Florence au 14ème siècle : république bourgeoise et révolte des ciompi

lundi 31 juillet 2023.
 

L’Italie a connu du 11ème au 19ème siècle, un développement de ses institutions politiques suivant, en gros, le rythme d’extension du marché : seigneurie autarcique, ville industrieuse et commerçante, Etat territorial autour d’une grande métropole (Venise, Gênes, Milan...), Etat national.

L’histoire de chaque ville importante présente un grand intérêt pour le rapport entre classes sociales et institutions politiques mais aussi pour des expériences démocratiques et culturelles riches qui ont pu s’y épanouir.

1) Florence, naissance d’une république bourgeoise

Jusqu’à la fin du 12ème siècle, Florence n’est qu’un bourg de Toscane intérieure, riverain de l’Arno.

Le 25 juin 1183, la paix de Constance entérine la victoire des Communes italiennes sur la féodalité du Saint Empire romain germanique. A partir de cette date, les villes s’émancipent de plus en plus en plus de la féodalité et connaissent un magnifique épanouissement. Tel est le cas aussi de Florence.

En 1252, la corporation des changeurs et banquiers de Florence crée le florin, monnaie qui va unifier le marché toscan et se répandre dans toute l’Europe.

2) Les institutions politiques de Florence au début du 14ème siècle

Comme pour les autres Communes italiennes, elles jouissent d’une autonomie totale et comprennent alors :

- une large assemblée délibérative composée du popolo (industriels, marchands, gros propriétaires, artisans aisés...) qui élit le podestat pour six mois à un an. Il s’agit d’un homme exerçant les pouvoirs exécutifs, administratifs, judiciaires et de police ; après la création, en 1282, de la seigneurie (voir ci-dessous), il conserve surtout une fonction de justice (partagée avec le gonfalonier de justice) et de maintien de l’ordre.

- la seigneurie formée d’un conseil de prieurs appartenant aux corporations de marchands (laine, draps, changeurs, juges et notaires...)

- comme dans la Rome antique, les milieux populaires (arts mineurs et menu peuple) obtiennent une part de pouvoir avec le "capitaine du peuple" qui contrôle le podestat et assure un contrepoids face aux dynasties nobles, s’appuyant en particulier sur le Conseil des Anciens et sur les gonfalons (capitaines des compagnies formées dans les quartiers).

Les luttes politiques sont intenses pour diriger ces institutions, entre guelfes et gibelins puis entre guelfes noirs (partisans du pape) et guelfes blancs (contre toute ingérence politique du souverain pontife).

3) La complémentarité ville campagne

Vers 1300, la cité compte déjà 100000 habitants ce qui en fait une des plus grandes villes d’Europe occidentale.

A cette époque où les aliments se conservent difficilement, le milieu rural environnant se transforme rapidement, passant de l’agriculture autarcique habituelle de la féodalité à des productions destinées à la vente en ville (blé, huile, légumes, salaisons... mais aussi bois, tuiles, briques...). Charles-Marie de la Roncière, excellent historien de Florence, emploie le terme d’agroville pour conceptualiser cette complémentarité économique des milieux urbains et ruraux.

Ce va-et-vient économique oblige la république de Florence à supprimer les péages créés par des seigneurs environnants, à maîtriser militairement les voies de communication (tant routières que fluviales). Tout un peuple de muletiers, voituriers et autres transporteurs assure le support matériel des échanges de marchandises.

En ce 14ème siècle, Florence représente un grand marché intégré couvrant un territoire important (le contado, équivalent à deux diocèses) unifié par les besoins économiques de la ville, par le pouvoir politique et militaire, par la même monnaie.

4) L’art d’une société en pleine expansion

Comme auparavant la Grèce antique, comme plus tard le siècle d’or hollandais, Florence de la Renaissance (du 14ème au 16ème pour cette Cité) représente au un sommet de l’art dans l’histoire humaine. Le lien est évident entre réussite d’une société et qualité de ses pratiques artistiques.

En littérature, l’écrivain le plus connu se nomme Dante (auteur du chef d’oeuvre, la Divine comédie), prieur en 1300, membre du conseil des cent en 1301, guelfe blanc très engagé. Dans son De vulgari eloquentia, il analyse les dialectes italiens et se prononce pour une langue unitaire de la péninsule. Dans De Monarchia, il justifie la séparation de l’Eglise (domaine spirituel) et de l’Etat (domaines temporels) ; caractérisé comme hérétique par la papauté, cet ouvrage restera mis à l’index jusqu’en 1881.

Dans sa “Laudatio Florentinae Urbis” (1401-1404), Leonardo Bruni vante l’héritage de la "polis" grecque dans la Florence du quattrocento, en particulier en ce qui concerne le rôle des citoyens dans l’Etat. Nous pouvons le définir comme un écrivain humaniste républicain, grande nouveauté utile dans l’Europe de ce temps.

La sculpture représente l’art majeur de Florence, décorant magnifiquement les palais luxueux des marchands ainsi que les églises. Cette pratique donne naissance à des statues magnifiques.

Les riches marchands commandent aussi des peintures à de grands maîtres comme Filippo Lippi, Verrocchio, Pollaiuolo ou Paolo Uccello.

Nous connaissons l’importance de l’éducation ainsi que du lien entre arts et sciences dans cette cité florentine : étude de textes latins ainsi qu’en langue vulgaire (toscan), mathématiques commerciales, géométrie, techniques de mesure...

