Le « jour de la libération » augure d’une recomposition de l’économie mondiale

mardi 15 avril 2025.
 

Les mesures douanières annoncées mercredi 2 avril par Donald Trump imposent une réorganisation internationale dont les États-Unis, qui ont maltraité leurs alliés, ne sont pas certains de sortir gagnants. L’Union européenne, comme la Chine, doit repenser sa place dans le commerce mondial

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En 1974, l’économiste Arthur Laffer avait déclenché la grande contre-révolution néolibérale en traçant sur une nappe de restaurant une fameuse « courbe » censée montrer qu’il existait un taux d’imposition au-delà duquel les recettes fiscales baissaient. C’est en s’appuyant sur ce schéma hâtif et approximatif que les politiques fiscales des années 1980 à 2010 ont été construites. Le monde s’est réorganisé autour de mathématiques d’arrière-cuisine.

C’est le même type de calcul à la louche qui semble avoir présidé à l’établissement des droits de douane annoncés par la Maison-Blanche mercredi 2 avril. Les taux semblent plus absurdes les uns que les autres : certains pays hostiles aux États-Unis sont mieux traités que les plus fidèles alliés. L’Iran et l’Afghanistan ne subiront ainsi que le minimum (10 % de droits de douane), alors qu’Israël, un allié militaire de Washington, voit ses exportations frappées à hauteur de 17 %.

De même, des pays très pauvres, ne représentant qu’une part infime du déficit commercial des États-Unis, comme Madagascar, sont rudement frappés. Les produits malgaches seront taxés à 47 %, alors que le déficit commercial en biens vis-à-vis de la grande île était en 2024 de 680 millions de dollars, soit 0,06 % du déficit commercial états-uniens en biens (1 200 milliards de dollars l’an dernier). Le PIB par habitant de Madagascar, en parité de pouvoir d’achat, représente 2,2 % de celui des États-Unis.

C’est que, pour prendre en compte les « barrières non douanières », la Maison-Blanche s’est livrée à des calculs de coin de table qui reviennent à frapper plus durement les pays en excédent vis-à-vis des États-Unis, quels que soient leur taille et leur niveau de développement. Ce qui semble avoir été fait est simpliste au possible : vous divisez le montant du déficit bilatéral avec un pays par celui de ses exportations vers les États-Unis. Vous divisez par deux le chiffre obtenu, et vous obtenez les droits de douane « réciproques »…

Tout cela n’a pas vraiment de sens, sauf celui de confirmer la logique mercantiliste de Donald Trump, qui ne connaît donc pas d’exception mais se résume à ce vieil adage de la préhistoire capitaliste : le déficit est mauvais et l’excédent est bon.

Une logique illogique

Dans cette logique, il n’existe plus d’alliés ni d’ennemis politiques, il n’existe que des « profiteurs ». Ainsi, une semaine après la visite du secrétaire d’État, Marco Rubio, à Georgetown, la capitale du Guyana, pour assurer ce petit pays du soutien inconditionnel des États-Unis face à la menace vénézuélienne d’invasion, Donald Trump a imposé des droits de 38 % sur les produits du Guyana, contre 15 % pour les produits vénézuéliens.

Au reste, même les pays qui accusent des déficits commerciaux avec les États-Unis, comme le Brésil, le Royaume-Uni, Singapour et l’Australie devront subir un droit de douane minimal de 10 %, parce qu’il n’existe pas de mauvaise occasion d’augmenter l’excédent. Les pays étrangers sont, par nature, hostiles, dans cette logique.

Le montant des droits de douane par pays

Tous les pays du monde, sauf le Mexique, le Canada et la Russie, soumis à des régimes particuliers, voient leurs produits frappés de droits de douane de 10 %. Certains secteurs, comme les semi-conducteurs, le cuivre, les produits pharmaceutiques, auront des droits de douane spécifiques, et l’énergie est dispensée de barrières douanières. Soixante pays sont, de plus, frappés par des droits de douane « réciproques » propres à chacun d’entre eux. Les voici par région et par ordre décroissant.

En Afrique, le Lesotho est frappé à 50 %, Madagascar à 47 %, l’île Maurice à 40 %, le Botswana à 38 %, l’Angola à 32 %, la Libye et l’Afrique du Sud à 31 %, l’Algérie à 30 %, la Tunisie à 28 %, la Côte d’Ivoire et la Namibie à 21 %, le Malawi et le Zimbabwe à 18 %, la Zambie à 17 %, le Mozambique à 16 %, le Nigeria à 14 %, le Tchad et la Guinée équatoriale à 13 %, le Cameroun à 12 % et la République démocratique du Congo à 11 %.

