23 avril 1919 Loi des huit heures de travail par jour

jeudi 27 avril 2023.
 

Après des décennies de révoltes ouvrières et de luttes syndicales, qui coûteront la vie à nombre de travailleurs, la loi ramenant à huit heures la journée de travail est votée en avril 1919, pour n’être appliquée que deux ans après. Aujourd’hui encore, on se bat pour imposer son respect.

Mille neuf cent douze. Une affiche syndicale de la CGT. Le cadran d’un réveil divisé en trois. On lit  : « Nous exigeons les “trois huit”. Huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de repos ». Populaire, le slogan, dès lors, fit florès. Il est porté au fronton de toutes les manifestations qui vont écumer le crépuscule du XIXe siècle et l’aube du XXe. Il dit, loin des humiliations des chaînes et des fours d’usine, la longue marche vers le respect d’un repos décent. Il raconte les multiples batailles et les souffrances qui émaillent ces années de revendications. « Travaillons moins, vivons enfin, cultivons-nous  ! Arrachons nos huit heures », clamait Jules Guesde. Et l’usine, partout, réclame cette éclaircie de dignité. « Parce qu’un travail manuel trop prolongé non seulement ruine la santé mais, l’empêchant de cultiver son intelligence, porte atteinte à la dignité de l’homme », le 2 mars 1848, une loi de la République réduit à onze heures la journée de travail.

En 1850, Napoléon III barrera d’un trait de plume cette loi de progrès. En 1860, on fait encore quatorze heures de travail par jour. Des luttes qui essaiment un peu partout parviennent à alléger le poids des heures à douze en 1870. Mais le patronat n’appliquera pas la loi. « Le travail dans nos fabriques, suivant les habitudes de nos belles contrées, a toujours commencé à cinq heures du matin, repos de midi à midi quinze, fin à dix-neuf heures et ceci sans que la santé de nos ouvrières en ait jamais été altérée. Il y aurait de plus à craindre pour leur moralité si nous les affranchissions de deux heures de liberté en soirée. Il y aurait d’autre part beaucoup à redouter pour l’avenir de nos entreprises. Vous le savez, elles vivent difficilement. Si nous ramenons la journée de travail à douze heures, la partie ne sera plus tenable. Nous serons obligés de transporter nos industries vers l’étranger, où la main-d’œuvre est plus raisonnable  ! » Cette supplique au préfet de l’Isère d’un patronat des forges d’Allevard en Isère horrifié par le passage de la journée de quatorze heures à douze heures en 1872, s’entendra encore longtemps jusqu’à nos jours. Alors les révoltes continuent.

Le samedi 1ermai 1886, à Chicago, une violente grève fait baisser les rideaux de 12 000 entreprises de la ville. La revendication s’annonce  : « We want eight hours  ! Nous voulons les huit heures  ! ». Le mouvement se poursuit le 3 mai et l’émeute éclate. La police tire sur la foule. Trois ans plus tard, la IIe Internationale décidera à Paris de faire du 1erMai, en hommage aux travailleurs de Chicago, « une journée de lutte dans le monde ». Et les 1ersMai qui suivent s’ensanglantent. Comme à Vienne, en 1890, où à Fourmies, en 1891, où la police abat huit ouvriers de moins de 20 ans. Au fil des larmes et du sang, la pendule perd des heures. À Lyon, en 1906, à la suite d’interminables grèves, les filatures de soie travaillent onze heures au lieu de quatorze. En Rhône-Alpes, les luttes de 1906 menées notamment par Antoine Croizat, père d’Ambroise Croizat, bâtisseur de la Sécurité sociale, parviennent à faire baisser le cadran quotidien du labeur à dix heures.

Il faut attendre la loi du 23 avril 1919 pour que soit acceptée et publiée au Journal officiel la loi ramenant à huit heures la journée de travail sans diminution de salaire. Dans la majeure partie des entreprises, les termes de la loi ne s’appliqueront qu’à partir de 1921. Il y a quatre-vingt-dix ans. En 1925, cependant, une étude fait apparaître que, malgré les décrets, un tiers des salariés français font encore dix heures de travail par jour. À propos de la durée du travail, il convient de rappeler que la loi sur le repos hebdomadaire date du 13 juillet 1906 seulement et que, aujourd’hui encore de, nombreux travailleurs, entre autres les salariées du groupe DIA-ED d’Albertville, en sont à leur 100e dimanche de grève pour imposer le respect d’une loi qui a plus de cent ans.

La « semaine des deux dimanches »

« J’étais complètement déboussolé. Pour la première fois de ma vie, je ne travaillais ni le samedi ni le dimanche  ! » Cette remarque d’Antoine Seren, un ouvrier des aciéries d’Ugine, en dit long sur la rupture dans les conditions de travail qu’entraîna la loi des quarante heures arrachée aux accords Matignon en 1936 après les grandes manifestations du Front populaire. On la baptisa joliment « semaine des deux dimanches », tant la nouveauté apportait de loisirs et de soleil à la condition ouvrière. À côté des congés payés et des conventions collectives, elle est sans doute l’une des plus belles conquêtes de la gauche au pouvoir. Pourtant, le 12 novembre 1938, arguant de la guerre proche, le gouvernement Daladier, promulgua une série de décrets-lois, vite appelés « décrets misère », portant atteinte à toutes ces conquêtes, notamment à la semaine de quarante heures. L’argument du radical Daladier vaut citation  : « Cette loi de paresse et de trahison nationale était responsable de tous les maux de l’économie. On ne peut pas avoir une classe ouvrière “à deux dimanches” et un patronat 
qui s’étrangle pour faire vivre le pays. »

Michel Etievent, L’Humanité


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