5) La révolte des Ciompi : 9 juillet 1378

La richesse du popolo grasso ainsi que des palais et églises du quatrocento florentin est permise par une exploitation sans vergogne des travailleurs (ouvriers et petits artisans à la tâche). A partir des années 1340, la cité du lys rouge connaît un malaise social et politique permanent, dû essentiellement à des problèmes de salaire, d’impôts et de représentation politique des arts mineurs (autres professions que les sept arts majeurs), des maîtres artisans et des ouvriers (ciompi).

En 1378, l’Europe occidentale entre dans la première période révolutionnaire de son histoire :

Moyen Age : De 1378 à 1385, une période de luttes, révoltes et soulèvements

En 1378, les travailleurs (ciompi, sottoposti) sont soumis à un maximum des salaires alors que les prix montent (guerre contre la papauté). Mal payés, ils sont également précarisés par leur statut (ils ne disposent pas du droit d’association contrairement aux marchands des corporations ; ne pouvant se défendre, ils sont à la merci des financiers auprès desquels ils se sont souvent endettés pour survivre).

Quatre évènements supplémentaires provoquent le déclenchement du tumulte (émeute violente) au début de l’été 1378 :

- ayant connaissance du climat contestataire dans le peuple, le pouvoir chasse du territoire de suspectés meneurs

- le chômage commence à apparaître

- les consuls de l’art de la laine quadruplent la taxe d’immatriculation, bloquant ainsi les possibilités d’ascension sociale dans la branche professionnelle employant le plus grand nombre de personnes.

- la guerre contre le pape a généré une crise politique affaiblissant la domination du popolo grasso.

La mobilisation populaire commence le 18 juin 1378. Après une représentation théâtrale, le gonfalonier de justice dénonce la tyrannie économico-politique des riches et de la seigneurie.

Quatre jours plus tard, la combativité populaire se mue en insurrection violente et massive. Plusieurs palais sont incendiés puis des couvents sont attaqués. Débordée, la seigneurie ne peut que faire des concessions temporaires (réexamen des proscriptions, sanctions à l’encontre de certains notables...).

Le 8 juillet, le mouvement repart à la suite d’une pétition demandant :

- l’égalité civique entre petits artisans, petits marchands et gros négociants.

- l’égalité entre les 21 branches professionnelles (et non le monopole politique des hommes d’affaire des sept "arts majeurs" (textile, banque...).

- la reconnaissance des ciompi (ouvriers) comme une branche professionnelle afin qu’ils puissent se défendre collectivement et avoir accès aux fonctions communales.

- que les rentiers soient exclus des fonctions de la cité

Le 9 juillet, tous les quartiers populaires se soulèvent sur ces revendications. Un insurgé, nommé Simoncino, est arrêté et torturé.

Le 20 juillet marque l’apogée du soulèvement. Une foule considérable entoure la seigneurie qui fait appel aux troupes des quartiers riches et de la campagne. Dans la nuit puis le lendemain, de nouveaux palais flambent. Les bâtiments du patronat de la laine, de l’administration judiciaire et du fisc sont les principales cibles durant la journée du 21.

Le 22 juillet, l’alliance des ouvriers et de la petite bourgeoisie présente ces revendications aux prieurs :

- création d’un art (métier) du populo minuto, déjà avancé le 8 juillet pour tous les Florentins jusque-là exclus de l’organisation en arts (branches professionnelles)

- suspension des peines de prison pour dettes

- réhabilitation des proscrits et amnistie pour tous les troubles...

Les prieurs apeurés réussissent à quitter le palais-vieux sans se faire remarquer.

Les émeutiers se trouvent alors maîtres de la ville :

- Ils élisent un cardeur de laine comme nouveau gonfalonier de justice, Michele di Lando.

- Ils constituent une nouvelle Balia comprenant les représentants des 21 arts plus trois pour le popolo minuto (le 24ème pour les ciompi).

- Ils adoubent soixante "chevaliers du peuple".

En réalité, le milieu populaire victorieux a surtout choisi des personnes appartenant aux milieux aisés, de type moyenne bourgeoisie. Celle-ci cherche surtout à relancer rapidement l’économie de la ville (particulièrement les ateliers de production).

Une fois le travail généralement repris, la nouvelle Balia crée un suffrage censitaire, y compris pour les 22ème, 23ème et 24ème arts.

Face à cette trahison, face à la répression, les milieux les plus radicaux, les plus pauvres, les plus égalitaires évoluent vers un millénarisme chrétien, déjà présent mais qui devient l’expression politique du mouvement social, en particulier des cardeurs de laine. Ainsi, ils placent à leur direction les "Huit Saints du Peuple de Dieu".

Le 31 août, le milieu populaire toujours derrière son étendard Michele di Lando, se lance dans une nouvelle journée de mobilisation afin de rappeler ses revendications et obtenir satisfaction. Mais les forces de répression sont prêtes et se lance vite dans une chasse à l’homme qui anéantit la contestation.

Une fois le rapport de forces inversé, le 24ème art puis le 23ème enfin le 22ème sont supprimés, Michele di Lando proscrit... Pire, la peur de l’oligarchie marchande durant ce mouvement va la pousser à préférer des formes césariennes de pouvoir à toute amélioration démocratique des institutions.

Jacques Serieys


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