L’appel "Unité 2012" : derrière la main tendue et l’espoir d’une victoire de la gauche, c’est le sectarisme et la défaite...

mardi 21 juin 2011.
 

Ce billet sera consacré à l’initiative prise par quelques blogueurs, qui circule sur le net. Il s’agit d’un appel nommé « Unité 2012 » demandant aux directions de tous les partis de gauche de s’unir derrière un candidat unique pour 2012. Je ne mets pas en doute la sincérité de ceux qui en ont pris l’initiative. Je comprends en ces moments de grandes confusions que certains s’inquiètent, et j’oserai même dire s’affolent. Logique. Sans faire injure à ces initiateurs, je crois pouvoir dire que beaucoup d’entre eux (certes peut être pas tous) soutenaient il y a encore quelques jours un candidat potentiel pour la gauche, qui se débat aujourd’hui avec la justice outre-atlantique pour prouver son innocence dans une bien sombre histoire. Un tel bouleversement de situation peut troubler les esprits.

Alors, discutons sur le fond. Pour les initiateurs de l’appel, au point de départ de leur réflexion, il y aurait une évidence : « si la gauche veut remporter l’élection présidentielle de 2012, elle devra aller unie au combat dès le premier tour ». C’est à priori séduisant, mais c’est historiquement faux. En 1981 et 1988, qui a vu la victoire de François Mitterrand, la gauche avait au moins 5 ou 4 candidats présents au premier tour. Par exemple, sans les 15 % du PCF obtenu au premier tour en 1981, aucune victoire n’était possible pour la gauche. Et puis, est-ce si sûr dans le cadre des institutions actuelles de la Ve République et son système à deux tours ? Je ne le crois pas. Toute stratégie électorale doit tenir compte du cadre institutionnel. Car, si ce « candidat unique de la gauche » n’obtenait pas plus de 50 % de voix au premier tour, avec qui s’allier pour le second ? Il n’y aurait plus aucun autre allié de gauche. Sans doute les initiateurs « d’Unité 2012 » envisagent alors de se tourner vers le candidat centriste ? On voit bien les conséquences politiques que cela aurait sur le programme et les propositions du candidat. L’alliance avec le centre ne peut avoir lieu pour la gauche sans en payer le « coût politique ». Est- ce cela que veulent les initiateurs ? Une alliance de la gauche avec le centre ?

Sans doute, de bonne foi, la plupart de nos blogueurs me répondront non. Je veux bien les croire. Mais alors l’enjeu à leurs yeux est d’abord l’espoir que la gauche rassemblée derrière un seul candidat (ou candidate) représente la majorité des suffrages, dès le premier tour. Est-ce crédible ? Pour cela, il faut partir de la réalité. Près de la moitié des électeurs s’abstiennent actuellement. Plusieurs études montrent qu’un taux très élevé d’électeurs ne fait plus la différence entre la droite et la gauche (près de 42 % selon des études), que la traditionnelle "offre" politique ne leur convient pas ou plus. C’est à eux que la gauche doit s’adresser si elle veut l’emporter. Sans eux, rien n’est possible. Pour l’essentiel il s’agit des nôtres, ceux qui composent l’essentiel des ouvriers et employés, majoritaire dans le salariat. Ce sont généralement les catégories populaires, ceux qui souffrent le plus des conséquences de la crise sociale qui s’abstiennent, et non qui votent pour le FN tels que certains le répètent à tort. La question de fond est donc : quel candidat de gauche, et bien sûr son programme et ses propositions, est capable de (re)mobiliser cet électorat un peu perdu ? Qui est capable de lui redonner le goût de l’action civique ? Certainement pas un candidat de « compromis » entre toutes les gauches, donc nécessairement le moins clivant possible. On ne peut échapper à cette mécanique, surtout dans une société matraquée par les sondages et ses "seuls candidats qui peuvent battre la gauche". C’est cela que nous démontre l’exemple italien. Face à Sylvio Berlusconi les grandes primaires de la gauche ont aboutit au soutien d’un candidat centriste très lisse, qui ne se réclamait plus de la gauche…et qui fut lourdement battu par ce que la droite européenne produit de pire : un milliardaire corrompu lié à la maffia.

