autres », a conclu le patron de la DGRH.

Mathilde Goanec et David Perrotin


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