Jean-Marc Ayrault humilie le Parlement puis est ridiculisé

mercredi 1er mai 2013.
 

Le final de la présentation de l’ANI au parlement clôt dans la honte un épisode parmi les plus lamentables de ce début de quinquennat calamiteux. Je parle ici du recours au "vote bloqué" au Sénat sur le projet de loi MEDEF sur l’emploi, dit ANI. Une décision misérable. Pour rien ! Car le vote final est, pour terminer, reporté au 14 mai. La conférence des présidents de groupe s’est en effet insurgée contre les brutalités du gouvernement. Le gouvernement a donc échoué à accélérer le processus. Tout en se discréditant lourdement. « Cela aura des conséquences » a lancé Eliane Assassi, notre présidente de groupe. Car c’est une chose de demander un vote bloqué face à la droite et une toute autre chose de le demander pour fermer la bouche aux sénateurs du Front de gauche et de la gauche du PS !

J’ai alerté sur la brutalité du gouvernement dans ce dossier plusieurs fois sur ce blog. La procédure parlementaire "d’urgence" a été déclenchée. Elle limite à un débat dans chaque assemblée l’examen du texte alors que la Constitution prévoit une règle normale de deux lectures par assemblée. Tous les délais ont été compressés. Alors que le gouvernement a su prendre des semaines et même des mois pour le projet de loi sur le mariage pour tous, il n’a consenti que quelques semaines pour un texte qui attaque violemment le code du travail. Pour justifier le recours au vote bloqué au Sénat, Michel Sapin a tenu des propos surréaliste. "A la reprise de la discussion [samedi] matin, nous en étions à plus de dix-huit heures de débat. Nous avions examiné 156 amendements sur les 679, soit 8 amendements par heure. Le Sénat a eu recours à 50 scrutins publics, ce qui est bien au-delà des habitudes. A ce rythme, il nous [aurait fallu] siéger encore une soixantaine d’heures pour achever l’examen de ce texte". Vous avez bien lu. Pour Michel Sapin, les droits du Parlement et le débat parlementaire sont une lenteur insupportable. Tel est le futur contremaître pressenti par François Hollande pour porter son barda gouvernemental ! C’est l’homme de « la gauche quivisuel_marche_05 agit ». On voit pour qui et contre qui… C’est surréaliste. Car le même Michel Sapin n’a pas eu de mots assez grandiloquents pour défendre le texte. Il a vanté une loi "historique", "comme il n’y en a que trois ou quatre par siècle". Diantre ! Mais pour Michel Sapin, soixante petites heures dans un siècle, c’est encore trop !

Le gouvernement ne voulait pas du débat. Il a peur de la vérité. Il joue la montre car le mauvais coup ne passe pas si bien que ça. Au PS l’influence de Gérard Filoche s’est considérablement accrue sur ce thème. Certes cela ne débouche sur rien, mais la résistance s’est exprimée avec brio et en face la riposte s’est vite éteinte. Et quand même au total 73 députés de gauche ont refusé leur appui à ce mauvais coup ! Le gouvernement a dû se contenter d’une majorité relative, 250 voix sur 577. Plus les jours passent, plus le doute et les mises en cause s’étendent. Et les soutiens s’amenuisent. Il a donc recouru à un artifice de procédure : le vote bloqué. De quoi s’agit-il ? L’article 44, alinéa 3 de la Constitution de la 5e République permet que "si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement.". Autrement dit, il n’y a qu’un seul vote global qui inclut tous les articles du texte et les amendements gouvernementaux. Seuls sont soumis au vote les amendements "acceptés par le gouvernement". Tous les autres amendements disparaissent. Ils ne sont ni présentés ni discutés, ni mis au voix.

Le recours au vote bloqué au Sénat est un révélateur. Les libéraux et les sociaux-libéraux ne peuvent imposer leurs politiques sans brutaliser la démocratie. On le voit chaque jour au niveau européen ou l’austérité est imposée sans l’avis des peuples sinon contre eux. La flexibilisation du marché du travail est le deuxième axe des politiques austéritaires. Elle aussi est imposée brutalement. Le gouvernement a donné un droit de veto au MEDEF. Il a contraint les parlementaires PS à renoncer à la quasi-totalité de leurs amendements pour ne pas déplaire à Madame Parisot. Le Front de Gauche, lui, ne marche pas à la schlague. Nos parlementaires n’obéissent pas à Jean-Marc Ayrault et encore moins au MEDEF. Ils ont donc déposé des centaines d’amendements sur ce projet de loi sur l’emploi. Ils voulaient expliquer les dangers, alerter les salariés. Ils voulaient convaincre les parlementaires qui se réclament de la gauche de défendre les salariés et leurs droits. Ils voulaient proposer de nouvelles solutions contre la précarité et le chômage. S’ils ont aussi multiplié les demandes de scrutins publics, ce n’est pas d’abord pour retarder le débat. C’est parce que les parlementaires PS doivent leur élection à l’ensemble des électeurs de gauche. Or ce texte n’a jamais été promis pendant la campagne électorale. Il contient des reculs dramatiques pour les salariés. Il est donc normal que les électeurs sachent ce qu’ont voté leurs élus.

