Martine Billard à l’Assemblée nationale contre la loi sur "l’équilibre des finances publiques" (13 juillet 2011)

lundi 15 août 2011.
 

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous arrivons au terme de la discussion d’un texte d’inspiration technocratique qui doit tout aux demandes explicites de la Commission européenne et du FMI, mais rien à l’expression de la volonté de notre peuple. Il n’a d’ailleurs jamais été question de soumettre ce projet de loi constitutionnelle au référendum.

Ce texte traduit fidèlement les recommandations du groupe de travail confié, en 2010, à Michel Camdessus, figure historique de la politique libérale du FMI. Il n’est donc pas seulement une tentative, à quelques mois des élections, de faire oublier votre gestion calamiteuse des deniers publics mais il manifeste aussi la morgue avec laquelle le Gouvernement et sa majorité tentent de faire payer au peuple la facture de la crise.

Votre prétendue loi d’équilibre des finances publiques n’est en effet que le premier étage de la fusée d’une série de mesures de réforme structurelles concoctées à Bruxelles et approuvées lors du Conseil européen du 25 mars dernier. Il s’agit, dans le cadre du pacte « euro plus » d’imposer, dans toute l’Europe, l’interdiction des déficits publics, l’abandon de l’indexation des salaires sur l’inflation, le retardement de l’âge du départ à la retraite, la baisse des pensions ainsi que la réduction du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires.

Ces mesures de fuite en avant libérales portent en elles la récession. Elles s’inspirent du prétendu modèle allemand pour mieux conduire l’ensemble de l’Europe dans une impasse. Quant à votre projet de loi constitutionnelle, comme nombre de vos choix politiques, il s’inspire des politiques conduites en particulier dans le cadre de l’Agenda 2010.

Ces politiques ont mis l’accent sur la compression des coûts salariaux, la déréglementation du marché du travail et la réduction drastique des dépenses publiques, dont la part dans le PIB a baissé de 10 % entre 1996 et 2007.

Elles ont certes permis à l’Allemagne de s’affirmer comme un modèle de compétitivité, mais à quel prix ! Faut-il rappeler que l’Allemagne est le pays qui a créé le moins d’emploi depuis vingt ans, qu’il est aussi celui où la hausse des inégalités de revenus a été la plus élevée d’Europe ces dernières années à l’exception de la Bulgarie et de la Roumanie ? C’est aussi celui où la part des salaires dans la valeur ajoutée a le plus baissé, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus fortement chuté – il est passé de 80 % à 35 % –, tout comme la part des investissements dans le produit intérieur brut. Dans ce pays, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 17 % de la population. Curieux modèle que le vôtre !

Ce modèle est malheureusement en phase avec les orientations du nouveau cycle de gouvernance économique dans l’Union européenne, lequel ne tire visiblement aucune leçon de la crise et de l’échec de la stratégie de Lisbonne. Pourtant, comment ne pas constater que les institutions et les règles mises en place dans la zone euro pour gérer la monnaie unique et encadrer le maniement des politiques budgétaires nationales sont inappropriées ?

Un rapport du département des études de l’OFCE soulignait déjà en 2007 combien la règle budgétaire du pacte de stabilité comportait des incitations peu favorables à des politiques économiques de développement social et écologique ; à cette époque elle avait pourtant été légèrement assouplie. Ce rapport soulignait que cette règle avait indirectement poussé les gouvernements à privilégier les stratégies non coopératives, notamment la désinflation compétitive et la concurrence fiscale et sociale ; souvenons-nous du cas de l’Irlande.

Vous continuez pourtant de nous vanter les mérites du pacte de stabilité monétaire et de nous le présenter comme indispensable à la cohésion de la zone euro. La majorité n’en est bien sûr plus à dire, comme au début des années 2000, que ce pacte permettra la création de millions d’emplois, mais vous continuez de taire ce constat d’évidence que la politique conduite sous l’égide de la Commission européenne a finalement eu pour conséquence de brider les investissements et les salaires, de maintenir un chômage de masse, d’accroître les inégalités au sein de la zone euro tant entre pays qu’au sein de chacun d’entre eux, et de désindustrialiser nos pays. Ce pacte de stabilité a ouvert l’une des périodes les plus noires pour l’économie européenne, au seul bénéfice des puissances d’argent.

Cette période, vous nous proposez de la proroger, malgré la légitime colère des peuples qui s’est exprimée massivement en Angleterre, au Portugal, en Espagne, en Grèce et, à l’automne dernier, en France, lors du mouvement contre votre loi régressive sur les retraites.

La crise financière a montré les dangers et l’impasse où nous conduisait ce système. Vous n’en tirez aucune leçon, comme le manifeste d’ailleurs de manière éloquente le présent projet de loi constitutionnelle.

Il est hors de question que les peuples continuent à faire les frais de cette situation et à payer à la place de la finance responsable de la crise. Il est encore moins question d’inscrire dans la durée des reculs qui ne profiteront qu’aux investisseurs financiers. Vous voulez faire peur à nos concitoyens en brandissant le spectre de la Grèce, et tirer prétexte des difficultés budgétaires actuelles, qui sont bien réelles, pour justifier des mesures qui, loin d’assainir nos finances publiques, aggraveront encore la situation en asséchant les comptes publics, en bridant l’investissement, et en privant l’État et les collectivités locales des moyens de faire face à leurs missions.

