Piège caucasien

lundi 8 septembre 2008.
 

Pour analyser le conflit entre la Géorgie et la Russie, il faut dissiper l’écran de fumée médiatique et la mise en scène du tyran russe agressant la « petite démocratie » géorgienne. Car qui est l’agresseur ? L’attaque (dirigée notamment contre des soldats russes en mission de la paix, dont plusieurs dizaines seront tués) a été lancée par le président géorgien. Quant à la démocratie, Saakachvili en a une curieuse conception. Il a convoqué la dernière élection présidentielle le lendemain de la déclaration de l’état d’urgence, après que les forces spéciales aient pris le contrôle de la première télévision du pays, puis que le pouvoir ait interdit d’antenne les médias privés. Même les observateurs étrangers les mieux disposés constatent à chaque élection des irrégularités importantes. A choisir, la Russie est plus conforme aux canons démocratiques…

Mais à l’instar d’un conte, la crédibilité du récit médiatique dépend moins des faits que de son ressort dramatique : des bons très bons (les démocrates) et des méchants très méchants (Russes, Chinois, Musulmans…). Le premier effet de cette vision du monde est de mettre les principes au rebut. Car aucun principe n’est bon s’il sert les intérêts des méchants. Ainsi, on peut parfaitement reprocher aux Russes de violer l’intangibilité des frontières en reconnaissant les républiques sécessionnistes de Géorgie (ce qu’ils se refusaient à faire depuis 1992)… après avoir fait l’inverse au Kosovo ! Incohérence ? Non, la cohérence est d’être toujours contre les Russes.

Un penseur néoconservateur américain, Paul Kagan, le dit crûment : « Qui a fait quoi pour précipiter le conflit entre la Russie et la Géorgie ? La question importe peu ». Pour lui, dans le « choc des civilisations », la place de « l’Occident » est contre la Russie, et donc avec la Géorgie, dans tous les cas de figure. A ses yeux, s’ils n’étaient pas contaminés par le pacifisme, les pays européens seraient automatiquement solidaires des les Etats-Unis contre les « civilisations » non occidentales. C’est ce que cherchent les Américains. Leur implication dans la guerre est évidente. L’armée géorgienne a été entièrement financée, équipée, entraînée, organisée par les Etats-Unis. Elle est encadrée par des « conseillers militaires » américains. Le Canard Enchaîné a même révélé que des soldats américains ont pris part aux opérations militaires en Ossétie. Leur soutien politique à Saakachvili est sans faille. L’accession au pouvoir de ce jeune diplômé d’une Université américaine, qui a travaillé un temps aux Etats-Unis, a été préparée à Washington.

Il faut noter que les liens de Saakachvili sont particulièrement forts avec un certain… John McCain. McCain l’a même nominé en 2006 pour le prix Nobel de la paix (ce que fera aussi Hillary Clinton…). Or McCain ne cache pas sa volonté d’en découdre avec la Russie. Il est favorable à son exclusion du G8 et combat son adhésion à l’OMC. Il s’est démarqué de George Bush, qui avait proclamé avoir « regardé dans les yeux » de Poutine et constaté que c’était un homme à qui on pouvait faire confiance. « J’ai regardé dans les yeux de Poutine », raconte McCain, « et j’ai vu trois lettres : un K, un G, et un B ».

Dès juin 2005, le ministre de la défense géorgien, en visite aux Etats-Unis, s’est entretenu avec McCain des régions séparatistes. Et conclu devant la télévision géorgienne que les Américains lui offraient leur « soutien entier ». En 2006, lors d’un voyage officiel en Géorgie, McCain s’est activé à attiser les tensions avec les Ossètes. Bref il ne fait aucun doute qu’il a poussé la Géorgie à affronter la Russie.

Pourquoi ? Parce que l’histoire récente a montré les limites de l’ennemi afghan ou irakien. La majorité des pays européens a refusé de croire à la thèse des armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein. Beaucoup ont du mal à gober la fable selon laquelle les Américains mèneraient en Afghanistan une guerre contre le terrorisme. Résultat, la solidarité « occidentale » n’est pas au rendez-vous. En revanche, les Russes feraient un ennemi bien plus proche, propice à pousser une majorité de pays européens derrière le bouclier américain.

L’offensive géorgienne s’inscrit donc dans une logique de tension avec la Russie organisée par Washington : encerclement par l’entrée de ses voisins dans l’OTAN (contrairement aux promesses faites à Gorbatchev en échange de la réunification allemande), implantation d’un dispositif antimissile en Pologne et République Tchèque (en violation de l’acte fondateur OTAN Russie), déstabilisation, implantation de bases militaires et construction d’oléoducs et gazoducs dans le Caucase.

A cette heure, la priorité des Américains est l’entrée de la Géorgie (et de l’Ukraine) dans l’OTAN. Alors l’Europe serait tenue à un soutien militaire automatique aux marionnettes que Washington peut lancer à sa guise contre la Russie. L’OTAN finirait de devenir une alliance offensive et non défensive. Ce serait un dispositif d’insécurité globale plus qu’un pacte de sécurité globale. Une arme au service de la guerre plutôt qu’un outil de la paix.


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