Au Sénat, la dernière utilisation du vote bloqué datait de Nicolas Sarkozy et François Fillon. L’UMP avait utilisé cette arme antiparlementaire le 21 octobre 2010 sur un texte symbole : la contre-réforme des retraites. La droite l’avait utilisée alors contre la gauche, PS et Front de Gauche unis. Et Fillon avait décidé le vote bloqué après trois semaines de débat au Sénat. Le Parti Socialiste avait hurlé au scandale à l’époque. La première secrétaire du PS, Martine Aubry avait dénoncé un "coup de force" comme le montre un communiqué de presse toujours présent sur le site du PS. Le PS d’avant disait que "ce nouveau contournement du Parlement est scandaleux. Comment accepter que sur un sujet essentiel, qui engage le pacte social et républicain, on refuse aux élus de la nation le temps nécessaire au débat ? Cette décision déshonore et discrédite le gouvernement et le président (…). Chacun comprend que ce qui gêne le gouvernement, c’est le débat. Parce que plus on débat, et plus la vérité apparaît : le projet du gouvernement est profondément injuste et ne règle rien".

Aujourd’hui, les solfériniens ne disent plus rien. Seule Marie-Noëlle Lienemann a protesté. Elle a dénoncé "un énervement gouvernemental, une forme d’aveu de faiblesse. Dès que quelque chose résiste, et en particulier quand ça vient de la gauche, le gouvernement ne le supporte pas". Sur le fond et sur la méthode, elle n’était pas d’accord. Avec Jean-Pierre Godefroy, c’est la seule sénatrice socialiste à avoir voté contre le texte au final, aux côtés des sénateurs du Front de Gauche. C’est autrement plus courageux que l’attitude de Robert Hue. Lui s’est lâchement abstenu, alors que son ancien parti, dont il a été le premier dirigeant, était agressé et humilié, et tandis que les droits des salariés étaient lourdement attaqués. A la fin, Ayrault est encore plus brutal que Fillon. Comme Fillon, Ayrault a utilisé le vote bloqué pour faire passer un texte contre les droits des salariés. Mais à la différence de Fillon, Ayrault n’a supporté le débat que trois jours. Et Ayrault n’a pas utilisé le vote bloqué contre la droite mais contre un groupe de gauche, le groupe des sénateurs communistes. Comme à l’Assemblée, le texte n’a été adopté qu’à la majorité relative. A l’Assemblée comme au Sénat, le Front de Gauche a voté contre et les parlementaires Europe Ecologie les Verts se visuel_marche_04sont abstenus. Comme à l’Assemblée, cette loi Ayrault-MEDEF n’a été adoptée par le Sénat que grâce à l’aide de la droite. L’UMP s’est abstenue et les centristes ont même voté pour avec les solfériniens et les radicaux de gauche.

Encore une fois, Ayrault n’a agi avec tant de bestialité qu’en raison de sa volonté de désamorcer la résistance face au texte du MEDEF. Il pensait alors que si le texte n’avait pas été voté avant dimanche 21 avril au Sénat, il n’aurait pas pu être définitivement adopté par le Parlement avant la mi-mai. C’est-à-dire après les manifestations syndicales du 1er mai et notre grande marche pour la 6ème République le 5 mai. Les solfériniens ont préféré caporaliser le Parlement pour en finir au plus vite. Le projet de loi devait passer en commission mixte paritaire mardi 23 avril au matin pour pouvoir être définitivement adopté jeudi 25 avril par l’Assemblée et le Sénat. C’était encore une magouille avec l’ordre du jour du Parlement. Car cette semaine est normalement une semaine de "contrôle" de l’activité gouvernementale par le Parlement. Ces semaines de "contrôle" ne servent normalement pas à voter des textes de loi mais à débattre de l’application des lois déjà votées et de l’action du gouvernement. Au lieu de cela, le gouvernement à essayer de faire inscrire le vote sur la loi MEDEF. Peine perdue. Tout s’est effondré devant la résistance des présidents de groupe ! Le texte ne sera pas soumis au vote avant le 14 mai. Du coup les manifestations du 1er mai et celle du 5 mai redeviennent des temps de rapport de force contre cette loi malfaisante et scélérate.

Pourtant bien sûr, c’est moi que l’on accuse de diviser la gauche ! Mais c’est Ayrault qui agresse et divise toute la gauche parlementaire. C’est le Front de Gauche qu’on accuse de voter avec l’UMP quand il est le seul à s’opposer à une loi PS-MEDEF votée grâce à l’abstention de l’UMP. C’est moi qu’on accuse d’être violent quand c’est Ayrault qui caporalise le parlement et bafoue le droit d’amendement des parlementaires. C’est moi qu’on accuse de populisme quand c’est Ayrault qui méprise la démocratie représentative et le Parlement. La vérité, c’est que nous appelons à une Sixième République quand Ayrault utilise contre nous toutes les manœuvres permises par la Cinquième République. Cet épisode montre à quel point l’austérité et la flexibilité ne peuvent être imposés que de façon autoritaire. Il montre aussi une nouvelle fois combien la lutte sociale est indissociable de la lutte démocratique dans la démarche de la Révolution citoyenne.


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