Du gouvernement Clémenceau à la Chambre bleu horizon (Bloc national : des royalistes au parti radical)

samedi 18 novembre 2023.
 

1) La France au sortir de la 1ère guerre mondiale

En 1914, l’Etat français bousculé par la droite nationaliste et sa presse, manipulé par quelques va-t’en-guerre comme le président Poincaré a poussé au conflit face à l’Allemagne. Durant la guerre, il s’est endetté et a fait tourner la planche à billets.

En décembre 1918, les généraux français fanfaronnent et jouent les chefs de guerre du monde capitaliste face à l’URSS. Politiques et banquiers interviennent dans tous les dossiers internationaux sensibles comme si la France constituait à présent l’impérialisme dominant.

En fait, le pays sort très affaibli de la guerre :

- 1 300 000 morts soit dix pour cent de la population active masculine.

- 4 000 000 de blessés, souffrant souvent d’affections graves sans compter les ravages psychologiques parmi les poilus

- l’épidémie de "grippe espagnole" (300000 décès) complétait la catastrophe démographique (la France ne retrouvera sa population de 1914 qu’en 1950)

- le conflit s’étant essentiellement focalisé sur le front français, les départements de la Mer du Nord aux Vosges, de la frontière à la Marne avaient été ravagés par les obus, creusés par des milliers de tranchées, pollués par des millions de cadavres, de balles...

En fait, le pays sort ruiné par la guerre

- les dépenses de guerre s’élèvent à 177 milliards de francs-or

- La France a emprunté 31 milliards de francs-or auprès des pays étrangers pour couvrir cette dépense. Sa dette a triplé ; elle doit 3030 millions de dollars au Royaume-Uni et 3991 aux Etats-Unis.

- La reconstruction dans les zones de combats (ponts, routes, voies ferrées, bâtiments administratifs...) est estimée à 125 milliards de francs-or.

- Les treize départements ayant subi les combats représentaient en 1914 : 74 % de la production de houille du pays, 81 % de sa production de fonte, 63 % de sa production d’acier. A présent, il faut relancer toute cette activité économique.

- Un Français sur dix va être pensionné suite à la guerre (blessés, veuves, orphelins...)

- globalement, la France de 1919 peut être caractérisée comme un pays en crise financière. Comme toujours, une telle crise est traitée dans le système capitaliste par un budget de rigueur, si possible assumé par la gauche au gouvernement. Ainsi naît le gouvernement Clémenceau.

2) Le ministère Clémenceau (novembre 1918 à novembre 1919) en guerre contre les milieux populaires

Georges Clémenceau s’est longtemps positionné politiquement à gauche. Il joue un rôle décisif au sein du Parti radical depuis une trentaine d’années.

Il espère couronner sa carrière en se faisant élire président de la république. Il va échouer pour n’avoir pas compris l’antagonisme d’intérêts entre d’une part les milieux populaires, d’autre part les milieux capitalistes représentés par la droite. En réprimant violemment les premiers et divisant ainsi la gauche, il prépare la plus large victoire de la droite en France durant le 20ème siècle.

Pour le capitalisme français, les milieux populaires (ouvriers, paysans...) qui ont porté le poids de la guerre doivent à présent payer son prix au nom de l’intérêt national.

Les milieux populaires conscients (y compris en milieu paysan), eux, sortent de la guerre décidés à ne plus subir la loi des "embrusqués" parisiens qui font tuer les pauvres dans les tranchées comme aux colonies pour gonfler leur portefeuille.

Clémenceau fait voter la loi des huit heures de travail quotidien, ancienne et importante revendication syndicale en espérant créer de l’emploi pour les soldats démobilisés et calmer ainsi les salariés ainsi que leurs syndicats.

Or, l’augmentation du temps travaillé le samedi imposé par les employeurs contourne la loi, obligeant les syndicats à combattre sur le mot d’ordre des 44 heures hebdomadaires.

Or, la hausse des prix rend les conditions de vie difficiles. Pour couvrir les dépenses de guerre, l’Etat français a multiplié par 5 la monnaie en circulation. L’inflation en est une conséquence logique.

Dans ces conditions, l’éclatement de grèves importantes en juin 1919 était logique. Clémenceau y répond par une répression très dure : deux morts et 300 blessés parmi les manifestants en juin 1919, 15000 cheminots révoqués...

3) Le Bloc National

A l’automne 1919, la guerre est finie depuis un an et la France n’a pas organisé d’élections depuis les législatives de 1914.

Le Conseil des ministres fixe donc le calendrier permettant de renouveler les députés (16 novembre) mais aussi jusqu’en janvier 1920 les conseillers municipaux, généraux et d’arrondissement, les maires et sénateurs.

Dès le 16 octobre 1919, le camp politicien "républicain" d’avant 1914 publie un Appel dans Le Temps.

Son programme est essentiellement nationaliste, anti-communiste ("défense de la civilisation contre le bolchevisme qui n’est qu’une des formes du péril allemand") et peu républicain (défense de la "liberté d’enseignement" par exemple).

Il comprend :

- l’Alliance démocratique républicaine (magma d’élus de droite prétendument "modérée", elle est en fait la devanture politique du grand patronat).

- la Fédération républicaine (droite "libérale", conservatrice, souvent cléricale, comprenant des royalistes) qui fournira des alliés influents aux fascistes dans les années 1930 puis des pétainistes.