En Amérique centrale et du Sud, les îles Malouines sont frappées à 42 %, le Guyana à 38 %, le Nicaragua à 19 % et le Venezuela à 15 %.

En Océanie, les Fidji sont frappées à 32 %, Nauru à 30 %, le Vanuatu à 23 %.

Au Moyen-Orient, la Syrie est frappée à 41 %, l’Iraq à 39 %, la Jordanie à 20 %, Israël à 17 %.

En Asie du Sud, la Birmanie est frappée à 45 %, le Sri Lanka à 44 %, le Bangladesh à 37 %, le Pakistan à 30 %, l’Inde à 27 %.

En Asie du Sud-Est, le Cambodge est frappé à 49 %, le Laos à 48 %, le Vietnam à 46 %, la Thaïlande à 37 %, l’Indonésie à 32 %, la Malaisie et Brunei à 24 % et les Philippines à 17 %.

En Asie de l’Est, la Chine est frappée à 54 % (c’était 20 % jusque-là), Taïwan à 32 %, la Corée du Sud à 26 % et le Japon à 24 %.

En Asie centrale, le Kazakhstan est frappé à 27 %.

En Europe, la Serbie subira un taux de 38 %, le Liechtenstein de 37 %, la Bosnie-Herzégovine de 36 %, la Macédoine du Nord de 33 %, la Suisse de 32 %, la Moldavie de 31 %, l’Union européenne de 20 % et la Norvège de 16 %.

Une telle politique va nécessairement conduire à des réorganisations économiques et politiques. Les États-Unis étaient encore en 2023 le premier pays importateur du monde, avec 13,3 % des importations. Les pays et les zones les plus touchées devront trouver des moyens de compenser l’effet négatif éventuel des droits de douane sur leurs exportations.

Cette recomposition sera complexe et dépendra de plusieurs critères. Contrairement à ce que peut laisser croire le discours de panique autour de ces mesures, les États-Unis ne vont pas cesser d’importer des biens du reste du monde. Tout dépend de la situation concurrentielle intérieure et extérieure et de la situation des entreprises dans les pays concernés.

Quels impacts sur les importations ?

Prenons quelques exemples. Dans l’automobile, on peut penser que les constructeurs états-uniens seront favorisés au regard de leurs concurrents européens (taxés à 25 %) et chinois (frappés à 34 %). Mais ces constructeurs devront aussi importer des pièces au prix fort, puisque les chaînes logistiques sont très étirées et atomisées. La Chambre de commerce des États-Unis estime que 56 % des importations du pays concernent des matières premières, des composants et des biens d’équipement. Sans compter que, parfois, une même pièce retravaillée à l’étranger peut franchir plusieurs fois les frontières et être autant de fois soumise à des droits de douane.

Autrement dit, pour produire, il faut importer. Et parfois, le choix des fournisseurs est limité, ce que les mathématiques élémentaires de la Maison-Blanche n’ont pas pris en compte.

Le prix des voitures construites aux États-Unis augmentera aussi. Et mécaniquement, l’écart se réduira, d’autant plus que la protection dont bénéficient les constructeurs locaux les incitera à augmenter leurs prix pour assurer leurs marges.

Même avec des droits de douane, il ne sera ni rentable ni possible de tout produire sur le sol états-unien.

Au bout de quelque temps, la différence de prix entre les produits locaux et ceux importés sera donc plus réduite que ce que les différences de taxes douanières peuvent laisser penser. D’autant que les niveaux de compétitivité-prix de départ sont différents. Les constructeurs chinois disposent d’une marge importante au regard de leurs coûts de production pour intégrer ces taxes dans leurs prix de vente.

Les chaînes de production seront sans doute révisées, mais une grande partie des produits vendus aux États-Unis n’y sont pas produits et, même avec des droits de douane, il ne sera ni rentable ni possible de tout produire sur le sol états-unien. Les différences de droits de douane joueront sans doute un rôle dans la réorganisation de la chaîne logistique, ainsi que dans le domaine des produits bas de gamme, qui ne sont aujourd’hui presque plus produits aux États-Unis.

Il est douteux de penser que le tee-shirt « made in USA » prendra le relais de celui produit à l’étranger. En revanche, il est possible que le pays se fournisse dans les zones frappées de droits de douane plus cléments. Ainsi, une partie de la production cambodgienne, frappée à 47 %, pourrait se déplacer, par exemple, vers la Tunisie (28 %). Mais tout cela est incertain, car, selon la logique de Donald Trump, si le textile tunisien se développe trop, les droits de douane remonteront inévitablement. C’est un des faits de cette recomposition : les États-Unis ne sont pas un partenaire fiable. Leur but est d’être les seuls gagnants dans cette affaire.

