Chavez n’était pas un dictateur, madame Parisot

vendredi 22 mars 2013.
 

Madame Parisot, présidente du MEDEF, a violemment dénoncé les propos de Victorin Lurel, ministre de l’Outre-mer qui signalait des points positifs dans le bilan personnel de Chavez.

Elle a déclaré sur France 3 avec son aplomb habituel : "La déclaration du ministre Victorin Lurel est très choquante. Comment peut-on dire d’un homme qui était un dicateur, un démagogue, qui incarne le populisme dans toute son horreur, puisse avoir les qualités que prétend notre ministre ? Je pense qu’il déshonore notre pays, je pense qu’il déshonore notre gouvernement en s’exprimant ainsi".

Laurence Parisot ment sciemment comme le prouvent les deux articles ci-dessous.

1) « Hugo Chávez était un hyper-démocrate » (par Raquel Garrido)

Ragemag a donc voulu s’entretenir avec Raquel Garrido, secrétaire nationale aux relations internationales du PG, qui avait rencontré le président Chávez plusieurs fois.

Quel était le rapport d’Hugo Chávez à la démocratie ?

Chávez a commencé sa vie par une entreprise militaire contre le pouvoir oligarchique du Vénézuela de l’époque : il a tenté de faire un coup d’état avec ses camarades en armes. Qui a été un échec. Mais qui lui a néanmoins permis d’incarner aux yeux des Vénézueliens l’opposition au gouvernement antérieur et d’approfondir sa pensée sur sa méthode d’accession au pouvoir. D’ailleurs, quand il décide de se rendre, il dit : « Je reviendrai. » Durant ses deux années d’emprisonnement, Chávez réfléchit beaucoup à cette question ; c’est un homme qui lit énormément et connaît très bien l’histoire des Lumières, de la Révolution française et de Simon Bolivar (il était rappelons-le chargé de l’instruction de l’histoire au sein de l’armée).

L’évolution que subit sa pensée durant cette période, autour de la question démocratique et républicaine, a eu un impact central dans sa décision de concourir à l’élection présidentielle de 1998. Il raconte souvent que lors d’une rencontre, Fidel Castro lui aurait dit que, pour gagner une élection, il fallait monter sur sa jeep pour faire le tour du pays et visiter chaque village. Chávez a suivi ses conseils et entrepris ce travail décisif d’ancrage sur le terrain, qui a payé en 1998.

« En 1998, on pouvait résumer son programme politique à cet élément unique : convoquer une Constituante pour rendre le pouvoir au peuple. »

Mais le point important dans la première campagne présidentielle de Chávez, et on pouvait résumer l’ensemble de son programme politique à cet élément unique, était sa volonté de convoquer une nouvelle Assemblée constituante pour que le peuple puisse enfin écrire une constitution neuve. Il ne voulait pas le pouvoir pour lui-même ; il voulait le restituer immédiatement aux Vénézuéliens. Sa première promesse politique consistait donc à rétablir la souveraineté populaire et correspondait à une conceptualisation hyper-démocratique de la République face à l’oligarchie en vigueur : sa critique de l’oligarchie se doublait donc d’une méthode concrète pour la renverser.

Or, quand on pense sérieusement au renversement d’un ancien régime, on doit non seulement se poser la question de savoir à quoi doit ressembler le nouveau régime, mais également de savoir qui est légitime pour en jeter les bases. Si on est réellement démocrate, la réponse s’impose d’elle-même : le seul corps légitime pour énoncer les articles d’une constitution souveraine émancipée du régime antérieur, c’est le peuple lui-même par le biais d’une Assemblée constituante. C’était une pensée subtile et relativement dure d’accès dans les années 1990, où aucun parti de gauche dans le monde n’avait réellement cette vision proprement révolutionnaire : aucun ne proposait de changer les règles constitutionnelles par le peuple lui-même. C’était une révolution profonde dans la pensée démocratique elle-même.

2) Olivier Compagnon "Le pouvoir d’Hugo Chavez a toujours reposé sur une vraie légitimité démocratique"

Pour Olivier Compagnon, spécialiste de l’histoire politique et culturelle de l’Amérique latine, l’élection de Chavez, en 1998, a représenté la première contestation, dans les urnes, des politiques néolibérales imposées par le FMI.