Cet appel proclame aussi une autre affirmation sans plus d’explications. Il affirme : « Marine Le Pen sera vraisemblablement au second tour, nul besoin de sondages pour le craindre ». Ah bon ? L’explication est ici un peu courte. Comment imaginer que le Fn serait au second sans s’appuyer sur les sondages ? Les récentes élections cantonales ont montré que le FN avait obtenu 15,1 % des suffrages exprimés, soit 6,5 % des électeurs inscrits. On est loin des 21 % que nous promettent les sondages en 2012. J’observe d’ailleurs qu’un récent sondage, réalisé après les ennuis de DSK, place le FN à 16 % au premier tour. Peut-on discuter rationnellement des scores du FN ? Il retrouve ses voix, c’est une évidence. Il profite de la crise de la droite et particulièrement de l’UMP, c’est une réalité. Mais, est-il véritablement dans cette progression « irrésistible » dont parle beaucoup de médias ? Pas si sûr. Par exemple, dans le canton de Perpignan, très favorable à l’extrême droite, où se présentait Louis Aliot le vice président du FN, ce dernier avait obtenu 34,6 % des voix dans un canton où là aussi l’abstention fut très forte (plus de 55 %). La candidate socialiste, une inconnue qui se présentait pour la première fois a rassemblé au premier tour seulement 18 %. C’était peu. Avec 16,5 % le candidat UMP (un ancien du FN) était battu au premier tour. Il suffisait qu’une part très faible de l’électorat de droite se reporte sur Aliot pour qu’il l’emporte. Et pourtant, il est nettement battu au second tour et la socialiste obtient 53 % des suffrages. Cela démontre que le Fn a encore du mal, malgré l’énorme battage médiatique dont il bénéficie, à aller plus loin que son électorat traditionnel. Il en fut de même partout, et le Fn qui pensait obtenir « entre 20 et 50 conseillers généraux » (dixit Louis Aliot) n’en obtiendra que deux, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Pourtant,dans la grande majorité des cantons, le PS, EE et le Front de Gauche avaient des candidats. En quoi partout un candidat unique de la gauche aurait fait mieux ?

En 1994 et 1998, le Front national avait pu faire élire trois Conseillers généraux par exemple. Dans le passé, il a pu en faire élire 13 en tout. Alors, pourquoi dramatiser la situation ? Pourquoi écrire comme l’a dit une dépêche AFP que c’était la première fois que des candidats Fn se faisaient élire au suffrage universel. Il a déjà par le passé dirigé quatre mairies. L’a-t-on oublié ? La réalité politique et électorale du Fn de Marine Le Pen est donc plus complexe que les simplifications que nous imposent les unes des magazines depuis quelques mois. Quelques exemples pour me faire comprendre. Lors de son rassemblement du 1er mai, le Fn n’a pas rencontré le succès militant auquel il s’attendait. Seulement 3 000 personnes au mieux y sont venues. Dans le passé, ils furent parfois plus de 10 000. Les exemples sont encore nombreux. En 2011, il rassemble 1 379 249 voix (6,8 % des inscrits) mais en 2004, sur les mêmes cantons, il avait obtenu 1 490 315 voix (soit 7,4 % des inscrits). Le Fn a donc perdu 120 000 voix.Quelques jours auparavant, des sondages affirmaient que Marine Le Pen serait au second tour en 2012.

Donc, si il serait irresponsable de minimiser le FN, il est tout autant peu rigoureux de le surestimer et de participer à une campagne d’affolement généralisé.