- le Parti radical de Georges Clémenceau (avec son groupe énorme de 288 députés)

- le Parti républicain socialiste (PRS) comprenant les "socialistes" indépendants qui n’avaient pas voulu entrer dans la SFIO, leur horizon étant en fait leur seule réélection en lien avec le Parti radical et avec l’argent du patronat.

- le Comité républicain pour le Commerce et l’Industrie, struture du patronat qui finançait déjà sans aucun contrôle, les partis ci-dessus avant 1914.

A l’initiative de l’Alliance démocratique, ces organisations constituent rapidement le Bloc national qui bénéficie des largesses financières de l’ancêtre du CNPF et du MEDEF "l’Union des intérêts économiques pour la liberté du commerce et de l’industrie, la défense de l’initiative privée et contre l’extension des monopoles d’Etat."

Cette UIE a publié le 30 janvier 1919 un "programme économique commun" très libéral qui est proposé aux candidats.

Le 16 novembre 1919, les élections législatives amènent à la Chambre, une immense majorité de députés, membres du Bloc national, ayant approuvé "sans restriction" le programme anti-républicain et anti-ouvrier de l’UIE.

24 mai 1920 Paul Deschanel, Président de la République, parcourt la voie ferrée seul, à pied, ensanglanté, en pyjama

4) Les amitiés patronales des députés du Bloc National

Parmi les 382 députés proclamant leur accord total avec ce programme de l’UIE et considérés comme des "fidèles" de cette association patronale, notons :

- François de Wendel, président du Comité des forges de France, régent de la Banque de France...

- Pierre Taittinger, industriel, fondateur du groupe fasciste des Jeunesses patriotes en 1924 dans la continuité de l’anti-sémite et nationaliste Ligue des patriotes fondée en 1882 par Paul Déroulède.

- Maurice Barrès, écrivain d’extrême droite, nationaliste et traditionaliste, membre de la Ligue de la patrie française (1899) puis de la Ligue des patriotes. Sympathisant d’Action française. Surnommé le Rossignol des carnages pour son bourrage de crâne militariste pendant la guerre. Après la Première guerre mondiale il fait campagne pour intégrer la rive gauche du rhin à la France.

- Louis Georges Rothschild dit Georges Mandel, proche de Clémenceau, homme fort de la droite dans les années 1930, vanté par Nicolas Sarkozy et les libéraux d’aujourd’hui

- le général vicomte de Curières de Castelnau, commandant de groupe d’armées pendant la guerre, clérical exalté, fondateur en 1924 de la Fédération Nationale Catholique, grosse organisation d’extrême droite anti-républicaine. Membre fondateur également de l’association d’entraide de la noblesse française. Fondateur enfin avec l’abbé Berger du Comité d’études des questions maçonniques qui prépare la répression antimaçonnique du pétainisme.

- Marc Sangnier, animateur en 1894, du journal philosophique, Le Sillon, considéré comme initiateur d’un christianisme démocratique et social.

- Maurice BOUILLOUX-LAFONT, banquier (parti radical)

- le Prince Murat qui jouera un rôle important dans les Ligues fascistes et d’extrême droite des années 1930

- Abrami, gendre du banquier Théodore Reinach

- Pierre-Étienne Flandin, futur dirigeant droite intransigeante et violente face au Front populaire, futur ministre des Affaires étrangères de Pétain, partisan convaincu de la politique de Montoire et d’une collaboration loyale avec les nazis.

- le colonel Fabry, rédacteur en chef de L’Intransigeant, journal antisémite, grand quotidien de droite dure dans les années 1920

- Auguste Isaac, homme d’affaires, président de la chambre de commerce de Lyon, porte parole du libre échangisme et représentant des intérêts du patronat vis à vis des gouvernements, ministre du Commerce et de l’industrie en 1920-1921, il pousse avec Maginot à une répression sans faille des mouvements sociaux (licenciement de tous les grévistes et remplacement temporaire par des élèves des grandes écoles, dissolution de la CGT...).

- Alexandre Millerand, tellement traître au socialisme que la droite nationaliste essaiera de s’appuyer sur lui pour un coup d’Etat en 1924.

- Le Provost de Launay président des Forges de Leval-Aulnoye, vice-président des Carrières de porphyre de Saint-Raphaël et administrateur de la Société cotonnière du Tonkin.

- le Duc Etienne d’Audiffret-Pasquier, famille symbole des légitimistes ; il votera le 10 juillet 1940 pour la remise des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

- Victor Constant, négociant, votera les pleins pouvoirs à Pétain et sera membre du Conseil national de Vichy.

- Georges Leygues, héritier richissime des Grands Magasins du Louvre, président du Conseil, souvent ministre

- Louis Marin, lié au patronat lorrain des forges, extrêmement violent contre la gauche, dirigeant de l’organisation d’extrême droite FNC, président de la Fédération républicaine qui abrite la droite intransigeante sous ce signe anodin, défendra Maurras en 1937.

- Léon Bérard, futur ambassadeur du régime de Vichy auprès du Saint-Siège

- Jean Ybarnégaray, futur cadre du PSF (Parti social français) du colonel de La Rocque, ministre dans le premier gouvernement sous Pétain

- Maurice Colrat de Montrozier, fondateur en 1908 de l’Association de défense des classes moyennes pour lutter contre l’impôt sur le revenu.

- Jean de Tinguy du Pouët, traditionaliste vendéen typique, qui présidera le conseil départemental de Vendée sous Vichy

Jacques Serieys


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