Que représentait Hugo Chavez dans le processus politique engagé en Amérique latine  ?

Olivier Compagnon. L’expérience vénézuélienne représente un moment fondateur du virage à gauche qu’a connu l’Amérique latine dans les années 2000. Fin 1998, l’élection d’Hugo Chavez fut la première contestation populaire par la voix des urnes des plans d’ajustement structurels imposés depuis les années 1980 par les politiques néolibérales. Une bonne partie de l’émotion ressentie aujourd’hui en Amérique latine est liée à cette fonction matricielle de la première élection de Chavez.

À quel projet de société correspondait son «  socialisme 
du XXIe siècle  »  ?

Olivier Compagnon. Apparu en 2005, le «  socialisme du XXIe siècle  » est un slogan politique qui ne doit pas laisser croire à une transformation radicale de la société vénézuélienne. Après quatorze ans de chavisme, le Venezuela reste en effet une société capitaliste où les intérêts privés se portent toujours très bien et où, plus que jamais, règne le consumérisme. Au niveau des pratiques, Chavez représente toutefois le retour d’un État infiniment plus redistributeur qu’il ne l’était auparavant. Cela s’est traduit par des politiques sociales novatrices au travers desquelles a été redistribuée une partie de la rente pétrolière. Le taux de pauvreté est ainsi passé de 49,4 % à la fin des années 1990 à 27,8 % en 2010, ce qui explique le soutien politique durable des classes populaires.

Dans la sphère occidentale, certaines voix le définissaient comme un «  dictateur  ». Quelle était la réalité démocratique du Venezuela d’Hugo Chavez  ?

Olivier Compagnon. Bien qu’il faille souligner certaines dérives autoritaires, par exemple dans le fait de gouverner par décret ou d’avoir mis la main sur une part importante des médias audiovisuels, le pouvoir de Chavez a toujours reposé sur une vraie légitimité démocratique et des élections régulières. Il a bénéficié du soutien d’une majorité de la population jusqu’à la dernière présidentielle d’octobre 2012. Il faut également insister sur la vitalité des pratiques politiques locales, dans le cadre des conseils communaux notamment, qui ont permis une réinsertion citoyenne de nombreux Vénézuéliens dans le cadre de la démocratie participative.

Incarnait-il un nouveau tiers-mondisme  ?

Olivier Compagnon. Au-delà de la réactivation rhétorique de la mythologie tiers-mondiste, Chavez s’est attaché au développement de relations Sud-Sud, avec l’idée de nouer des partenariats multiples permettant aux pays – et plus généralement à l’Amérique latine – d’échapper à la traditionnelle dépendance politique et économique vis-à-vis de Washington. C’est dans ce cadre qu’on a abondamment dénoncé les liaisons dangereuses de Chavez  : ainsi son soutien inconditionnel au régime de Kadhafi au nom de la création d’un axe anti-impérialiste passant également par Moscou, qui contrastait fortement avec la volonté d’approfondir les pratiques démocratiques au sein même du Venezuela. Il faut faire une place particulière au cas de l’Iran qui est un partenaire traditionnel de Caracas depuis les années 1960, dans le cadre de l’Opep, et qui le demeurera quels que soient les changements de régime dans les années à venir.

Quel sera l’impact de la disparition d’Hugo Chavez sur sa «  révolution citoyenne  »  ?

Olivier Compagnon. C’est difficile à dire dans la mesure où le chavisme était moins le produit d’une idéologie constituée qu’une nébuleuse hétérogène dont la cohésion reposait beaucoup sur la figure du président. Il faudra examiner attentivement, dans les jours qui viennent, la façon dont Nicolas Maduro – le dauphin désigné par Chavez en décembre dernier – pourra ou non contrôler certains secteurs importants du chavisme, en particulier l’armée qui compte des prétendants au pouvoir dans ses rangs. Une fois passés l’émotion liée au décès du «  Comandante  » et le temps du deuil, des tensions pourraient tout à fait apparaître.

Le Venezuela au-delà du mythe  : Chavez, 
la démocratie, le changement social, 
d’Olivier Compagnon, Julien Rebotier et Sandrine Revet, Éditions de l’Atelier, 2009.

Entretien réalisé par 
Rosa Moussaoui, L’Humanité


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