Gardons donc la tête froide. En 2012, il est évident qu’il ne faut pas que la gauche soit artificiellement divisée. Les quelques candidats qui seront au premier tour doivent incarner les principales « familles » de la gauche. C’est tout l’objectif du Front de gauche, impulsé par Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, Marie-Georges Buffet, Christian Piquet et beaucoup d’autres, qui veut rassembler toute « l’autre gauche ». Celle qui exige une autre répartition des richesses, qui s’opposent à la construction libérale de l’Europe, qui veut rompre avec la Ve République. Il n’est raisonnable de faire croire, avec une certaine légèreté, que le PS et le Front de Gauche n’ont aucun désaccord politique qui justifie le fait que nous jugeons incontournable de présenter un candidat. Nier cette réalité et la moquer ne ferait que le jeu du Fn et tous ceux qui pensent que les socialistes ne présentent pas un programme prenant en compte la grande crise sociale que nous traversons. C’est la seule façon de remobiliser les abstentionnistes qui attendent autre chose.

Les initiateurs de l’appel « Unité 2012 » doivent prendre en compte ces éléments. Sans quoi leur appel n’aura qu’une fonction : viser à interdire que la gauche dans sa réalité, et sa diversité, soit présente. C’est pourtant la condition de la victoire et de son rassemblement demain. Il en fut toujours ainsi. C’est pourquoi, derrière une initiative qui peut apparaître sympathique pour certains, c’est le sectarisme qui domine. Si plusieurs formations existent au sein de la gauche française ce n’est pas parce que ses directions sont obnubilées par leurs intérêts propres. C’est bien parce qu’il existe des désaccord sérieux entre elle. On ne peut "folkloriser" les choses tels que le font les initiateurs d’"unité 2012". La confrontation politique a aussi sa noblesse. Elle est la marque de l’intelligence humaine. Les électeurs ont une mémoire. Ils ont vécu le grand débat de mai 2005 sur le TCE. Ils connaissent les grandes discussions qui traversent la gauche. Ne les prenons pas pour des ignorants qui pourraient tous se retrouver sur un seul candidat, portant un seul programme, réglant comme par magie plus d’un siècle de controverse politique. Nos concitoyens savent par exemple que si le Front de Gauche existe c’est parce qu’il porte d’autres propositions que celle que le PS par exemple. S’ils ne le savent pas encore, ils le comprendront mieux sitôt que la campagne aura commencé. C’est la raison pour laquelle lors des dernières élections cantonales, ce dernier a obtenu 10,38 % des voix. C’est pourtant un évènement non négligeable pour ceux qui sont à la recherche d’autre chose que le "vote utile" pour le PS.

« L’enfer est pavé des meilleures intentions » dit le proverbe. Les laïques me pardonneront cette référence. Battre la droite et Nicolas Sarkozy en 2012 et réduire le FN impose un constat lucide de la situation et la gauche telle qu’elle est, et non comme on la rêve face à son écran d’ordinateur. Méfions nous des appels simplistes qui veulent dépolitiser les débats de fonds au sein de la gauche et qui participent finalement à la confusion et au sectarisme. Méfions nous de ceux qui veulent présenter le Front de gauche comme des diviseurs. C’est l’inverse. Nous rassemblons. Ceux qui divisent sont ceux qui proposent à la gauche un candidat qui approuve la politique d’austérité du FMI et de l’UE. Certes DSK n’est plus en course, mais lequel des candidats potentiels du PS (hormis Arnaud Montebourg) est en désaccord politique avec lui ? Aucun. C’est bien le problème.

Le peuple de gauche attend autre chose qu’on lui fasse couler une nouvelle fois un robinet d’eau tiède dans lequel on plongerait un hypothétique "candidat unique de la gauche". Le peuple a soif d’une gauche à la hauteur des grands enjeux du 21e siècle.

PS : Pendant ce temps, la jeunesse d’Europe se lève. Après Madrid, Barcelone, Athènes c’est à Paris qu’ils étaient plus d’un millier pour "s’indigner" des injustices de notre monde. Magnifique ! Les militants du PG sont aux cotés de cette jeunesse courageuse (photos).


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