Quand on était petits, y a longtemps, l’été, c’était synonyme de vélo, de casquettes, de casse-croûte dans l’herbe, de la radio qu’on écoutait religieusement pour savoir QUI allait gagner l’étape. Même en colo, on nous emmenait les voir, les coureurs, c’est dire. Comme on n’est pas complètement neuneu quand même, on se doute bien que déjà en ce temps-là, devaient pas le grimper à l’eau plate, ce foutu Galibier, mais n’empêche, ça avait de l’allure. Dans ma famille, on était plutôt Anquetil que Poulidor. Va comprendre pourquoi, ce gars-là, avec sa figure d’aristo, il nous bluffait tous, les grands et les petites. Mais bon, c’était un normand, alors…
Mon papa, il aimait bien Robic, aussi. Il disait Biquet. Ça me faisait rire. Surtout quand tu voyais la tête du biquet ! Un petit bonhomme, sec comme un coup de trique, breton comme on ne l’est plus, il avait gagné en 47, l’année de la reprise. Ça posait son grimpeur, un exploit comme ça ! Mon papa, il lui était éternellement reconnaissant d’avoir montré au monde que, oui, décidément, c’était bien la France qui avait gagné la guerre ! On l’a revu un jour, à Lannion, je crois bien, dans un de ces critériums d’après Tour, en plein mois d’août 78. Il avait bien changé, le biquet. Sans commentaires. Le vélo, ce n’est pas le foot. Dans ces années-là, bien avant la télé, si tu ne gagnais pas le Tour, tu n’étais rien. À peine un nom sur une feuille d’émargement, alors, la gloire, tu parles ! Et donc, tu ne gagnais pas le Tour, mais tu ne gagnais pas ta vie non plus… Alors, ça valsait de tous les côtés les fins de carrière… En pas du tout romantique. Et le biquet, il n’avait pas échappé à la règle. Après ça, des bretons, il y en a eu d’autres, dont Bobet, et aussi Hinault, des seigneurs. Mais dans mon cœur de moitié-de-ce-coin-là, il y a toujours un biquet rigolard qui prend la place.
Tous (ou presque) les grands auteurs ont écrit sur le Tour. Faut être un peu rabat-joie pour ne pas aimer ce spectacle. Plein de gars tout en couleurs, de la musique, une caravane de folie, les jeunes, maintenant, ils diraient que du bonheur ! Il y a eu des cadors qui ont commenté les étapes. Tiens, ces jours-ci, si je me souviens bien, ça devrait être le président himself qui s’y colle ! On va voir ce que ça donnera, pour ma part, je ne le vois pas plus en journaliste sportif que je ne l’imaginais en président de la république… mais je ne suis pas bon juge ! Parmi les grands anciens, Blondin, évidemment, mais aussi et surtout Albert Londres. Et puis, Éric Fotorino, du Monde, qui s’était coltiné toutes les étapes deux ou trois jours avant les vraies. On lisait ça avec passion, chaque jour, c’était épique. Il y a aussi Christian Laborde, c’est un type du Sud-Ouest, avec l’accent qui correspond, façon j’aime la vie. Il a sorti un « Dictionnaire amoureux du Tour de France » chez Plon, très très sympa. Deux extraits un peu marrants, vous verrez, le deuxième, on n’en sortira pas de l’Histoire avec un grand H !
Napoléon Paoli
L’étape est remportée par Firmin Lambot et le Tour par Philippe Thys. Le mercredi 7 juillet 1920, Philippe Thys, maillot jaune, Hector Heusghem, Nicolas Amenc, le sieur Raboisson et tout le peloton quittent Bayonne. Ils rejoindront Luchon en escaladant l’Aubisque, le Tourmalet, l’Aspin et le Peyresourde. Il fait nuit et Napoléon Paoli s’enfuit. Au bout de 80 km d’échappée solitaire, il heurte de plein fouet un âne et se retrouve à califourchon sur le bourricot, le buste penché en avant, la tête à quelques centimètres, non pas de l’encolure, mais de la queue de l’animal. Sur cette monture et dans cette posture, Napoléon n’a rien d’un empereur
Cherbourg
De son vélo à peine sorti, François Faber file prendre une douche à l’hôtel, à Cherbourg, le mardi 1er juillet 1913. Nickel et revigoré, il rejoint sa piaule à poil et, dans le couloir, tombe nez à nez avec un homme qui, le voyant pousse un cri et se fend aussitôt d’un sourire amusé. L’homme porte une belle barbe. C’est Jean Jaurès venu à Cherbourg donner une conférence.
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