Le Parlement européen entérine la poursuite de la libéralisation du secteur ferroviaire

dimanche 15 juillet 2012.
 

Cette fois c’est fait. Le Parlement européen vient d’adopter en seconde lecture le rapport Serracchiani (SD) A7-0367/2011. Comme en Novembre dernier, le rapport du Parlement européen va plus loin que la Commission en prônant notamment la libéralisation du transport de voyageurs et le renforcement des prérogatives de la Commission européenne pour surveiller le respect de la concurrence libre et non faussée. Rien n’a été retenu des résultats catastrophiques de la libéralisation du rail britannique. Je dénonce ce vote.

Le contre-exemple du laboratoire du rail britannique

La libéralisation britannique, la plus ancienne et la plus aboutie en la matière, est un échec cuisant.

Dès les années 1980, la mise en concurrence du fret est décidée et on compte déjà 189 compagnies de transport ferroviaire de marchandises. En 1993, une étape supplémentaire est franchie avec la privatisation de British Rail et le morcellement de l’activité ferroviaire entre trois activités : la gestion et l’entretien du réseau confiée à des « compagnies d’infrastructures », l’exploitation du service confiée à des compagnies ferroviaires, l’entretien et la fourniture des trains confiés à d’autres compagnies.

Le tout en découpant le pays en 25 zones d’appel d’offre et en privatisant également le régulateur du système RailTrack.

Trois résultats immédiats :

- une flambée des tarifs liée à des coûts d’organisation faramineux,

- le licenciement des 2/3 des effectifs de cheminots entre 1990 et 2000

- une chute des investissements liée à la recherche de la plus grande rentabilité à court terme.

Un chaos concurrentiel dont les résultats à moyen terme sont encore plus éloquents : des trains qui circulent en moyenne moins vite qu’au début du siècle, des accidents à répétition qui se sont soldés par 42 morts et plus de 400 blessés graves sur la seule période 1997-2000, et enfin la faillite spectaculaire de RailTrack en 2001.

Les différentes phases de la libéralisation des transports ferroviaires en Europe

- Première phase (1991 – 1998) : établissement de la séparation comptable entre les "gestionnaires d’infrastructures" (exemple : Réseau ferré de France créé en 1997) et les "entreprises ferroviaires" (entreprises de services de transports, exemple : SNCF).

- Deuxième phase (1999- 2003) : le 1er paquet ferroviaire. Il entérine cette séparation entre "gestionnaire d’infrastructures" et "entreprise ferroviaire" et met en plus en place la séparation comptable des activités de transport de voyageurs et de transport de marchandises. Des droits d’accès équitable et non discriminatoire aux infrastructures sont concédés à toutes les entreprises ferroviaires titulaires d’une licence pour le transport international de marchandises sur le « Réseau transeuropéen de fret ferroviaire » le quel devait à terme couvrir la totalité du réseau ferroviaire européen.

- Troisième phase (2002 – 2007) : le 2ème paquet ferroviaire prévoit la libéralisation totale du Fret ferroviaire au 1er janvier 2007.

- Quatrième phase (2006 – 2010) : le 3ème paquet ferroviaire prévoit la libéralisation des services internationaux de voyageurs.

Conséquence de la libéralisation du Fret en France ? Depuis la décision de 2003 d’ouvrir le fret à la concurrence la part du rail dans le transport de marchandises en France est passée de 14,04 % à 10% (2010). Les 90% sont du transport par la route.

La Commission propose d’entrer dans une cinquième phase de libéralisation avec la refonte du premier paquet ferroviaire

La Commission identifie trois problèmes à traiter en priorité :

- le manque d’investissement dans le développement et l’entretien de l’infrastructure ferroviaire

- les limitations à la concurrence entre entreprises ferroviaires (la Commission veut notamment lutter contre les discriminations favorables aux "opérateurs historiques" et défavorable aux "nouveaux entrants")

- les difficultés rencontrées par les organismes qui contrôlent l’application de la non-discrimination entre entreprises ferroviaires

Pour y remédier, la Commission a décidé de :

- lancer des procédures d’infraction contre les Etats membres qui n’ont pas correctement appliqué la législation de l’UE

- rendre le cadre législatif européen plus strict en refondant le premier paquet ferroviaire

Les principales modifications que la Commission apporte au premier paquet ferroviaire :

- entérine la séparation non plus seulement comptable mais organique des "gestionnaires d’infrastructure" et des "entreprises ferroviaires"

- oblige à la séparation comptable des activités qui bénéficient d’un monopole légal et celles qui sont soumises à la concurrence.

