Mondialisation, Précarité, Santé Mentale Congrès passionnant à Lyon

jeudi 1er décembre 2011.
 

3) Jean Furtos, psychiatre, « Malades de la mondialisation »

À l’initiative du congrès sur les « effets psychosociaux de la mondialisation sur la santé mentale » qui s’ouvre aujourd’hui à l’université Lyon-1, le psychiatre Jean Furtos montre les ravages du système libéral sur la solidarité.

Chef de service à l’hôpital du Vinatier, à Lyon, le psychiatre Jean Furtos est aussi directeur de l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précaire. C’est lui qui organise, avec le sociologue Christian Laval, le passionnant colloque transversal qui s’ouvre aujourd’hui à l’université Lyon-1

À partir de quel moment, dans vos travaux, avez-vous pu faire le lien entre certaines pathologies et la mondialisation économique ?

Jean Furtos. En 1993, nous avons été interpellés par des travailleurs sociaux pour traiter de la souffrance des bénéficiaires du RMI, des jeunes des banlieues déjà, mais aussi des chômeurs de longue durée. On ne savait pas trop quoi faire avec cette souffrance, parce que ces gens n’étaient pas de vrais malades et pourtant ils souffraient vraiment. Puis nous avons travaillé avec des élus locaux, qui sont très souvent sollicités, pour un travail, un logement... On s’est aperçus à ce moment-là que le champ de la santé mentale, ce n’était pas seulement la psychiatrie. C’était aussi le champ de tous ceux qui sont en charge d’autrui : travailleurs sociaux, maires, pédagogues, parents... Les premiers travaux sociologiques sur la souffrance et le stress au travail nous ont également permis de découvrir que des gens qui gagnaient le smic, ou même 6 000 euros par mois, pouvaient avoir exactement les mêmes pathologies que des chômeurs de longue durée et des SDF.

Cette unité dans la souffrance vous a conduit à interroger la mondialisation...

Jean Furtos. Oui, nous nous sommes aperçus que ce qui faisait le lien entre l’exclusion des marginaux et la souffrance au travail avait à voir avec les nouveaux modes de management : flux tendus, harcèlement, non-respect des travailleurs, perte de la notion de “bel ouvrage”, flux d’argent, de marchandises, de travailleurs… C’est cela, le néolibéralisme : des flux qui l’emportent sur l’économie réelle et la politique. On voulait savoir si nos observations étaient validées par nos collègues des pays émergents (Inde, Chine, Amérique latine), mais aussi aux États-Unis. D’où l’idée de ce colloque.

Dans un appel, vous défendez une nouvelle « écologie du lien social ». C’est-à-dire ?

Jean Furtos. C’est ce qui permet aux individus de faire lien. La mauvaise écologie, c’est comme le monoxyde de carbone, c’est ce qui empêche de vivre. Ainsi, lorsque des humanitaires interviennent auprès de populations qui viennent de subir une catastrophe, ils ne doivent pas oublier ces liens. Considérer ces populations comme des séries d’individus ayant un syndrome post-traumatique, c’est rajouter de la catastrophe à la catastrophe. Un individu n’est jamais un individu isolé sauf quand il est mort. Et encore, même mort, on pense à lui, il fait partie de la communauté des vivants et des morts. Lorsqu’un individu est isolé, cela devient pathologique, cela s’appelle de la phobie sociale. Un individu sans l’autre, cela n’existe pas. C’est aussi cela que l’on veut rappeler.

La mondialisation détruit ce lien social mais aussi 
ce que vous appelez la « saine précarité ». Que signifie ce terme ?

Jean Furtos. Le mot précarité n’a pas seulement la signification négative qui lui est ordinairement attaché, synonyme d’incertitude, de risque, de pauvreté. Précarité vient du mot latin « precari » qui signifie « dépendre de la volonté de l’autre, obtenir par la prière ». Une dépendance évidente est celle du bébé, elle est à respecter au même titre que toutes les situations de maladie, de traumatisme, de fragilité particulière, qui rappellent que nous avons absolument besoin de l’autre, des autres, pour vivre. La perversité du néolibéralisme dans sa forme actuelle, c’est qu’il détruit tout ce qui fait office de solidarité et de respect d’autrui. L’assistanat est ainsi perçu comme la perversité absolue. Il faut que chacun paye, que chacun se débrouille par lui-même. C’est pourquoi nous souhaitons la création d’un Observatoire international de santé mentale pour que ceux qui sont responsables des attaques contre cette « saine précarité » soient obligés de répondre de leurs actes.

Entretien réalisé par Maud Dugrand, L’Humanité

2) Les méfaits psychologiques de la mondialisation

Pendant quatre jours, des psychiatres, des psychanalystes, des sociologues, des philosophes et des chercheurs en neurosciences ont tenté de décrire les effets de la mondialisation économique sur la santé mentale des populations.

Au-delà du constat, chacun dans son domaine a présenté des alternatives possibles pour « une écologie du lien social » car « à quoi servirait de sauver la planète si les humains eux-mêmes disparaissent en tant qu’êtres sociaux », interroge Jean Furtos, psychiatre, directeur de l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité, à l’initiative de ce congrès. Le sociologue allemand Hartmut Rosa s’est attaché à décrire les conséquences sociales et psychologiques, de l’accélération du temps engendrée par les nouvelles technologies dont le marché a su si bien s’emparer.