Obtenir des concessions ?

C’est dans ce cadre complexe que va se dessiner la recomposition du commerce mondial. Chaque pays n’aura pas forcément le choix de sa réponse. Pour certains, économiquement faibles, politiquement acquis à Washington ou très dépendants des États-Unis, la première étape consiste à négocier avec Donald Trump une baisse des droits de douane, pour sauvegarder leur croissance et finir du côté des vainqueurs relatifs de cette recomposition. Cette négociation implique cependant des concessions politiques et économiques importantes, et des risques qui ne le sont pas moins.

Un des pays qui suit cette politique, c’est l’Argentine. Quoique frappé par le taux minimum de 10 %, le pays dirigé par le libertarien Javier Milei a besoin de l’appui de Washington pour obtenir des fonds du Fonds monétaire international (FMI) et de la finance états-unienne en vue de stabiliser sa monnaie. Javier Milei est, par ailleurs, proche de Donald Trump. Le ministre argentin des affaires étrangères, Gerardo Wertheim, est actuellement à Washington et, selon la presse argentine, insiste sur l’alignement de son pays sur les positions états-uniennes à l’ONU et dans le cadre latino-américain.

Autre pays sur cette ligne, l’Inde, championne mondiale de la croissance, qui négocie actuellement un traité de libre-échange bilatéral avec les États-Unis. New Delhi exerce des droits de douane parmi les plus élevés des grandes économies mondiales. Le gouvernement de Narendra Modī, qui ne cache pas non plus une forme de proximité idéologique avec Donald Trump, espère ouvertement pouvoir abaisser le taux de 27 % annoncé hier, moyennant une ouverture de ses marchés aux investisseurs états-uniens.

Un désert visé par les droits de douane

Les îles Heard-et-MacDonald n’ont pas vu la présence d’un être humain depuis une dizaine d’années. Officiellement placé sous la souveraineté australienne, ce territoire volcanique peuplé de pingouins, à 500 kilomètres des îles Kerguelen et 3 800 des côtes australiennes, n’a cependant pas échappé au « jour de la libération » de Donald Trump. Les exportations de ces îles vers les États-Unis seront frappées de 10 % de droits de douane. Comme l’a résumé le premier ministre australien, Anthony Albanese, « aucun lieu sur Terre n’est à l’abri ».

Dans le même type de bizarrerie, les îles Norfolk, un autre territoire australien situé à 1 600 kilomètres à l’est de Sidney, ont été soumises à un droit de douane de 27 % et La Réunion, département français, à 37 %. En 2024, les Norfolk ont exporté pour 655 000 dollars de biens vers les États-Unis. Une deuxième version des droits de douane a supprimé ces deux taxes frappant des territoires non souverains. En revanche, les îles Malouines, territoire de la couronne britannique, restent soumises à un droit de douane de 42 %, contre 10 % pour le Royaume-Uni.

Mais pour le gouvernement Modī, l’affaire ne sera pas aisée. Le capital indien est très attaché à ses protections, notamment dans le domaine financier. Il devra donc faire un choix entre celles-ci et un accès à coût réduit au marché états-unien, son premier client et le destinataire de 20 % de ses exportations. Mais il y aura aussi un coût politique pour l’Inde, qui devra rejoindre le camp hostile à la Chine, alors que les relations entre les deux pays s’étaient améliorées.

Les États-Unis pourraient donc exiger des accès facilités aux marchés intérieurs des pays concernés, et des concessions politiques. Reste à savoir si ces conditions sont acceptables pour des pays très pauvres dont on sait que le protectionnisme est une condition de leur développement, ou pour des pays qui dépendent économiquement de rivaux des États-Unis, notamment de la Chine.

Les pays de l’Asie du Sud-Est ont souvent choisi une politique d’équilibre entre la Chine et les États-Unis qui ne sera plus tenable.

La question se posera notamment pour les pays d’Asie du Sud-Est, très fortement frappés par les droits de douane « réciproques ». Seul Singapour, hub financier choyé par Wall Street, échappe à des taux réciproques. Les autres pays de la région sont mis sous pression, surtout ceux qui, comme le Vietnam, avaient misé sur le « friendshoring », c’est-à-dire sur le transfert d’industries depuis la Chine vers des pays politiquement plus proches des États-Unis.