- précise que "si l’État membre détient ou contrôle directement ou indirectement l’entreprise ferroviaire, ses droits de contrôle en matière de gestion n’excèdent pas ceux que le droit national des sociétés confère aux actionnaires de sociétés anonymes privées" et rappelle que la politique générale que l’Etat membre mène vis-à-vis du secteur ferroviaire ne doit pas "interférer dans les décisions commerciales de la direction" (remet en cause le statut d’EPIC de la SNCF)

- la Commission peut prendre de sa propre initiative toute mesure visant à détailler les procédures d’application de la directive et même à modifier les annexes de la directive (qui détaillent chacune des mesures proposées)

- l’obligation pour les Etats membres de publier dans les 2 ans suivant l’entrée en vigueur de la directive révisée, une stratégie de développement de l’infrastructure ferroviaire (forcément conforme aux directives de libéralisation)

- consacre l’interdiction des aides d’Etat pour les dettes contractées par les entreprises ferroviaires publiques après le 15 Mars 2001

- précise (pour contrecarrer les cas de discrimination liés au fait que l’exploitation de certaines installations soient confiées à des entreprises ferroviaires dominantes, généralement les entreprises publiques) : " les demandes d’accès à l’installation de service introduites par les entreprises ferroviaires ne peuvent être rejetées que s’il existe des alternatives viables leur permettant d’exploiter le service de fret ou de transport de voyageurs concerné sur le même trajet dans des conditions économiquement acceptables. Il incombe à l’exploitant de l’installation de service de prouver l’existence d’une alternative viable" (si une installation n’est pas utilisée, son propriétaire doit la mettre à disposition d’une autre entreprise intéressée)

- augmente les missions de surveillance de la Commission en y ajoutant la surveillance des investissements dans les infrastructures, des prix et de la qualité des services

- impose " un niveau de service minimal en cas de grève, le cas échéant"

- les organismes nationaux de contrôle de la concurrence sur les marchés de services ferroviaires peuvent prendre des mesures de sanctions y compris des amendes. Cette sanction ne peut pas être suspendue en cas de recours sauf à ce qu’il soit établi qu’il y a un risque de préjudice irréparable)

Que proposait le Parlement en Novembre 2011 ?

Positif

- revient sur l’obligation de service minimum en cas de grève
- souligne que le premier paquet ferroviaire n’a pas fait augmenter la part du ferroviaire dans le transport (mais ne dit pas que ça l’a même fait diminuer et en tire pour seule conséquence qu’il faut renforcer ce premier paquet)
- insiste sur la nécessité de transparence
- demande de " d’encourager les candidats qui offrent des services de wagons isolés"
- demande que "les autorités locales et régionales concernées, les syndicats, les unions syndicales et les représentants des usagers" soient consultés avant la publication des stratégies de développement des infrastructures ferroviaires par les Etats membres
- demande que l’interdiction des aides d’Etat pour les dettes contractées par les entreprises ferroviaires publiques ne concerne que les dettes contractées après l’entrée en vigueur de la directive et pas après le 15 Mars 2001

Négatif

- fustige le " risque de concurrence déloyale entre les nouveaux opérateurs ferroviaires et les opérateurs ferroviaires historiques, et appelle à une harmonisation"

- demande plus de pouvoir pour les organismes de contrôle : " L’organisme de contrôle national doit être une autorité de régulation indépendante, dotée de pouvoirs d’autosaisine et d’enquête et capable de rendre aussi des avis et des décisions exécutoires, afin de garantir un marché ouvert et sans barrière, au sein duquel s’exerce une concurrence libre et non faussée."

- propose la mise en place d’un organisme de contrôle européen du marché ferroviaire (lequelexercerait "des fonctions de surveillance et d’arbitrage sur desproblèmes de nature transfrontalière et internationale, ainsi qu’une fonction de recours vis-à-vis des décisions prises par les organismes de contrôle nationaux")
- en cas d’accident propose que " la couverture de la responsabilité civile soit assurée par des garanties fournies par des banques ou d’autres entreprises, à condition que cette couverture soit offerte aux conditions du marché, ne se traduise pas par une aide d’État et ne contienne pas d’éléments de discrimination à l’encontre d’autres entreprises ferroviaires"
- est d’accord avec la délégation de pouvoirs à la Commission et les élargit
- demande à la Commission de "présenter une proposition législative sur la séparation entre le gestionnaire de l’infrastructure et l’exploitant d’ici la fin 2012" (continue donc la fragmentation)
- demande aussi "le secteur ferroviaire n’étant pas pleinement ouvert à ce jour" la Commission devrait présenter, pour cette date, une proposition législative sur l’ouverture du marché"
- demande aux Etats membres de "garantir le développement de la concurrence" sur le marché ferroviaire
- demande à la Commission de présenter "au plus tard le 31 décembre 2012, une proposition de directive contenant des dispositions relatives à la séparation des opérations de gestion de l’infrastructure et de transport"
- p our la même échéance demande "une proposition visant à ouvrir le marché intérieur du transport ferroviaire de voyageurs"

Voici ce que j’en avais dit à l’époque :

La libéralisation à marche forcée du secteur ferroviaire a conduit à une baisse de l’utilisation de ce mode de transport. Dans ce texte, la majorité est contrainte de se rendre à l’évidence de ce constat. Elle n’en tire pourtant aucune conséquence et propose avec la Commission de renforcer la libéralisation en cours. Elle avalise la casse des entreprises publiques, l’octroi de nouveaux pouvoirs à la Commission en la matière, les possibilités de sanctions en cas de non-respect des normes européennes et demande que la libéralisation du transport de passager soit au plus vite effective. Seul bon point : elle refuse à la Commission l’obligation de service minimum des cheminots en cas de grève. Cette petite victoire ne saurait faire oublier le reste. J’aurais voté contre ce texte.