Vous n’avez du reste aucune leçon à donner en matière de gestion des finances publiques. Vous êtes en effet les premiers responsables de leur dégradation sans précédent. En dix ans de politique de droite, le montant de la dette publique a été multiplié par deux. Il sera passé de 900 milliards d’euros en 2002 à 1 800 milliards fin 2012. Le déficit structurel, c’est-à-dire exception faite de la conjoncture et de la crise, a suivi la même trajectoire passant de 2 % en 2002 à 5 % en 2010. Vous incriminez la crise, mais elle ne pèse que pour un tiers dans le déficit global.

En réalité, votre politique de dépenses fiscales en faveur des plus riches et des grandes entreprises a plombé nos comptes publics et sociaux. Le premier problème dont souffre notre pays n’est donc pas le montant de la dépense publique, comme vous voudriez nous le faire croire, mais le nombre et le poids colossal des cadeaux fiscaux que vous avez consentis au fil des ans.

M. Patrick Lemasle. C’est vrai !

Mme Martine Billard. Exonérations fiscales et sociales atteignent annuellement 173 milliards d’euros pour 140 milliards de déficit annuel. Les niches fiscales votées depuis 2002 ont creusé un trou de 75 milliards d’euros dans les caisses de l’État.

M. Patrick Lemasle. Exact !

Mme Martine Billard. Il faut aussi incriminer les déséquilibres et l’injustice de votre réforme de la fiscalité. Vous avez tordu notre système fiscal dans le sens de la dégressivité, au bénéfice des plus favorisés ou des plus grandes entreprises. Est-il acceptable que les PME soient aujourd’hui plus taxées que les entreprises du CAC 40 ?

M. Patrick Lemasle. Quatre fois plus !

Mme Martine Billard. Est-il acceptable que, par le jeu des niches fiscales, les plus fortunés acquittent un taux moyen d’imposition réel de 33 %, alors que ce taux est de 47 % pour le reste de nos concitoyens ?

Vos largesses fiscales sans pertinence économique ont eu pour conséquence de faire perdre à l’État 100 à 120 milliards d’euros de recettes en dix ans, soit davantage que le montant de son déficit budgétaire. Voilà le résultat de votre politique !

Vous entendez à présent imposer un cadre contraignant d’action que vous êtes vous-mêmes incapables de respecter et dont on peut parier que vous ne le respecterez pas. Nous en voulons pour preuve la décision récente, aussi aberrante que choquante, de réduire de moitié le montant de l’ISF. Cette mesure représente une nouvelle perte de recettes pour l’État d’un montant de 2 milliards d’euros.

Dès lors, vouloir inscrire dans notre Constitution le principe de l’interdiction des déficits publics, c’est imposer à notre peuple de se soumettre aux exigences des marchés financiers et des agences de notation ; c’est le priver de la faculté souveraine de décider de la politique économique qui doit être conduite et de se prononcer pour des choix budgétaires adaptés. Tout cela n’est qu’une opération politicienne interne, une course derrière les agences de notation.

Votre texte ne vise en réalité nullement à rétablir une gestion saine des deniers publics, mais à priver le peuple et ses représentants de toute autonomie de choix en matière de finances publiques. La création de lois-cadres de finances publiques se traduira par une importante rigidité, qui empêchera le Parlement de voter toute réforme d’ampleur.

Ce n’est pas l’assainissement de nos finances publiques que vous nous proposez, mais leur mise sous tutelle et la mise sous tutelle du Parlement élu par les Français,…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, rapporteur. C’est faux !

Mme Martine Billard. …avec le contrôle du Conseil constitutionnel, qui n’a pourtant aucune compétence en matière financière.

Selon l’heureuse formule de notre collègue sénateur Thierry Foucault, vous voulez faire des parlementaires les « enfants de chœur de la grand-messe de l’austérité » et de nos concitoyens les spectateurs impuissants de la soumission du débat parlementaire et des choix budgétaires aux calculs technocratiques des partisans de la fuite en avant dans la concurrence fiscale, sociale et environnementale. Nous estimons, pour notre part, que l’assainissement nécessaire de nos finances publiques, si nous voulons notamment prévenir un emballement de la dette, passe en priorité par une refonte globale de la fiscalité.

Toute votre politique fiscale a consisté jusqu’alors à accompagner et à favoriser la création de valeurs pour les actionnaires aux dépens de l’intérêt général. Il faut aujourd’hui inverser la vapeur, remettre en cause les cadeaux fiscaux consentis à fonds perdus depuis des années, rétablir la progressivité de l’impôt, instaurer un salaire et un revenu maximum, taxer le capital, dont seuls 20 % des revenus sont soumis à l’impôt, au même taux que les revenus du travail, moduler l’imposition des entreprises et les cotisations patronales en fonction de l’orientation des bénéfices réalisés, mettre en place un pôle financier public permettant de réorienter le crédit vers l’investissement et l’emploi, appuyés sur des choix écologiquement soutenables et socialement utiles.

La réduction du déficit public est urgente. Cependant elle doit résulter d’une volonté politique et de nouvelles orientations, dont votre texte a vocation à barrer l’accès. C’est pourquoi les députés du Front de gauche se prononceront de nouveau contre ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)


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