Ces pays dépendent économiquement très fortement de la Chine, notamment pour leurs importations. 33 % des importations vietnamiennes et 29 % des importations indonésiennes viennent de Chine. Ces pays peuvent-ils accepter de basculer vers des importations états-uniennes plus chères et moins disponibles ? Peuvent-ils, alors qu’ils sont encore en phase de développement, ouvrir leurs marchés aux groupes d’outre-Pacifique et, pour cela, chasser les groupes chinois déjà sur place ? Dans ce cas, une bonne partie de leur activité serait menacée.

Par ailleurs, politiquement, ces pays ont souvent choisi une politique d’équilibre entre la Chine et les États-Unis qui ne sera plus tenable sous la pression de Washington. Dans sa tournée régionale récente, le secrétaire à la défense, Pete Hegseth, a appelé à accentuer la « dissuasion » face à Pékin en renforçant les capacités militaires en Philippines et au Japon, notamment. Le coût d’une baisse des droits de douane états-uniens pourrait donc être élevé pour ces pays qui pourraient, au contraire, avoir intérêt à renforcer leurs liens avec Pékin.

La Chine au centre de la recomposition

Cela nous conduit à l’élément central de cette recomposition : la Chine. Touché durement par la politique de Donald Trump, avec 54 % de droits de douane, ce pays était déjà en voie d’autonomisation vis-à-vis du marché états-unien. La guerre commerciale contre la Chine n’a pas commencé le 2 avril, mais en 2018, lors du premier mandat de Donald Trump, et s’est poursuivie sous Joe Biden. La part des États-Unis dans les exportations chinoises est passée de 18 % en 2017 à 12,8 % en 2023.

Bien sûr, le coup est encore plus fort cette fois. Mais la question n’est pas tant celle des « représailles », qui ne conduiraient guère à changer la politique de Washington, que celle d’une réorganisation de l’économie chinoise pour contrer le choc. Bien sûr, le coup peut être rude pour certains secteurs, mais la politique trumpiste peut aussi être une opportunité pour Pékin, qui a entamé un changement structurel de son économie vers la consommation des ménages.

Les autorités chinoises avaient anticipé depuis des mois ce scénario du pire. Les mesures prises pour soutenir la croissance étaient restées modérées jusqu’ici, mais l’opinion avait été préparée à une réponse forte sur la demande des ménages, à venir au cours du mois de mars. La décision de Donald Trump doit inévitablement conduire à des mesures de soutien fortes du marché intérieur dans les semaines à venir, avec l’idée de compenser le choc sur les exportations.

Il ne sera pas difficile pour Xi Jinping d’insister sur le manque de fiabilité du partenariat avec Washington.

Même si cette évolution est problématique à plus d’un égard, elle donne à la position chinoise un atout. Pékin pourra se présenter comme doté d’un marché intérieur offrant des opportunités uniques pour les investisseurs étrangers, avec un coût d’entrée réduit. La Chine sera alors le marché idéal pour compenser les pertes des pays d’Asie du Sud-Est aux États-Unis. En contrepartie, ces pays pourraient bénéficier d’investissements chinois dans l’industrie bas de gamme pour renforcer la rentabilité de ce secteur.

Une telle proposition devra, bien sûr, s’accompagner de concessions politiques, notamment sur la question de Taïwan. Mais il ne sera pas difficile pour Xi Jinping d’insister sur le manque de fiabilité du partenariat avec Washington. L’échec de la stratégie de « friendshoring » ne peut que renforcer la position de Pékin.

Le Vietnam, notamment, peut être déçu. Le 31 mars, il avait annoncé une baisse de ses droits de douane sur le gaz liquéfié, les automobiles et les produits agricoles pour obtenir la bienveillance de Donald Trump. Le chef du Parti communiste vietnamien Tô Lâm avait, lors d’une rencontre avec l’ambassadeur des États-Unis, le même jour, invité le gouvernement à augmenter ses achats de produits états-uniens. En vain.

Les semaines qui viennent vont voir une série de négociations entre ces pays, la Chine et les États-Unis. Dès ce week-end, le vice-premier ministre vietnamien, Ho Duc Phoc, se rendra à New York. Le Vietnam n’est guère proche politiquement de la Chine, ce en quoi il est représentatif de beaucoup de pays de la région. Il est sans doute prêt à aller assez loin pour obtenir des concessions états-uniennes. Mais si Washington s’entête à maltraiter de tels pays, leur seule chance sera de se tourner vers Pékin.

La Chine, la Corée du Sud et le Japon ont tenu des discussions économiques trilatérales pour la première fois depuis six ans.