Où en est-on en Juillet 2012 ?

La position du Conseil (gouvernements) :

Le Conseil poursuit dans la logique de libéralisation totale et de lutte contre les entreprises ayant « une position dominante » comprenez les entreprises publiques. Fait tout pour assurer la libre concurrence

- ne demande plus clairement la séparation organique entre l’exploitation des services de transport et de la gestion de l’infrastructure

- demande en outre que « le principe de la libre prestation de services soit appliqué au secteur ferroviaire »

- oblige les Etats à donner des licences à toutes les entreprises correspondant aux critères européens

Précise : « Les entreprises ferroviaires sont gérées selon les principes qui s’appliquent aux sociétés commerciales, quel que soit leur propriétaire. Cette règle s’applique également aux obligations de service public qui leur sont imposées par l’État membre et aux contrats de service public qu’elles concluent avec les autorités compétentes de l’État. »

- maintient l’interdiction des aides d’Etat pour les dettes contractées par les entreprises ferroviaires publiques après le 15 Mars 2001

- maintient la possibilité pour la Commission d’ « adopter des mesures détaillant l’utilisation d’un modèle commun de licence et, si nécessaire pour assurer une concurrence équitable et efficace sur les marchés du transport ferroviaire, des mesures détaillant la procédure à suivre (…) »

- maintient : « Lorsque les demandes introduites par les entreprises ferroviaires concernent l’accès à une installation de service et la fourniture de services dans une installation de service gérée par un exploitant d’installation de service (…), cet exploitant justifie toute décision de refus et indique les alternatives viables dans d’autres installations »

- demande « que les États membres gardent la responsabilité générale du développement d’une infrastructure ferroviaire appropriée » mais c’est pour « stimuler la concurrence dans le domaine de gestion des services de transport ferroviaire »

- maintient la possibilité pour les organismes de contrôle nationaux de prendre des « sanctions appropriées, y compris des amendes » en cas de non-respect des règles de concurrence

- la Commission demandait que les trains équipés du système européen de contrôle des trains (ETCS) bénéficient d’une réduction temporaire de la redevance d’utilisation de l’infrastructure. Le Conseil prône pour sa part un système facultatif d’incitation à équiper les trains.

- estime que l’imputation du coût des effets du bruit doit rester pour les États membres un système facultatif

- refuse la mise en place d’un organisme de contrôle européen

La position du Parlement européen :

Le Parlement européen ne revient nullement sur la logique de fragmentation et de libéralisation accrue du « marché ferroviaire », au contraire.

- insiste, là où le Conseil n’insiste pour sa part pas, sur le fait que « la séparation des comptes requiert la mise en place de divisions distinctes au sein d’une même entreprise ou la gestion de l’infrastructure et des services de transport par des entités distinctes »

- demande que la Commission surveille le « degré d’ouverture du marché » ferroviaire de chaque Etat membre

- concernant les redevances des coûts effets du bruit demande qu’elles « ne se soldent pas par une distorsion déloyale de la concurrence entre entreprises ferroviaires et n’affectent pas la compétitivité globale du secteur ferroviaire »

- demande que « le président et le conseil de direction de l’organisme de contrôle du secteur ferroviaire soient nommés par le parlement national, ou un autre parlement compétent »

- Comme la dernière fois et alors même que ce n’a pas été repris par le Conseil, réclame que « la Commission propose, si nécessaire, des mesures législatives relatives à l’ouverture du marché intérieur du transportferroviaire de voyageurs et à la mise enplace des conditions nécessaires pourgarantir un accès non discriminatoire àl’infrastructure » (le « si nécessaire » ne trompe personne)

- maintient sa proposition de création d’un organisme de contrôle européen

J’étais absent lors du vote car en mission pour mon groupe Parlementaire à Caracas au Foro de Sao Paulo notamment pour des rencontres parlementaires.

J’aurais voté contre ce texte qui renforce les mesures européennes de casse du transport ferroviaire. Mes camarades députés du front de Gauche et de l’ensemble de la GUE/NGL ont d’ailleurs voté contre. Il n’y a pas eu de vote final sur cette directive. C’est regrettable. En Novembre, en première lecture, sur un texte quasi identique, je rappelle à celles et ceux qui l’auraient oublié que la droite, les libéraux et les sociaux-démocrates n’avaient eu aucun scrupule à voter pour, sourds aux appels des syndicats. Les verts, quant à eux, étaient partagés entre le pour et l’abstention.


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