Si les transactions financières s’échangent désormais « à la vitesse de la lumière », l’économie réelle reste quant à elle plus lente. « La démocratie et notre psychisme sont plus lents et la nature a sa propre vitesse. » Cette « désynchronisation » crée une angoisse, comme le défend également le philosophe Paul Virilio. Une angoisse engendrée par une perte de sens touchant les pays du Sud comme du Nord. Croître pour quoi faire  ?

Qin Hui, professeur à la faculté des sciences humaines de Pékin, explique comment, dans les années 1990, la transition violente de la société chinoise vers l’économie de marché a fait exploser les taux de suicide et les troubles de santé mentale. Si la vie matérielle des Chinois s’est améliorée, les phénomènes d’inégalité, l’exode rural et la politique de l’enfant unique ont détruit ce qui faisait le cœur de la structure traditionnelle chinoise. 
« Les maladies mentales qui touchent 100 millions de Chinois ne sont pas traitées et les opposants au régime sont enfermés dans les hôpitaux psychiatriques », a conclu 
Qin Hui.

Le phénomène d’inégalité touche également l’Inde. Le pays, déjà fortement touché par l’extrême pauvreté, doit désormais faire face aux conséquences sur la population la plus pauvre de l’émergence d’une classe moyenne qui consomme et qui le montre. Le sentiment d’humiliation est désormais observable sur la santé mentale des plus vulnérables. Le lien entre pauvreté et dépression est établi par un chercheur comme Vikram Patel, professeur en santé mentale à Londres et à Goa en Inde. De son côté, le pédopsychiatre Jacques Dayan a démontré que la généralisation de l’échographie en Inde a fait baisser de manière spectaculaire les infanticides mais a par ailleurs entraîné une hausse des avortements dans le cas où le fœtus est une fille  : « Il y a une modification des modes d’attachement maternel dans la mondialisation qu’il faut absolument continuer à étudier. »

Le message est clair  : la mondialisation peut rendre fou si les liens sociaux ne sont pas préservés. À l’issue du colloque, les chercheurs ont signé collectivement « la déclaration de Lyon »  : « Il n’y a de fatalité dans l’aliénation et la marchandisation que par l’abdication du choix politique et le refus de l’engagement solidaire. » Ils demandent que soit reconnue l’importance d’une santé publique qui intègre les effets psychosociaux liés au contexte social, économique et politique.

Maud Dugrand

1) Congrès des cinq continents - 19-22 Octobre 2011 Lyon, France

Effets psychosociaux de la mondialisation sur la santé mentale : pour une écologie du lien social

Chaque époque est soumise à de puissants processus qui influencent la manière dont les gens vivent en société. Notre époque est marquée par les effets psychosociaux de la mondialisation néolibérale, et ce dans les cinq continents. Elle produit une précarité qui se caractérise par une incertitude sur le lien social, d’abord constatée sur les plus pauvres et les plus malades, mais non moins présente au cœur de nos sociétés. Cette incertitude fragilise les principes de vie comme les étayages sociaux et produit une triple perte de confiance : en soi, en autrui, en l’avenir.

Si nous arrivons à mettre en commun nos connaissances et nos expériences, notre projet est de contribuer à faire émerger la face liante du processus de globalisation, en antidote de sa force atomisante où l’homme n’a guère que trois options : l’hédonisme désenchanté, l’isolement ou la guerre. Il ne s’agit pas seulement de l’avenir de la planète mais de ceux qui l’habitent.

Les trois objectifs majeurs du congrès

- Présenter et décrire les troubles psychosociaux tels qu’ils apparaissent, dans la diversité des cultures et des régions du monde, car se voiler les yeux constitue une perte de la capacité d’agir. L’objectif n’est pas de promouvoir le pessimisme ambiant, mais de partir de la réalité des situations.

- A partir de cette diversité, partager les trouvailles et faire apparaître les modalités de soutien psychosocial portées par la grande diversité des acteurs sanitaires, sociaux, politiques, et de développement ; leurs interventions ont des effets positifs en terme de santé mentale. Il va de soi que les personnes en difficulté psychosociale font partie des acteurs. L’objectif est de valoriser les potentialités d’action

- Proposer une déclaration en fin de Congrès, la « Déclaration de Lyon » basée sur le principe des Droits de l’Homme qui devraient être étendus au droit au lien social, avec les conséquences concrètes qui s’en suivent

Public visé par le congrès

Décideurs de la santé mentale (Etats, élus, responsables institutionnels, organisations internationales, …), praticiens de la santé mentale (du côté sanitaire, du côté du travail social, associations), chercheurs en sciences humaines, en économie, associations d’usagers, étudiants.

État d’esprit du congrès

2 500 congressistes et 170 intervenants des cinq continents sont attendus, des pays du Sud comme des pays du Nord. Les organisateurs voudraient montrer l’exemple : ne pas seulement parler de lien social, mais le faire vivre, recevoir les participants du congrès qui le souhaitent sous la modalité d’un hébergement solidaire chez l’habitant, l’accès à des bourses …


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