La Chine le sait. Selon le quotidien de Hong Kong South China Morning Post, Xi Jinping va entamer à la mi-avril un tour de l’Asie du Sud-Est passant par Hanoï, Kuala Lumpur et Phnom Penh. Lorsque le président chinois se déplace en personne, c’est que l’affaire est une priorité nationale. Nul doute qu’il s’agira de renforcer les liens économiques avec ces pays qui seront sous le choc de l’annonce de Donald Trump, mais aussi d’en jauger les coûts politiques.

Les calculs basiques de la Maison-Blanche mettent ainsi en danger son « premier rideau défensif » du Pacifique, celui qui va de l’Indonésie au Japon, alors que l’influence de la Chine progresse dans le Pacifique. Car même les pays les plus développés d’Asie, dont les liens économiques avec la Chine sont déjà étroits, pourraient être tentés de se rapprocher de Pékin. Le 30 mars, la Chine, la Corée du Sud et le Japon ont tenu des discussions économiques trilatérales pour la première fois depuis six ans. Et les trois pays ont convenu de la nécessité de renforcer leurs liens économiques.

Si la Chine parvient à rééquilibrer son économie, elle pourrait apparaître comme une alternative à la fermeture du marché états-unien pour toute l’Asie, c’est-à-dire pour la zone la plus dynamique du capitalisme contemporain. Mais elle pourrait aussi apparaître comme le seul vecteur de développement pour les pays les plus fragiles économiquement. Le rude coup donné à des pays comme le Sri Lanka (44 % de droits de douane), Madagascar ou l’Afrique du Sud (31 %), mais aussi à de nombreux pays africains comme le Nigeria, la République démocratique du Congo, le Tchad, la Namibie, le Malawi, ne peut que les inciter à privilégier un développement tiré par la Chine. Surtout après le premier coup qu’a représenté la fin du financement d’USAID, l’agence de développement des États-Unis.

L’UE face à l’avenir de son modèle économique

Reste la question européenne. L’Union européenne (UE) fait l’objet d’un droit de douane de 20 % de la part de l’administration Trump. Elle est la première puissance commerciale du monde, mais sa croissance est faible et son unité plus formelle que réelle. Certains pays, comme l’Irlande, l’Allemagne et l’Italie, sont très dépendants des exportations vers les États-Unis, qui représentent près de la moitié du total pour la première et près du quart pour les deux autres. D’autres pays, comme la France, sont moins exposés avec des exportations vers les États-Unis qui ne représentent que 13 % du total.

Mais à ces différences s’ajoutent des différences politiques. L’Italie de Giorgia Meloni cherche à s’attirer les bonnes grâces de Donald Trump et est favorable à la négociation. L’Allemagne tient une ligne dure de représailles, estimant que Washington souffrirait d’une fermeture des marchés européens, ce qui l’amènerait à réviser sa position.

Bruxelles, en charge de la politique commerciale des Vingt-Sept, doit naviguer entre ces injonctions contradictoires. Depuis l’Ouzbékistan, le 3 avril, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est dite prête à négocier, tout en affirmant préparer deux « paquets de contre-mesures ». Reste à connaître leur ampleur et leur validation par les États membres.

L’UE est une des principales cibles de la politique de Donald Trump avec la Chine. Ces droits de douane visent à la faire imploser sous la double pression des pays et des forces politiques pro-Trump. D’ailleurs, le Royaume-Uni, seulement soumis à des droits de douane de 10 %, semble avoir été « récompensé » du Brexit. Ce type de pari est cependant incertain. Au Canada, il a renforcé le sentiment national et le rejet de toute concession vis-à-vis des États-Unis. Au point que le Parti conservateur, jugé trop proche de Donald Trump, a perdu son avance dans les enquêtes d’opinion avant les élections fédérales.

Reste que l’UE doit désormais se poser la question de sa place dans le commerce mondial et ses recompositions à venir. La fermeture du marché états-unien place un défi sur le modèle économique européen, qui reste largement structuré autour de la compétitivité externe et des exportations.

Veut-elle rester une puissance exportatrice ? Il lui faudra déterminer ce qu’elle veut vendre au monde et grâce à quels atouts. Veut-elle favoriser la demande intérieure ? Il lui faudra s’interroger sur le financement de ce choix. Comme dans le cas chinois, aucune réponse n’est parfaitement satisfaisante. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Car la guerre commerciale trumpiste n’est pas la cause de la crise du capitalisme, mais un de ses symptômes. Le désordre mondial est aussi le reflet de l’épuisement des sources de croissance.


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