Entre Pologne et France, les deux Chopin

dimanche 25 décembre 2011.
 

La dernière note du Concerto en mi mineur op. 11, de Chopin n’a pas fini de résonner sous les doigts du pianiste américain Garrick Ohlsson que la salle de l’Opéra de Varsovie éclate en vivats et applaudissements. C’est un soir de gala avec notoriétés politiques (Lech Walesa) et célébrités artistiques (Andrzej Wajda), qui couronne la prestigieuse semaine de concerts d’anniversaire lançant l’Année Chopin 2010. Quelque 2 000 événements exaltant la figure du compositeur - né il y a tout juste deux cents ans, le 1er mars 1810 à Zelazowa-Wola, à 50 kilomètres à l’ouest de Varsovie - auront lieu cette année dans toute la Pologne.

La France est l’autre patrie du compositeur polonais, qui arriva à Paris, en novembre 1831 et où il vécut jusqu’à sa mort le 17 octobre 1849, à l’âge de 39 ans.

On y met actuellement la dernière main à l’exposition "Chopin à Paris", qui se tiendra à la Cité de la musique à partir du 9 mars. La vie même de Chopin en appelle à la dualité.

Né en Pologne de père français (Nicolas Chopin, venu de Lorraine) et de mère polonaise. Sensibilité féminine et figure romantique pour les uns, esprit viril et symbole patriote pour les autres. Il repose à Paris au cimetière du Père-Lachaise, alors que son coeur est enfermé dans un pilier de l’église de la Sainte-Croix, à Varsovie. Double en tout, si l’on en croit les témoignages de Liszt, Delacroix et George Sand, avec qui il vécut de 1838 à 1846, à la fois timide et exalté, badin et poète, mondain et solitaire.

Ce 1er mars, jour d’inauguration du Musée Chopin, sis dans l’ancien Palais Ostrogski, c’est un vent venu de France qui souffle à Varsovie. Après cinq années d’avatars liés aux changements de gouvernement et vingt millions d’euros de travaux, il sera enfin ouvert au public à partir du 6 avril, tout comme la maison natale de Zelazowa-Wola, entièrement restaurée.

"Le choix d’un musée d’évocation, destiné à pallier la pénurie d’objets à exposer, a débouché sur la conception d’une scénographie résolument moderne, qui utilise les techniques du multimédia", explique sa jeune directrice de 38 ans, Alicja Knast. C’est ainsi que la salle Nohant, avec sons de cloches, chants d’oiseaux et senteurs de violette (la fleur préférée de Chopin) évoque le processus même de création - un meuble à tiroirs permet d’entendre des bribes de morceaux inédits en cours de composition.

Pour le musicologue Aleksander Laskowski, responsable du service de presse de l’Année Chopin 2010, "ce musée rompt avec l’image officielle de Chopin sacralisé dès après le traité de Versailles comme emblème national polonais". Et de rappeler l’action du pianiste et premier ministre (1919) Ignace Paderewski (1860-1941), qui fit de Chopin un musicien officiel, au point que les nazis interdiront sa musique pendant la seconde guerre mondiale. "On la jouait clandestinement dans les caves", souligne M. Laskowski.

Sous le régime stalinien, le compositeur national inspiré par la musique folklorique devient héros de la propagande communiste, comme en témoigne la superproduction de 1952 d’Aleksander Ford intitulée La Jeunesse de Chopin. Le 13 décembre 1981, c’est donc sur fond de musique de Chopin que le général Jaruzelski déclare la loi martiale à la télévision nationale, face à la popularité grandissante du syndicat Solidarnosc.

Autre musique en France. On célèbre le musicien sensible, le chantre romantique. Si l’on s’est attaché à tempérer l’image féminine d’un Chopin sentimental et tuberculeux, pour mieux honorer aujourd’hui le poète insulaire et le créateur visionnaire, on reste loin du personnage résolument viril et moderne que la Pologne, seul pays européen à afficher une croissance positive en 2009, veut donner. "On a laissé de côté le Chopin mourant, malade, pour privilégier un homme jeune, dynamique, qui a séduit toute l’Europe, revendique le coordinateur des célébrations Chopin dans le monde, Ryszard Kubiak. Et puis Chopin est notre meilleur produit, non seulement en termes économiques, via le tourisme, mais aussi sur le plan du rayonnement culturel."

Pour mieux exporter la "marque Chopin" (estimée à plus de 250 millions d’euros), la Pologne a dû lever les omertas. Elle ose dire que le compositeur ayant refusé un poste de musicien officiel à la cour du tsar fut déchu de sa nationalité russe, ose rappeler que c’est un officier de la Wehrmacht, Wilm Hosenfeld - le même qui sauva le pianiste juif polonais Wladyslaw Szpilman - qui a mis à l’abri le coeur de Chopin durant l’insurrection de Varsovie, à l’été 1944.

Mieux - est-ce d’être à la veille de devenir capitale culturelle européenne en 2011 ?- Varsovie croit en un Chopin nettement plus international, en quelque sorte réconcilié. De sorte qu’elle "ne voit aucune concurrence avec la France, assure Aleksander Laskowski, car Paris, en 1830, était le centre culturel du monde. Et puis la musique n’a-t-elle pas valeur universelle ?".

Pour preuve : Varsovie accueillera pour la première fois avec "Chopin Open" la version polonaise de la Folle Journée de Nantes, qui aura lieu du 11 au 13 juin.

Marie-Aude Roux


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